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La saison débute par un débourrement chaotique

La vigne - n°242 - mai 2012 - page 10

En avril, le débourrement s'est brutalement ralenti, entraînant un étalement exceptionnel des stades végétatifs des bourgeons d'une même souche. Le point sur cette situation au début du mois de mai et sur ses conséquences pour le reste de la saison.

Tout début mai, bien des vignes faisaient pâle figure. Le feuillage était jaunissant et les stades phénologiques très hétérogènes. « Le débourrement est chaotique », annonce Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or. « Dans les parcelles les plus avancées, sur un même cep, on se retrouve entre l'éclatement du bourgeon et trois à quatre feuilles étalées », rapporte François Dal, de la Sicavac à Sancerre (Cher).

En Gironde et à Cognac, le débourrement est tout aussi irrégulier. « Sur une même latte d'ugni blanc, les stades oscillent entre gonflement du bourgeon et deux à trois feuilles étalées, voire quatre à cinq feuilles étalées, observe Magdalena Girard, de la chambre d'agriculture de Charente-Maritime. On pense que certains bourgeons ne vont pas partir du tout. Pourtant, ils ne sont pas gelés. Quand on les coupe, on constate qu'ils sont bien verts. On ne comprend pas. »

« Le relevage risque d'être plus compliqué »

Pourquoi de telles différences ? Pour Alain Carbonneau, professeur de viticulture à Montpellier Supagro : « C'est une conséquence des températures fraîches durant le débourrement plus que des alternances de températures. Les bourgeons terminaux ont débourré normalement. Ils ont inhibé partiellement les autres en raison de la dominance apicale. Puis ces derniers n'ont pas pu surmonter cette dominance en raison de la fraîcheur. Ce phénomène devrait s'atténuer assez vite dès le retour des températures normales. »

Il n'empêche, « si certains bourgeons ne partent pas, il y aura des pertes de rendement. En plus, cela risque de poser des problèmes pour la taille l'année prochaine », explique Magdalena Girard. « Nous nous posons la question de savoir comment nous allons gérer les dédoublages. Si un bourgeon sur trois ne débourre pas, les vignerons seront tentés de laisser les contre-bourgeons. Nous ferons le point dans les semaines qui viennent », indique Stéphanie Florès, de l'Adar de Coutras, en Gironde. « Le relevage risque d'être plus compliqué et les vignerons devront peut-être effectuer un passage supplémentaire », ajoute François Dal. Voilà pour les travaux en vert.

Le mauvais débourrement complique aussi le positionnement des traitements. « Les œufs d'hiver de mildiou sont mûrs et les conditions météo sont favorables aux contaminations. Mais, en moyenne, les vignes sont au stade pointe verte. Il est donc encore un peu tôt pour traiter. Pourtant, les conditions sont réunies pour que la maladie explose sur les pousses les plus développées », constate Magdalena Girard. Dans cette situation, la chambre d'agriculture a émis un bulletin le 3 mai conseillant d'attendre que le stade deux à trois feuilles étalées soit atteint en moyenne pour démarrer les traitements.

Quant aux traitements anti-oïdiums, « nous les déclencherons quand une majorité de pousses aura atteint le stade conseillé, soit sept à huit feuilles étalées », précise Guillaume Morvan, de la chambre d'agriculture de l'Yonne. L'hétérogénéité ne facilite pas non plus l'observation des vers de la grappe. « L'insecte n'a pas eu des conditions favorables pour voler. En plus, il a dû avoir des difficultés pour pondre. Nous estimons la pression en première génération plutôt faible. Mais comme la végétation est peu développée, nous avons du mal à nous en assurer », souligne Barbara Cichosz, du syndicat du floc de Gascogne, dans le Gers.

Dans le Vaucluse et dans le Gard, la situation est plus dramatique. Dans certaines parcelles, des coursons entiers ne débourrent pas. En cause : le gel d'hiver. « Cela concerne principalement les vieilles vignes. Dans les cas extrêmes, 70 % des bourgeons francs ont gelé », rapporte Marie-Véronique Arrigoni, de la chambre d'agriculture du Vaucluse. La technicienne pense que les pertes de fond seront limitées car la plupart des souches ne sont pas mortes. « Quand on gratte le long des cordons, on constate qu'au bout d'un moment ils redeviennent verts et que la sève circule. On voit également des bourgeons repartir sur la couronne et sur le vieux bois. Mais ils seront moins productifs. Il faut donc s'attendre à des pertes de rendement », explique-t-elle. Elle préconise de conserver des pampres lors de l'épamprage et de l'ébourgeonnage pour reconstituer les ceps ou les bras.

