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DOSSIER - Vin bio : La croissance jusqu'où ?

Premiers signes d'embouteillage sur le marché du vrac

La vigne - n°242 - mai 2012 - page 30

Depuis le début de la campagne, les prix des vins bios en vrac fléchissent. Les acheteurs profitent de la hausse de l'offre pour prendre leur temps. Pour certains, c'est le début d'une surproduction. D'autres voient l'opportunité de saisir de nouveaux marchés.
Jean-Fred coste et Jean-Luc Andrieu, président et directeur de la cave du vignoble de la voie d'Héraclès à Vergèze (Gard) restent confiants. © M. GASARIAN

Jean-Fred coste et Jean-Luc Andrieu, président et directeur de la cave du vignoble de la voie d'Héraclès à Vergèze (Gard) restent confiants. © M. GASARIAN

Déjà cette année, les premiers signes d'essoufflement ont percé sur le marché du vrac. Le côtes-du-Rhône bio s'est négocié 190 €/hl en moyenne depuis le début de la campagne, contre 210 €/hl durant la campagne précédente. Même tendance en Languedoc. Fin mars, le cours moyen de l'IGP pays d'Oc rouge s'est établi à 120 €/hl, contre 125 €/hl l'an dernier. En blanc, la baisse est encore plus marquée : 139 €/hl, contre 152 €/hl l'an dernier.

« C'est la première année que je reçois début avril des offres de producteurs historiques de bio qui ont encore des vins à vendre, témoigne Olivier Azan, producteur et négociant au domaine de Petit Roubié, à Pinet (Hérault). Avant, tout était vendu en début d'année. Les nouvelles surfaces certifiées, conjuguées à la grosse récolte 2011, ont changé la donne. Les acheteurs ont pris leur temps. » Gilles Louvet déplore cette situation. Le patron fondateur de la société de négoce Vignobles Gilles Louvet basé à Narbonne, dans l'Aude, redoute que certains producteurs se soient convertis sans s'assurer des débouchés. « Nous avions essayé de mettre en place des contrats. Mais quand les prix ont flambé ces trois dernières années, des viticulteurs ont rompu nos accords. Maintenant, je les vois revenir. » Au vignoble de la Voie d'Héraclès d'Héraclès, à Vergèze (Gard), directeur et président restent confiants. La coopérative gardoise a été une des pionnières de sa région. Dès 1994, à la demande de Perrier, ses adhérents ont converti leur vignoble implanté sur la nappe qui alimente la source Perrier. Après 2007, l'effet d'entraînement et la flambée des cours ont accéléré le mouvement.

Contrats non renouvelés

L'an dernier, la coopérative a produit 24 000 hl de vin issu de l'agriculture biologique, soit 42 % de sa production. Au vu des surfaces en conversion, ce chiffre devrait atteindre 60 % en 2014.

« La campagne a démarré plus tard que d'habitude », confirme Jean-Luc Andrieu, le directeur. Début avril, il lui restait 500 hl de chardonnay, ce qui n'était pas arrivé depuis 2007. « Certains acheteurs n'ont pas renouvelé leurs contrats, poursuit-il. Mais nous ne sommes pas inquiets. Cela fait plusieurs années que nous travaillons avec des opérateurs comme Gilles Louvet ou Terroirs vivants. Quand les prix ont flambé, nous avons accepté de vendre en dessous des cours, car nos clients ne pouvaient pas encaisser de telles hausses. L'an dernier, nous avons vendu nos cépages rouges à 110 €/hl au lieu de 130 €/hl et les blancs à 130 €/hl au lieu de 150 €/hl. Nous tablons sur les relations de long terme que nous avons établies avec nos clients pour conserver nos débouchés. »

Même pour le négoce, la situation n'est pas sans danger. « Longtemps, le manque de disponibilité a été un frein pour notre développement dans le bio, explique Guillaume Blisson, responsable vignobles et achats chez Gabriel Meffre. Puis nous nous sommes décidés en 2009. En tant qu'acheteur, je me réjouis de l'augmentation de l'offre. Nous aurons plus de choix. Mais nous lançons notre gamme Inné sur la base des prix de cette campagne. Si les cours fléchissent trop, elle pourrait se trouver mal positionnée. » En clair, cette gamme pourrait se retrouver concurrencée par des vins moins chers, lancés par des concurrents profitant de la baisse des prix.

Un défi à relever

Dans la vallée du Rhône, on a bien conscience que le succès des conversions est un risque potentiel pour la filière. Selon Inter-Rhône, la récolte en bio s'est élevée à 100 000 hl en 2011, et elle devrait franchir la barre des 200 000 hl en 2014. Pour le moment, seuls 20 000 hl sont vendus en vrac, mais il y a fort à parier que ce volume augmentera. Président de la cave de Visan et de la section économique d'Inter-Rhône, Gilles Ferlanda se veut pourtant optimiste. Avec 6 000 hl produits cette année, sa coopérative est l'une des deux plus grosses productrices de vin bio de la vallée du Rhône. « Jusqu'à présent, nous étions en pénurie. Quand les pays scandinaves passaient des appels d'offres pour 7 000 à 8 000 hl, nous ne pouvions pas répondre. Avec les surfaces en conversion, la situation s'inverse. À nous de développer de nouveaux marchés pour stabiliser les cours. Nous risquons de connaître un encombrement pendant un ou deux ans. Mais par la suite, les surfaces en conversion diminueront. »

Cette année, l'ODG Côtes du Rhône a organisé une première réunion des producteurs de vin bio pour répondre à leur inquiétude de voir les cours fléchir. L'idée était de les inciter à indiquer leurs volumes en bio sur leur déclaration de récolte afin de connaître l'offre.

