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VIGNE

Patrice Coll, auteur d'une thèse sur la qualité des sols viticoles « La viticulture bio n'a pas que des bienfaits »

Propos recueillis par Ingrid Proust - La vigne - n°242 - mai 2012 - page 40

Cet ingénieur agronome a étudié les effets à long terme de la viticulture biologique. Il a constaté ses effets positifs sur la matière organique ou la teneur en phosphore et en potassium, mais aussi des impacts négatifs sur les vers de terre ou la compacité.

LA VIGNE : Les propriétés physiques et chimiques des sols en viticulture biologique sont-elles très différentes de celles des sols en conventionnel ?

Patrice Coll : Les parcelles en viticulture biologique renferment plus de matière organique (+ 32 % après dix-sept ans de viticulture biologique), certainement du fait de l'apport de compost en remplacement des engrais minéraux et grâce à la présence d'un couvert végétal plus intense que dans les parcelles en conventionnel. Concernant la teneur en phosphore disponible, elle chute de 58 % les sept premières années après la conversion. La vigne et l'enherbement consomment le phosphore minéral issu de la fertilisation pratiquée avant la conversion.

Cependant, dans les parcelles en bio depuis onze et dix-sept ans, la teneur en phosphore remonte, ce qui est certainement dû à l'augmentation de la biomasse microbienne (+ 34 % après dix-sept ans de viticulture biologique) stimulant la minéralisation du phosphore organique. Les teneurs en potassium augmentent également dans ces parcelles.

Les vignerons en viticulture biologique cherchent à améliorer le fonctionnement biologique du sol. Selon vos résultats, ces objectifs sont-ils atteints ?

P. C. : Les parcelles en viticulture biologique que j'ai étudiées abritent plus de nématodes bactérivores et fongivores, avec respectivement 35 et 97 % de plus après dix-sept ans de viticulture biologique. Ces résultats s'expliquent par l'augmentation de l'abondance des micro-organismes, principalement des bactéries et des champignons, que ces nématodes consomment. Le fonctionnement du sol a même été modifié.

Dans les sols en bio, la décomposition de la matière organique est davantage réalisée par voie fongique que par voie bactérienne. L'activité biologique est plus importante, mais la chaîne trophique (alimentaire, NDLR) du sol n'est pas plus longue ni plus complexe. Malgré une augmentation de l'abondance de la plupart des nématodes, la viticulture biologique n'a pas entraîné une plus grande diversité des espèces de nématodes dans nos observations.

De plus, si l'on prend en compte différents indices écologiques calculés sur la base de la composition de la nématofaune, la conversion à la viticulture biologique n'a pas conduit à un environnement moins perturbé pour les organismes du sol.

Qu'en est-il des effets du travail du sol en viticulture biologique sur les vers de terre ?

P. C. : Nous avons observé que l'abondance des vers de terre endogés est plus faible dans les parcelles en viticulture biologique qu'en viticulture conventionnelle, avec une baisse de 65 % après dix-sept ans.

Ces résultats traduisent les effets négatifs d'un travail du sol plus en profond (25 cm au lieu de 15 cm) et plus fréquent (quatre fois par an au lieu de deux) en bio.

Est-ce une surprise ?

P. C. : Les effets négatifs du travail du sol sur les organismes du sol ont été mis en évidence par de nombreux auteurs sur des cultures différentes. De plus, la compaction du sol due à l'augmentation du nombre de passages d'engins et à l'accumulation du cuivre dans les sols peut conduire à un environnement peu propice au développement de certains organismes.

Ainsi, deux genres de nématodes, les Acrobeles et les Prismatolaimus, ont vu leur abondance diminuer respectivement de 71 et 62 % après dix-sept ans de viticulture biologique.

Les indicateurs de qualité du sol réagissent-ils rapidement après le passage en viticulture biologique ?

