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Philippe Reynaud, chef de la section viticulture à la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) « Pas question de révolutionner le casier viticole »

Propos recueillis par Aurélia Autexier - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 12

De récents contrôles opérés par les douanes à l'aide de GPS ont abouti à des redressements de superficies inscrites dans le casier viticole informatisé, provoquant l'émoi dans la profession. La DGDDI joue l'apaisement et clarifie sa doctrine.
 © Y. CAINJO/GFA

© Y. CAINJO/GFA

LA VIGNE : Certains contrôles récents effectués à l'aide d'outils GPS ont laissé penser qu'il y avait de nouvelles modalités de mesurage des surfaces. Qu'en est-il ?

Philippe Reynaud : Qu'on se rassure, la révolution du casier viticole informatisé (CVI) n'est pas à l'ordre du jour. Je tiens d'abord à rappeler que la douane est chargée de la bonne tenue du CVI dans le cadre d'une réglementation communautaire stricte liée à l'interdiction de planter et à la régulation du potentiel de production. La surface cadastrale reste la référence. Mais il se trouve qu'en matière de contrôles effectués par FranceAgriMer pour le versement des primes d'arrachage ou de replantation, Bruxelles a mis en place une procédure stricte de mesurage des surfaces replantées ou à arracher. Le contrôle est très précis et s'opère avec un GPS inframétrique. La mesure s'effectue au ras des souches et on y ajoute un demi-interrang. Or, est intégrée dans le CVI la superficie correspondant aux droits de plantation, c'est-à-dire une superficie plus large, incluant les tournières et les éléments indispensables à la culture de la vigne. Il y a peut-être eu des confusions entre les deux façons de contrôler…

Vos services ont rencontré la Cnaoc sur ce sujet, le 9 mai. Êtes-vous parvenu à un consensus ?

P. R. : Il y a deux ans, nous avions déjà eu des échanges sur le sujet. À l'époque, des contrôles par photographie aérienne avaient déclenché la polémique, notamment en Provence. Nous avions alors arrêté deux règles : l'obligation pour les contrôleurs de se rendre sur le terrain et l'obligation de prévenir le vigneron au moment du contrôle. Les récentes rencontres avec la profession viticole ont été l'occasion de préciser un peu plus les choses… Nous avons convenu que la systématisation du GPS n'était pas une bonne chose. Le mieux est de partir de la superficie inscrite au CVI – dans un grand nombre de cas, quand la parcelle est plantée dans sa totalité, il s'agit de la surface cadastrale – et de voir sur le terrain, à l'oeil nu, si certains éléments doivent en être retirés. Cette appréciation sera laissée au pouvoir discrétionnaire des contrôleurs. Toutefois, nous avons décidé que les tournières et les éléments du patrimoine viticole, comme les talus propres aux vignes plantées en coteaux, ne devaient pas venir en réduction de la surface enregistrée au CVI. L'idée est que, sur le terrain, contrôleurs et viticulteurs trouvent un consensus.

Ces éléments du patrimoine viticole vont-ils être listés ?

P. R. : Je ne le souhaite pas. Un talus peut être nécessaire pour stabiliser une vigne en pente alors qu'il n'a pas de raison d'être dans une parcelle plane… Tout dépend de la réalité de terrain. On a aussi parlé des cabanons en pierre. Leur sort n'est pas tranché. Une chose est sûre, si on a du mal à définir une liste positive de ces éléments du patrimoine viticole, on connaît tous ceux qui ne le sont pas. Ainsi, un bois planté ne peut pas être un élément du patrimoine viticole…

Comptez-vous mettre par écrit cette doctrine administrative ?

P. R. : Comme la Cnaoc nous a interpellés sur le sujet, nous allons lui répondre par écrit. Ce courrier vaudra circulaire pour la profession et instruction pour nos services.

En cas de désaccord, qui tranchera ?

P. R. : Les vignerons pourront toujours effectuer un recours gracieux ou hiérarchique. Ils peuvent aussi aller au contentieux.

En cas de redressement du CVI, y aura-t-il forcément des pénalités ?

P. R. : Non. Pas si le vigneron est de bonne foi. Imaginons par exemple une parcelle avec un cabanon qui n'est pas retenu comme élément du patrimoine viticole. La donnée inscrite au CVI va être abaissée pour retirer la superficie représentée par ce cabanon. Dans le même temps, le vigneron récupérera des droits de plantation en portefeuille pour lui permettre de planter une surface équivalente à celle du cabanon.

Doit-on s'attendre à des contrôles systématiques ?