Des pertes de rendements

Même chose dans le Beaujolais. « En février, les températures sont descendues entre - 15 et - 17°C alors qu'un vent fort a renforcé l'effet du froid. Les dégâts sont hétérogènes mais significatifs, révèle Jean-Henri Soumireu, de la chambre d'agriculture du Rhône. Les secteurs de Chiroubles et de Juliénas sont particulièrement concernés, notamment en haut des coteaux soumis au vent. Cela aura un impact sur les rendements, même si sur certains pieds les contre-bourgeons semblent repartir. Localement, il y aura même des pertes de fond sur de très vieilles vignes ou, au contraire, de très jeunes vignes. Mais cela reste marginal. »

Le Point de vue de

Guillaume Gracieux, chef de culture des vignobles Massé, à Pompignac (Gironde), dans l'Entre-deux-Mers, 50 ha en AOC Bordeaux

« Je n'ai jamais vu de tels écarts »

 © P. ROY

© P. ROY

« En vingt ans passés dans les vignes, je n'avais jamais vu une telle situation. Sur un même rang et sur une même baguette, il y a des bourgeons de quinze centimètres de haut. Au milieu, ils n'excèdent pas un centimètre. En fait, il y a deux à trois semaines d'écarts entre les différents bourgeons, et ce sur la moitié du vignoble. C'est la première fois que j'observe un tel écart sur un même pied.

Les périodes de chaud et de froid qui n'ont cessé de se succéder y sont certainement pour quelque chose. En effet, les températures de janvier ont été plutôt douces, celles de février plus froides. Une période de réchauffement s'est de nouveau installée en mars suivie d'un refroidissement en avril. Cette hétérogénéité ne me fera pas beaucoup changer la gestion de la campagne.

Je ne modifierai pas mes pratiques de fertilisation. J'ai effectué mon premier antimildiou le 2 mai, sur les parcelles où la végétation était la plus développée. Il pleuvait depuis trois semaines et c'était le premier jour de soleil. Je calerai le premier anti-oïdium sur le stade le plus avancé. Le vrai problème qui va se poser sera la qualité de la vendange et son homogénéité. En effet, si les écarts se maintiennent, il y aura une floraison plus longue et donc un risque d'avoir des raisins à différents niveaux de maturité. Malheureusement, pour contrôler la maturité, il n'y a pas grand-chose à faire. Je peux éventuellement appliquer une hormone de synthèse (un produit à base d'éthephon) sur les raisins à la mi-véraison, mais ce n'est pas une recette miracle. Il faut faire confiance à la nature pour qu'elle rattrape les écarts. Si ce n'est pas le cas, comme nous vendangeons à la machine, ce sera compliqué pour élaborer un produit au top qualitativement. »

Le Point de vue de

Jean-Christian Bonnin, à la tête du domaine de la Croix des loges, à Martigné-Briand (Maine-et-Loire). 46 ha

« Les premiers bourgeons sont sortis très vite, puis le froid a tout bloqué »

Jean-Christian Bonnin, à la tête du domaine de la Croix des loges, à Martigné-Briand (Maine-et-Loire). 46 ha

Jean-Christian Bonnin, à la tête du domaine de la Croix des loges, à Martigné-Briand (Maine-et-Loire). 46 ha

« Je constate des écarts de sorties très importants. Sur un même bois cohabitent une pousse avec trois feuilles et un bourgeon dans le coton. J'ai pu observer le phénomène sur l'ensemble du parcellaire, tant en chenin qu'en cabernet ou en chardonnay. Le phénomène est général sur l'ensemble du vignoble d'Anjou-Saumur. Il a fait chaud en mars. Les premiers bourgeons sont donc sortis très vite. Mais le rafraîchissement des températures en avril a tout bloqué. Les bourgeons qui étaient encore dans le coton y sont restés. Le plus inquiétant, c'est que depuis quelques semaines, ça ne pousse plus. Il fait trop froid.