P. C. : Nous n'avons pas constaté de différences significatives avant onze ans de viticulture biologique pour les teneurs en carbone organique total, en azote total, en potassium disponible et en biomasse microbienne. Dans notre étude, une période de transition de sept à onze ans a été nécessaire pour discriminer clairement les pratiques conventionnelles de celles organiques.

Finalement la qualité globale du sol s'améliore-t-elle en bio ?

P. C. : Malgré la diversité de nos indicateurs, il nous a été difficile de montrer une amélioration nette de la qualité globale du sol après conversion à la viticulture biologique. La réponse est complexe, car certains indicateurs rendent compte des effets positifs de la viticulture biologique alors que d'autres traduisent qu'elle a des effets peu propices aux développements des organismes. Toutefois, notre étude concerne un seul type de sol, dans une région bien précise, avec des itinéraires culturaux conventionnel et biologique particuliers. Ces derniers sont d'ailleurs assez proches.

Quelles solutions peuvent être mises en œuvre pour contrer les effets néfastes que vous avez constatés ?

P. C. : On peut changer de type de travail du sol, afin de limiter au maximum les perturbations. Sur le domaine étudié, il a d'ailleurs été décidé de travailler moins profondément et sans retourner le sol. Il est également souhaitable de réduire le nombre de travaux du sol et d'intervenir lorsque les conditions d'humidité du sol sont optimales pour assurer un travail de qualité et un tassement réduit. Opter pour un enherbement composé de légumineuses peut aussi être intéressant. Outre leur capacité à fixer l'azote atmosphérique, certaines légumineuses ont un cycle végétatif très court qui se termine aux alentours du mois de mai. Cet enherbement n'est donc pas compétitif pour la vigne. D'autres solutions peuvent être envisagées en associant différentes pratiques culturales au sein d'une même parcelle, comme enherber un rang sur deux et gérer le couvert végétal par tonte ou avec un rolofaca. Malheureusement, il n'existe pas de solution unique pour la gestion du sol en viticulture qui soit compatible avec les préoccupations économiques et environnementales. Des expérimentations sont nécessaires pour trouver le mode de gestion du sol adapté aux conditions pédoclimatiques des parcelles et aux contraintes de l'exploitation (prise de risque, coût, temps de travail…).

14 parcelles en bio, 10 en conventionnel

Patrice Coll a réalisé son étude en 2009 dans un vignoble en bio à Cruscades, dans l'Aude, et dans des parcelles en viticulture conventionnelle alentour. Au total, il a étudié 24 parcelles partageant les mêmes conditions pédoclimatiques. Quatorze d'entre elles sont conduites en bio : travail du sol à 10 cm de profondeur sur le rang et à 25 cm sur l'interrang, fertilisation organique, huit traitements en moyenne par an avec des produits naturels et dix-huit passages de tracteur par an. Quatre parcelles sont en bio depuis sept ans au moment de l'étude, cinq le sont depuis onze ans et cinq autres depuis dix-sept ans. Les dix autres parcelles étudiées sont désherbées chimiquement sous le rang avec du glyphosate et travaillées sur l'interrang à 15 cm de profondeur. Elles reçoivent six traitements en moyenne par an avec des produits de synthèse ou naturels. Tout cela fait quatorze passages de tracteur par an. La thèse de Patrice Coll, financée par l'Ademe et Montpellier SupAgro, a été conduite à l'UMR Éco&sols avec Cécile Villenave et Édith Le Cadre.

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PARCOURS

Issu d'une famille de viticulteurs des Corbières (Aude).

Docteur en écologie des sols viticoles.

A soutenu sa thèse « La qualité des sols viticoles en Languedoc-Roussillon, effets des pratiques viticoles » en décembre 2011, à l'UMR Éco&sols (Inra, IRD, Montpellier SupAgro et Cirad).

Ingénieur agronome spécialisé en viticulture et œnologie, diplômé de Montpellier SupAgro.

Titulaire du diplôme national d'œnologue.

A enseigné à Montpellier SupAgro, aux universités Montpellier I et II, à l'École supérieure d'agriculture d'Angers (Maine-et-Loire).

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