« Doubler la production en trois ans est un défi que nous pouvons relever, estime Gilles Ferlanda. Pour le moment, nous ne vendons que les vins de l'année. Mais développer une offre de vins de garde limiterait l'encombrement du marché. »

Arbio lance une vaste étude sur les coûts de production

En Aquitaine, les surfaces en conversion ont progressé de 41 % entre 2009 et 2010. Les volumes certifiés en vin bio devraient atteindre 300 000 hl en 2014, soit trois fois plus qu'en 2010. Ces projections ont alerté le syndicat des vins bios qui a décidé la création d'une commission viticole au sein d'Arbio, l'interprofession des produits biologiques d'Aquitaine. « Notre premier objectif était que les producteurs se rencontrent pour qu'ils appréhendent mieux la filière », explique la présidente Anne-Lise Goujon. L'interprofession a également lancé, avec l'Enita de Bordeaux et le CER, une vaste étude sur les coûts de production par appellation et par circuit de distribution. « Il faut que les producteurs connaissent leurs prix de revient pour déterminer leurs prix de vente. Le bio coûte plus cher à produire, il faut savoir à quelle hauteur et en tenir compte pour éviter de déstabiliser le marché. » La commission viticole dispense aussi des formations à la commercialisation. « Il reste des portes à ouvrir dans la vente directe et à l'export », estime Anne-Lise Goujon.

Bordeaux bio vignerons d'Aquitaine : l'union fait la force

En 2005, après une formation à la vente proposée par le syndicat des vignerons bios d'Aquitaine, dix vignerons bios du Bordelais et du Bergeracois s'associent et créent Bordeaux bio vignerons d'Aquitaine (BBVA), une SARL de négoce sans magasin. Objectif : vendre toute leur récolte à un prix rémunérateur. Ils ciblent d'emblée des grossistes et exportateurs qui n'étaient pas déjà leurs clients. En 2008, grâce à une aide de la région Aquitaine, la SARL embauche une assistante commerciale à l'exportation. La stratégie semble payante. Depuis la création de l'entreprise, son chiffre d'affaires a progressé de 30 à 110 % selon les années. Au cours du dernier exercice, il a atteint 1,1 million d'euros, dont 40 % en France et 60 % à l'export. BBVA a vendu 2 545 hl en vrac et 105 800 cols. 70 % de ces ventes ont été réalisées avec les vins de ses associés et 30 % avec des vins achetés à des vignerons bios de la région. « Ce groupement nous a permis de développer nos ventes et d'améliorer notre connaissance et notre maîtrise du marché. C'est une expérience très enrichissante. Mais il est difficile de conserver un projet commun au fil du temps et des évolutions de chaque associé. Une remise en cause de notre projet s'impose si nous voulons continuer », commente François Ouzoulias, un des associés de BBVA.

Dans l'Hérault, une coop et un négoce partenaires

Après plusieurs années de collaboration, la maison des Terroirs vivants, acteur majeur du négoce de vin bio, et la cave coopérative d'Abeilhan, dans l'Hérault, ont signé un accord de partenariat. La cave garantit à Terroirs vivants l'exclusivité de la production de ses 100 ha de vigne, actuellement en deuxième année de conversion. Elle bénéficie en échange d'un accompagnement technique du négoce, lequel sécurise son approvisionnement. « La collaboration entre la cave et nos œnologues permet un contrôle de la vigne et de la vinification qui nous garantit un excellent niveau de qualité », assure Jacques Frelin, patron fondateur du négoce bio. En échange, il achètera les vins issus des vignes en conversion plus chers que les vins conventionnels. « La collaboration technique nous intéresse car elle nous ouvre à différents styles de vin. Quant au partenariat, il met nos adhérents en relation étroite avec le metteur en marché, ce qui les rend plus proches du produit fini », estime Delphine Berruezo, la directrice de la cave.

Le vin jouit d'un statut à part parmi les produits alimentaires

Les vins sont plus difficiles à vendre avec le label bio que les produits de base que sont les fruits, les légumes, les œufs, la volaille, le lait ou le pain. « Le vin bio est d'abord un produit de la sphère du vin, dont les valeurs sont la convivialité et le plaisir, avant d'appartenir à la sphère des produits bios, dont les valeurs sont la sécurité alimentaire et la protection de l'environnement », écrit Thierry Duchenne, directeur de l'AIVB, dans une plaquette sur la mise en marché des vins bios éditée en 2010. « Dans l'esprit de beaucoup de consommateurs, le vin est un produit de terroir et il est artisanal. Le caractère bio est donc moins primordial que pour d'autres produits, tels le lait, le beurre ou la volaille, considérés comme plus industriels. Pour cette raison, il y a moins de consommateurs de vins exclusivement bios que pour d'autres produits alimentaires », confirme Emmanuel Podevin, responsable des achats vin chez Système U. Cependant, il semble que les comportements changent. Thierry Duchenne souligne que de tous les produits biologiques, c'est le vin qui recrute le plus de nouveaux consommateurs, avec 29 % de plus sur un an en 2008 et 11 % de plus en 2009. Cette tendance peut être liée à un changement d'image du vin bio dans une partie du public ou à l'arrivée d'une nouvelle génération de consommateurs.

Cet article fait partie du dossier Vin bio : La croissance jusqu'où ?

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