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ACTUS - RÉGIONS

COGNAC Le négoce veut des plantations

Myriam Guillemaud - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 14

Plusieurs représentants du négoce ont lancé un pavé dans la marre en souhaitant que le vignoble de Cognac s'étende. Les viticulteurs n'y sont pas opposés, mais sous conditions.
Actuellement, le vignoble de Cognac ne bénéfie pas de nouveaux droits de plantation, mais plusieurs négociants se sont prononcés en faveur d'un agrandissement du vignoble. © O. SAUVAITRE

Actuellement, le vignoble de Cognac ne bénéfie pas de nouveaux droits de plantation, mais plusieurs négociants se sont prononcés en faveur d'un agrandissement du vignoble. © O. SAUVAITRE

Yann Fillioux, représentant du négoce au Bureau national interprofessionnel du cognac. © M. GUILLEMAUD

Yann Fillioux, représentant du négoce au Bureau national interprofessionnel du cognac. © M. GUILLEMAUD

Les 77 000 hectares du vignoble charentais permettent d'honorer la demande du négoce. Mais si les expéditions continuent de progresser au rythme actuel de 5 % par an, ils pourraient ne plus y suffire. « Le sentiment du négoce, c'est que les choses vont bien et que la demande est appréciable, observe Yann Fillioux, représentant de cette famille au Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) et maître de chai de la maison Hennessy, la première de Cognac (Charente). Il y aurait même des tensions dans l'approvisionnement, selon certains d'entre nous. Ce sont des signes favorables pour l'avenir… »

Devant ces signes, plusieurs négociants, et non des moindres, ont mis les pieds dans le plat. Début mai, Bernard Peillon, PDG de Hennessy, Lionel Breton, PDG de Martell (nouveau numéro 2 à Cognac), et Jérôme Royer, responsable des approvisionnements de Louis-Royer, ont fait savoir qu'il était temps d'envisager un agrandissement du vignoble. Jérôme Royer évoque même un besoin de 7 000 à 8 000 ha supplémentaires, soit 10 % de la surface actuelle.

Évaluer les débouchés

Ces appels du pied ont fait l'effet d'une bombe dans une région très mobilisée contre la libéralisation des droits de plantation. « Notre rôle est de préparer non seulement le court terme, mais aussi les moyen et long termes, rappelle Yann Fillioux. Concernant les plantations, il y a un délai important entre la prise de décision et l'entrée en production des vignes. Il est donc tout à fait légitime de poser la question maintenant : dans cinq ans, dans huit ans, le vignoble sera-t-il en adéquation avec les besoins du marché ? Si la région va vers un doublement de ses sorties, nous devons savoir quand cela va se produire et mettre en place un compte à rebours. »

Une étude avait été réalisée en 2008, juste avant la crise, sur les perspectives du cognac. Lors de sa dernière séance, le BNIC a décidé de l'actualiser pour évaluer les débouchés d'ici cinq à dix ans. Ce travail devrait se faire avant la fin de l'année. « Nous aurons alors des éléments concrets sur nos besoins, explique Yann Fillioux. À partir de là, nous pourrons nous poser les bonnes questions quant aux besoins de la viticulture et du négoce et quant à l'adéquation du vignoble au marché. »

Des contrats plus longs, des prix plus hauts

Comme c'est d'usage à Cognac, l'étude sera analysée par le négoce et la viticulture, puis elle fera l'objet d'un débat au BNIC. Elle devrait permettre de définir combien il faudra planter de vignes nouvelles et à quel rythme.

Sans présager des résultats, Yann Fillioux rappelle aussi que le rendement moyen fixé par l'interprofession sur les dix dernières années a été de 11,11 hl d'alcool pur par hectare. « Nous ne sommes pas loin du potentiel de production du vignoble », souligne-t-il. Ainsi, si la demande en cognac continue de croître, le rendement ne pourra servir de variable d'ajustement qu'un temps.

