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VIGNE

La vitalité de l'eudémis dépend des cépages

Christelle Stef - La vigne - n°242 - mai 2012 - page 38

Les larves d'eudémis nourries de riesling ont moins de chances de se transformer en papillons que celles qui se sont développées sur gamay ou sur chasselas Le taux de parasitisme des œufs et des larves dépend également du cépage nourricier.
LES LARVES présentent des taux de parasitisme différents selon les cépages d'où elles proviennent. Ainsi, en Suisse, les larves collectées sur pinot ont une probabilité plus forte d'être parasitées que celles récoltées sur les autres cépages. © C. WATIER

LES LARVES présentent des taux de parasitisme différents selon les cépages d'où elles proviennent. Ainsi, en Suisse, les larves collectées sur pinot ont une probabilité plus forte d'être parasitées que celles récoltées sur les autres cépages. © C. WATIER

Depuis plusieurs années, Jérôme Moreau, de l'université de Bourgogne, et Denis Thiery, directeur de recherche à l'UMR Save de l'Inra et de l'ISVV de Bordeaux, étudient l'effet du cépage sur le développement de l'eudémis. « On sait depuis longtemps que les espèces de plantes sur lesquelles la larve se développe jouent sur ses traits de vie (temps de développement, taille et masse de l'adulte) et se répercutent sur sa probabilité d'être plus résistante aux parasitoïdes. Ce que l'on ne savait pas, c'est si au sein de la même espèce, en l'occurrence la vigne, il pouvait y avoir des différences selon les cépages », explique Jérôme Moreau.

De 2002 à 2004, les chercheurs ont donc réalisé plusieurs expériences. Ils ont d'abord élevé en laboratoire des larves d'eudémis. Puis ils les ont déposées, en conditions contrôlées, dans un milieu artificiel auquel ils ont ajouté des baies de raisins lyophilisées de différents cépages : chasselas, gamay, gewurztraminer, pinot ou riesling. Verdict : seules 74 % des larves nourries sur riesling se sont transformées en papillon, contre 90 % pour celles qui se sont alimentées sur les autres cépages.

Lors de la deuxième expérience, les chercheurs ont rassemblé des papillons mâles et femelles élevés sur le même cépage dans une « pochette d'accouplement ». Puis ils ont regardé le taux d'accouplement en fonction des cépages. « Seules 30 % des femelles qui se sont développées sur le riesling se sont accouplées, contre 80 % pour les autres cépages », rapporte Jérôme Moreau. L'explication ? Pour attirer le mâle, la femelle secrète des phéromones à partir de précurseurs qui se trouvent dans la plante. « Peut-être que ces composés manquent ou sont modifiés dans le riesling », avance Jérôme Moreau.

Des œufs plus petits sur le riesling

Autre constat : les femelles nourries sur riesling pondent moins d'œufs. Et ceux-ci sont plus petits. « La taille des œufs est un paramètre important. Plus les œufs sont gros, plus ils contiennent de vitellus, la réserve énergétique dont va se nourrir l'embryon. Les larves seront donc plus grosses et auront un meilleur taux de survie », démontre Jérôme Moreau.

Pourquoi de telles différences ? Lors de l'accouplement, le mâle transmet un spermatophore, une sorte d'enveloppe dans laquelle se trouvent les spermatozoïdes et des protéines. La femelle récupère ces protéines et s'en nourrit. C'est son « cadeau nuptial ». « Les mâles qui se sont développés sur le riesling ont soit un spermatophore de taille réduite, soit une moindre capacité à produire plusieurs spermatophores lors des accouplements successifs », suppose Jérôme Moreau.

Les chercheurs ont réalisé les mêmes expériences sur le terrain en récoltant des chenilles en fin de développement sur différents cépages. Ils sont arrivés aux mêmes conclusions. Pour aller plus loin, les chercheurs ont regardé si ces différences induites par le cépage se répercutaient sur le taux de parasitisme des œufs et des larves.

