COLLINE D'OPLENAC. Ces vignes sont situées à l'endroit où s'étendait jadis le domaine viticole royal. © T. JOLY
NIKOLIC VLADAN ET BOZIDAR ALEKSANDROVIC (ci-dessus), l'oenologue et le fondateur de la cave, ont redonné vie au vin préféré du dernier roi de Serbie.
BORIVOJ ZIVANOVIC vend en direct ses bouteilles et du miel dans une petite pièce aménagée à côté de la cave.
ROGLIEVO, un village viticole à l'est du pays, conserve un remarquable ensemble de caves du XIXe siècle.
Officiellement, le vignoble serbe couvre 70 000 ha et produit, bon an, mal an, 2,2 millions d'hl. Mais beaucoup de vignes sont mal entretenues. Sous le communisme, les viticulteurs ont privilégié les variétés à fort rendement. Et maintenant que la plupart des usines à vins ont fermé, beaucoup laissent leurs vignes à l'abandon, faute de débouchés, de moyens et de connaissances pour investir et vinifier.
« Il n'y a que 10 000 à 12 000 ha de vignes de qualité et la situation serait pire si l'État n'avait pas instauré d'aides à la plantation », estime Nikolic Vladan, l'oenologue du domaine Aleksandrovic, situé à 80 km au sud de Belgrade. Créé en 2001, il s'est fait une place sur le marché en obtenant le secret de l'élaboration du trijumf, un assemblage de sauvignon, pinot blanc et riesling, servi à la cour royale de Serbie au XIXe siècle. Ayant protégé le nom de sa cuvée, il s'en est réservé les bénéfices. Il a ainsi pu se doter de pressoirs pneumatiques, de cuves thermorégulées et de fûts français.
Des investissements rythmés par l'argent
Le domaine compte 63 ha, dont 60 % encépagés en blanc. Depuis peu, il a lancé un pétillant 100 % chardonnay. « Nous en produisons seulement 12 000 bouteilles sur 300 000, mais c'est bon pour notre image », souligne Nikolic Vladan. Ce vin est vendu 25 euros le col, alors que les autres valent entre 5 et 10 euros.
Pour se faire connaître, Aleksandrovic participe à de nombreux concours. Mais il bénéficie surtout de la proximité du mausolée royal d'Oplenac. Cette église, où étaient enterrés les rois de Serbie au XIXe siècle, puis ceux de Yougoslavie au début du XXe siècle, est l'un des principaux monuments du pays. Grâce à son attrait, le caveau de vente, avec salle de dégustation et restaurant, accueille 15 000 personnes par an.
À 60 km au nord-ouest de Belgrade, aux abords du parc naturel de la Fruška Gora, l'œnotourisme a aussi le vent en poupe. Situé aux portes de Novi Sad, la deuxième ville du pays, ce petit massif montagneux bordant le Danube héberge de nombreux édifices. Tous les vignerons continuent d'y produire du bermet, un apéritif qui a été servi sur le Titanic. Il s'agit d'un vin, blanc ou rouge, qui est mis en fût avec vingt-sept herbes et fruits avant d'être additionné d'un peu d'alcool.
Installé à Sremski Karlovci, à l'est du parc naturel, Borivoj Zivanovic vend 80 % de sa production à la propriété. Sur 5,5 ha, il cultive du riesling, du chardonnay, du cabernet sauvignon, du merlot et deux variétés locales : le petra et le probus. « Pour avoir à la fois des vins internationaux et typiques. » Il vend ses bouteilles 4 à 5 euros, sauf le bermet, à 8 euros.
Parti de rien car son grand-père avait tout arrêté en 1987, il s'est équipé et agrandi au rythme des rentrées d'argent. Il espère se doter de cuves thermorégulées d'ici à deux ans. « En 2001, j'ai commencé avec un pressoir de 150 ans, se souvient-il. Et en 2007, j'ai été le premier du village à acquérir un pressoir pneumatique. » Un équipement acheté d'occasion à Miroslav Kovace-vic, vigneron renommé pour son chardonnay, installé à Irig, un village à la bordure sud du parc national.
Des Bourguignons sont venus faire des vins naturels
Issu d'une famille pratiquant la viticulture depuis cent ans, Miroslav Kovacevic n'a commencé à embouteiller qu'en 2001. Il produit plus de 500 000 bouteilles de blanc, rouge et rosé. Il fait aussi un peu de pétillant et bientôt du vin de glace. « En un an, nous vendons tout le blanc, en quasi-totalité en Serbie », révèle Radovan Jovic, le directeur du domaine.
La propriété ne possède que 10 ha de vignes plantées à 4 500 pieds/ha, à 230 m d'altitude sur des coteaux exposés plein sud. « Mais nous allons planter 35 ha de chardonnay et 5 ha de cépages locaux », indique Radovan Jovic. Pour l'heure, il achète 70 % du raisin qu'il vinifie à des viticulteurs sous contrat ou au coup par coup, au prix de 0,50 à 0,70 euro le kilo. Récemment, il a créé un petit complexe oenotouristique avec restaurant, salle de dégustation et chambres à louer.
Bourguignons d'origine, Estelle et Cyrille Bongiraud se sont installés à l'est du pays, dans le village de Roglievo, dont un quartier est constitué uniquement d'anciennes caves. Certaines sont encore en activité.
« Les vins que nous avons goûtés et les sols que nous avons vus nous ont convaincus du potentiel de ce terroir », explique Cyrille, qui fut le fondateur du Groupement d'études et de suivi des terroirs en Bourgogne. Leur domaine, Francuska Vinarija, exploite 2 ha en propriété et achète la production de 5 ha aux mains de cinq viticulteurs souvent très âgés, qui suivent un cahier des charges. Ils paient ces raisins entre 0,50 et 0,70 euro le kilo, 25 % de plus que le cours local.
Des vins vendus en France
Les cépages cultivés sont le cabernet sauvignon, le gamay, le burgundac, le vranac, le chardonnay, le muscat ottonel, le riesling italien et le tamjanika. Selon les époques de plantation, la densité varie de 3 500 à 7 000 pieds/ha. Ces vignes ne donnent que 30 hl/ha. Elles ne connaissent pas de parasites, bénéficiant de journées chaudes et de nuits fraîches.
Estelle et Cyrille Bongiraud ont importé tout leur matériel. Une fois par an, ils font venir un camion chargé de fûts et des matières sèches pour embouteiller le millésime mis à la vente. Ce camion repart ensuite avec les bouteilles. C'est ainsi qu'en 2010, ils ont mis en bouteille puis expédié le 2008, leur premier millésime.
Les Bongiraud produisent des vins naturels, vinifiés sans autre additif que le SO2, qu'ils vendent en France, au Japon, en Belgique et au Canada. Le choix de l'export s'est imposé car « en Serbie, il faut être à 5 euros le col maximum pour être compétitif. Or, nous vendons à 6,80 euros HT minimum, car notre coût de production est de 3,20 euros dont un euro de frais de déplacement. » Signe encourageant pour la filière, la consommation est passée de 6 à 11 l par habitant et par an ces dernières années.