Sans attendre les débats à venir, la viticulture a pris position sur la question. Elle indique qu'elle n'est a priori pas opposée à une extension du vignoble, mais elle exige un partage de la prise de risque. Elle rappelle que, de la plantation à l'arrivée en production, l'investissement dans un hectare de vigne est de l'ordre de 20 000 euros. Il n'est pas question que les viticulteurs l'assument seuls. Ils demandent au négoce des contreparties qui pourraient passer par des allongements de contrats et une revalorisation des prix.

Un énorme retard de renouvellement

Le négoce assure qu'il les accompagnera dans leurs efforts. Il souligne qu'il le fait déjà, contractualisant à tout va. Mais les producteurs restent méfiants : il y a deux ans encore, aucun nouveau contrat n'était signé et certains anciens étaient même revus à la baisse. C'était après la crise bancaire qui était partie des États-Unis.

Surtout, les viticulteurs soulèvent le fait qu'il y a d'autres solutions à mettre en œuvre avant d'accroître les surfaces. À commencer par le renouvellement du vignoble en place, qui a pris énormément de retard ces dernières années. « À terme, nous risquons de ne plus être capables de répondre aux attentes du négoce », prévient Christophe Forget, le président de l'UGVC (Union générale des viticulteurs pour l'appellation Cognac).

De 1997 à 2001, alors que le cognac était en pleine crise, le renouvellement était inférieur à 1 % par an. Puis il a progressé d'année en année pour atteindre 2,2 % l'an dernier. Mais ce taux reste trop faible, puisqu'il devrait être de 3 % par an en vitesse de croisière. Et le retard pris au cours des quinze dernières années est tel qu'il faudrait aller bien au-delà de ce rythme pour le rattraper.

Là encore, les viticulteurs demandent l'accompagnement du négoce. « Nous avons besoin d'une revalorisation des prix pour pouvoir investir », indique Christophe Forget. L'UGVC rencontre en ce moment les négociants.

Des discussions en cours devraient aboutir d'ici aux vendanges. « Le négoce doit accepter de réduire un peu ses marges pour, à terme, gagner davantage sur les volumes. »

Pas de droits nouveaux pour le cognac

Jusqu'à leur distillation, les vins de la région de Cognac (Charente) ne bénéficient pas de l'appellation. Ce ne sont que des vins sans indication géographique. Comme la France ne délivre aucun droit nouveau pour la plantation de vins sans IG, il est impossible pour les Charentais d'en obtenir pour planter en cognac. Seuls les IGP ont accès à des droits nouveaux. La seule possibilité d'accroître le vignoble, en dehors d'une nouvelle réglementation, est de changer la destination des vignes au terme des dix ans durant lesquels elles ne doivent être consacrées qu'à la production de vins de pays. C'est ce qui se passe actuellement pour des vignes plantées au début des années 2000 grâce aux aides à la reconversion. Cela représente une surface totale de 4 000 ha dont une partie pourrait peu à peu basculer des vins de pays vers le cognac.

Des stocks à reconstituer

L'an dernier, avec un rendement moyen de 11 hl d'alcool pur (AP) par hectare et des surfaces en vigne de 77 000 ha, la région a produit près de 850 000 hl d'alcool pur destinés au cognac. Or, les sorties se sont élevées à 504 000 hl d'alcool pur au cours des douze derniers mois (de mai 2011 à avril 2012). Même en prenant en compte les 70 000 hl d'évaporation annuelle d'AP, il reste une marge suffisante entre la production et les besoins du négoce. « Mais nous devons stocker plus que ce que nous vendons aujourd'hui, nous voulons préparer des ventes plus importantes demain, indique Yann Fillioux, représentant du négoce au Bureau national interprofessionnel du cognac. Certes, il reste encore une marge de manœuvre. Mais avec des perspectives de cinq à dix ans, peut-être n'en reste-t-il pas tant que cela… »

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