P. R. : Non, pas du tout. De toute façon, cela ne serait pas possible. Le CVI compte environ 2 millions de parcelles cadastrales et environ 3,5 millions de sous-parcelles distinctement plantées. Or, pour les contrôler, nous disposons de 450 douaniers… Il est important de rappeler que la douane s'attache prioritairement à contrôler les déclarations d'arrachage et de plantation afin de respecter les règles communautaires liées à l'interdiction de planter ! Notre but demeure d'établir un dialogue avec les viticulteurs, afin que le CVI demeure l'outil de référence de pilotage de la filière.

Deux arguments : un technique, l'autre économique

« Dans nos discussions avec les douanes, nous avons mis en avant deux arguments : l'un technique et l'autre économique, explique Philippe Pellaton, viticulteur dans les côtes du Rhône, chargé du dossier à la Cnaoc. En premier lieu, étude de terrain à l'appui, nous leur avons démontré que la surface plantée était bien corrélée à la surface cadastrale mais qu'il faut aussi tenir compte des caractéristiques propres au terrain. En second lieu, nous avons insisté sur l'impact économique qu'aurait un changement de modalités de mesurage des superficies viticoles. » Le calcul du rendement d'une exploitation s'effectue en fonction de la superficie de son domaine. « Si, du jour au lendemain, on réduit cette superficie, on lui retire forcément du revenu et, dans de nombreux cas, on risque tout bonnement de perdre la marge… »

Jérôme Bouletin, vigneron à Beaumes-de-Venise (Vaucluse) « Je suis un bouc émissaire qui a payé 12 000 euros d'amende »

 © A. AUTEXIER

© A. AUTEXIER

« En mai 2008, j'ai été contrôlé par les douanes. Ce contrôle a montré un différentiel de stocks de capsules que je n'ai pas contesté pas. J'ai réglé les pénalités sans sourciller. En partant, les douaniers m'ont annoncé qu'ils reviendraient pour le parcellaire. Ce second contrôle a été effectué, pendant l'été, sans que j'en sois averti. Au mois d'octobre, j'ai été convoqué par les services d'Avignon (Vaucluse). Et là, le ciel m'est tombé sur la tête ! Il y avait des différentiels de superficies entre les données inscrites dans mon casier viticole informatisé (CVI) et le relevé GPS des douanes. Selon les parcelles, les écarts allaient de 10 à 40 %. J'ai, par exemple, des vignes plantées en terrasse. Pour chacune de ces parcelles, les contrôleurs avaient retiré la surface représentant les talus. Pour d'autres, les réfactions correspondaient aux tournières… J'ai tenté de prouver ma bonne foi, par exemple en montrant les actes de propriété de mes parcelles. La superficie que j'avais achetée était bien celle figurant au CVI. Pour autant, mes interlocuteurs ne voulaient rien entendre. Pour eux, j'étais un fraudeur. Preuve de ce parti pris : ce contrôle a fait apparaître des erreurs des douanes, notamment l'oubli d'une parcelle plantée par mon grand-père. Quand je le leur ai dit, ils m'ont répondu qu'il ne fallait pas leur faire le coup de la parcelle sortie du chapeau ! Une fois les documents sous les yeux, ils ont bien voulu rectifier le tir pour cette erreur mais, pour le reste, ils ont conclu à la fausse déclaration. Selon eux, seules les superficies plantées en vigne devaient figurer dans le CVI. C'est une règle que l'on peut comprendre, encore faut-il prévenir que c'est la nouvelle règle ! Depuis toujours, c'était la surface cadastrale qui faisait foi. Ils m'ont donc dressé un PV.

La somme des rectificatifs totalisait 4,60 ha qui ont été retirés de mon CVI. Cela représente plus de 10 % de mes surfaces. À cela s'est ajouté une amende de 33 000 euros. Je devais aussi distiller 100 hl de millésime 2008 que j'avais encore en cave. Ce volume était considéré comme récolté en trop puisque la surface de référence était désormais plus petite. J'étais au fond du trou. J'ai pensé que l'exploitation allait couler.

Dans ces moments-là, le soutien des proches est primordial. Au final, j'ai décidé de me battre pour sauver le domaine familial qui existe depuis cinq générations. J'ai négocié pied à pied le PV avec les services régionaux d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). J'ai expliqué qu'une sanction trop sévère mettrait en jeu la pérennité de l'exploitation qui embauche deux salariés et des occasionnels. Au final, j'ai fait ramener l'amende à 12 000 euros. Je viens de finir de les payer à raison de 1 000 euros par mois.

Avec du recul, je n'aurais jamais dû accepter cette transaction. Aujourd'hui, l'administration semble faire marche arrière sur sa procédure de mesurage, mais je ne sais pas comment je vais récupérer l'argent versé ni mes superficies retirées… »

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