Du coup, les avis des techniciens sont partagés sur les traitements antimildious et anti-oïdiums. Certains encouragent à commencer, d'autres pas. Pour l'heure, nous attendons. S'il fait doux, nous traiterons rapidement. Quant aux travaux en vert, nous allons sans doute les débuter avec deux semaines de décalage par rapport à ce que nous avions prévu. J'ai rappelé tous mes saisonniers pour les prévenir. La météo de mai va être déterminante pour l'évolution de la plante. S'il fait assez chaud, autour de 25°, avec toute la pluie que nous avons eu ces derniers jours, ça va pousser. La nature peut parfois compenser. Il est donc difficile de se prononcer sur le volume et la qualité de la récolte. Sans doute que sur les rouges, en particulier, ce sera plus compliqué du fait de la maturité hétérogène. Pour l'instant, nous restons dans l'expectative. Tout début mai, nous avons eu une à deux journées avec des températures plus clémentes. Malgré cela, les choses n'ont pas beaucoup évolué. »

Le Point de vue de

Sébastien Vincenti, viticulteur à Mazan (Vaucluse), 40 ha en AOC Ventoux

« Le gel d'hiver m'a fait perdre des souches »

Sébastien Vincenti, viticulteur à Mazan (Vaucluse), 40 ha en AOC Ventoux

Sébastien Vincenti, viticulteur à Mazan (Vaucluse), 40 ha en AOC Ventoux

« Mes vieux carignans ont souffert du gel de cet hiver. En février, les températures sont descendues à - 17°C pendant plusieurs jours et le mistral a soufflé très fort. Ce froid a endommagé des souches. Dans une parcelle plantée en 1936, le bois est fendu en plusieurs endroits. Certains pieds ont l'air morts. Il y aura peut-être des repousses. Pour le savoir, nous allons devoir attendre. Toutes les parcelles ne sont pas concernées. Ce sont les vignes les plus exposées au vent et les plus âgées qui présentent des dégâts.

Les vignes endommagées étaient déjà gorgées de sève au moment de la période de gel. Or, le froid a été soudain. Avant qu'il arrive, il avait fait exceptionnellement doux. Aussi, la sève n'était pas complètement descendue dans les bois et ces derniers étaient gorgés d'eau. C'est ce qui les a fait éclater lorsque le mercure est descendu en dessous de zéro degré.

J'estime avoir perdu jusqu'à 5 % La récolte sera affectée. À ce jour, il est toutefois difficile de savoir dans quelle proportion. Je remplacerai les manquants, mais les jeunes plants ne produiront que dans quatre ans.

Les vignes qui n'ont pas dépéri rencontrent d'autres problèmes. Certaines n'ont gelé que sur le haut. Des bourgeons apparaissent au-dessus de la greffe. Nous allons devoir reconstituer ces ceps. D'autres présentent des problèmes de débourrement. Les sorties de bourgeons sont irrégulières. Nous devrons être attentifs lors de l'ébourgeonnage. Nous allons conserver les bourgeons que nous aurions en principe retirés, de manière à reconstituer des bois pour l'an prochain. Le remplacement des manquants et les conséquences sur la récolte à venir et sur celles des prochaines années auront un impact financier important. »

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REPÈRE Un début d'année très contrasté

Janvier a été chaud et sec. « Nous avons constaté des températures presque 2°C plus chaudes que les normales (calculées sur la période 1971-2000), explique Emmanuel Cloppet, qui dirige la division agriculture de Météo France. Puis février a été marqué par la période de froid la plus intense de ces vingt-cinq dernières années. Les températures ont été de 3 à 5°C inférieures aux normales, selon les régions.

Le contraste a été d'autant plus saisissant que, jusque-là, l'hiver était doux. Mars a été chaud et sec, avec 2,5°C de plus que la normale. Dans le Sud-Ouest, il y a eu deux semaines où il a fait plus de 25°C. Avril a été marqué par une forte pluviométrie, jusqu'à 40 % au-dessus des normales, voire le double dans certaines zones.

C'est une bonne chose. Les réserves ont pu être reconstituées. En revanche, les températures étaient conformes à la saison, voire légèrement supérieures (+ 0,4°C). »

L'essentiel de l'offre

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