Les œufs davantage parasités sur grenache

Dans un premier temps, ils ont récolté des larves dans des parcelles de vigne de différents cépages. Ils les ont ramenées en laboratoire, les ont fait s'accoupler, puis ont fait pondre les femelles dans des tubes. Ils ont ensuite lâché des trichogrammes, des sortes de petites guêpes qui parasitent les œufs. « En fonction du cépage d'origine de la femelle, le nombre d'œufs parasités est différent », rapporte Jérôme Moreau. Effectivement, le taux de parasitisme est plus élevé sur le grenache et la syrah et moins élevé sur le pinot.

Dans un second temps, les chercheurs ont récolté des larves en fin de développement dans plusieurs vignobles de France et de Suisse deux années consécutives. Ils ont identifié les parasitoïdes et mesuré le taux de parasitisme. Les résultats montrent que le parasitoïde le plus abondant est Exochus notatus. On le retrouve partout, sauf dans le sud de la France. Le deuxième, Phytomyptera nigrina, se trouve quant à lui exclusivement dans le sud de la France. La troisième espèce de parasitoïde la plus abondante est Campoplex capitator, présent dans toute la France à l'exception de l'Est.

Autre enseignement : le taux de parasitisme est différent selon les cépages d'où proviennent les larves. La première année d'étude, dans les cantons du Valais et de Vaud, en Suisse, les larves collectées sur pinot avaient une probabilité plus forte d'être parasitées que celles récoltées sur les autres cépages. De même, Exochus notatus parasite davantage les larves issues du chasselas et du pinot noir que celle provenant du gamay.

« Un effet plastique »

En 2009, Jérôme Moreau et ses collègues Yannick Moret et Fanny Volgelweith relancent leurs travaux toujours en collaboration avec Denis Thiery. Leur objectif : examiner le système immunitaire des larves en fonction des cépages. S'il y a des divergences, cela pourrait expliquer les différences de taux de parasitisme.

Les chercheurs ont donc supplémenté un milieu artificiel avec des baies de raisins provenant de différents cépages. Dessus, ils ont fait se développer des larves d'eudémis et ont ensuite étudié leur système immunitaire. « L'immunocompétence varie en fonction du cépage, constate Jérôme Moreau. Cela se confirme sur le terrain, où nous avons récolté des larves en fin de développement sur différents cépages en Alsace, Champagne, Bourgogne, Beaujolais, dans le Bordelais, dans le Gard, etc. Et il y a des différences selon les zones géographiques. Les larves ont un système immunitaire plus fort dans certains vignobles que dans d'autres et, dans le même temps, ce sont dans ces vignobles qu'il y a le plus de parasitoïdes. »

Pour expliquer ces résultats, Jérôme Moreau avance deux hypothèses. « Soit il s'agit d'un "effet plastique", c'est-à-dire que la larve sent qu'elle court un danger car il y a beaucoup de parasitoïdes dans la parcelle. En réaction, elle renforce son système immunitaire. Soit il s'agit d'une adaptation locale, une sélection naturelle des individus les plus résistants de génération en génération. »

Les applications pratiques

Établir un classement des cépages préférés de l'eudémis est très complexe car d'autres facteurs comme le terroir et le climat jouent certainement un rôle. Toutefois, ces travaux vont permettre de mieux raisonner la lutte biologique via les lâchers de parasitoïdes. En effet, inutile de faire des lâchers là où l'eudémis dispose d'un bon système immunitaire, car ceux-ci seraient inefficaces. « C'est ce qui pourrait expliquer pourquoi, dans certaines parcelles, les lâchers de trichogrammes étaient efficaces et dans d'autres pas », suppose Jérôme Moreau.

Le riesling est-il réellement moins attaqué ?

Les travaux de Jérôme Moreau montrent que l'eudémis se développe nettement moins bien sur le riesling. Mais sur le terrain, on trouve toujours des larves d'eudémis dans les parcelles de riesling. Pourquoi ? « Dans nos tests de laboratoire, peut-être que nous avons mis une concentration en riesling, et donc en "composé toxique", plus importante que dans le milieu naturel. En plus, il faut tenir compte de la sélection naturelle. Les eudémis qui arrivent quand même à se développer sur le riesling doivent posséder des gènes "résistants" aux composés toxiques. Ceux-ci sont donc transmis aux générations suivantes qui deviennent petit à petit plus tolérantes au riesling », explique Jérôme Moreau.

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