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DOSSIER - MARINE BALUE - Le nouveau monde des levures

Le nouveau monde des levures

La vigne - n°243 - juin 2012 - page 28

Chercheurs et industriels découvrent toute l'étendue du potentiel œnologique des levures non-Saccharomyces. Des souches sélectionnées de ces nouvelles espèces fleurissent sur le marché. Elles sont censées amener complexité aromatique et équilibre, tout en garantissant la sécurité fermentaire.
Le laboratoire de la société Lallemand, à Blagnac (Haute-Garonne), réalise de la sélection de levures. PHOTOS L. Carpentier

Le laboratoire de la société Lallemand, à Blagnac (Haute-Garonne), réalise de la sélection de levures. PHOTOS L. Carpentier

Une des premières étapes de la sélection consiste à étaler les levures sur un milieu gélosé sélectif, sur lequel ne vont croître que les levures intéressantes.

Une des premières étapes de la sélection consiste à étaler les levures sur un milieu gélosé sélectif, sur lequel ne vont croître que les levures intéressantes.

Une fois que les levures ont poussé sur le milieu nutritif, les chercheurs comptent les colonies (en unités formant colonies/ml ou UFC/ml) pour contrôler leur viabilité et leur multiplication. Ici, le comptage est électronique

Une fois que les levures ont poussé sur le milieu nutritif, les chercheurs comptent les colonies (en unités formant colonies/ml ou UFC/ml) pour contrôler leur viabilité et leur multiplication. Ici, le comptage est électronique

Avant de valider le choix final de la levure, elle est mise à fermenter dans un microfermenteur pour caractériser ses propriétés oenologiques.

Avant de valider le choix final de la levure, elle est mise à fermenter dans un microfermenteur pour caractériser ses propriétés oenologiques.

C'en est fini du monopole de Saccharomyces cerevisiae. Elle, la seule espèce capable de terminer une fermentation alcoolique. Elle, sur qui les travaux de sélection se sont focalisés depuis les années soixante-dix. Elle, qui était la seule disponible sous forme de levures sèches actives (LSA), devra désormais compter sur ses concurrentes : Torulaspora, Pichia, Candida et autres Hanseniaspora… Des levures toutes plus nombreuses dans les moûts non levurés que les Saccharomyces. « Au début des années 2000, des industriels se plaignaient que les souches sélectionnées de S. cerevisiae avaient des limites au niveau aromatique, qu'elles ne sortaient pas des sentiers battus, constate Jean-Michel Salmon, chercheur à l'Inra de Montpellier (Hérault) et de Pech-Rouge. Nous avons alors vu l'intérêt de travailler sur les flores complexes des fermentations alcooliques spontanées. » Convaincus que la richesse aromatique des vins issus de fermentations spontanées réussies provient de la diversité d'espèces de levures qu'elles impliquent, les chercheurs et les firmes œnologiques ont ouvert une nouvelle porte sur le monde des fermentations.

Trois flores se succèdent en vinification

La société danoise Chr. Hansen est la première à avoir misé sur ces espèces délaissées. « Trois flores se succèdent en vinification : les non-Saccharomyces, les Saccharomyces et la flore bactérienne, expose Laurent Hubert, directeur marketing vin et boissons fermentées chez Chr. Hansen. Notre entreprise connaît très bien les bactéries. Les Saccharomyces sont largement étudiées. Mais l'étude des non-Saccharomyces a été délaissée depuis plus de vingt ans. » Chr. Hansen a profité de son savoir-faire en agroalimentaire et de son expertise des non-Saccharomyces pour les développer dans le secteur de l'œnologie. Dès 2004, la firme a proposé des mélanges de S. cerevisiae avec d'autres espèces sous forme de LSA. Puis, en 2009, c'est elle qui a lancé la première souche pure de Torulaspora delbrueckii, une levure à utiliser en début de fermentation alcoolique, avant une Saccharomyces. « Sur dix à douze espèces de levures présentes dans les moûts, cinq ou six présentent un intérêt œnologique. Torulaspora delbrueckii en fait partie. De plus, cette espèce présente une variété de souches très intéressante », détaille Laurent Hubert.

Il explique que l'objectif de Chr. Hansen avec cette espèce est d'augmenter l'extraction d'arômes, de gagner du volume et de la longueur en bouche et d'améliorer l'équilibre acide du vin. L'entreprise a sélectionné une souche polyvalente : « Elle convient aux blancs comme aux rouges, auxquels elle confère des notes de rose et de violette, ainsi qu'une note caractéristique de caramel, intéressante pour les vins élevés en barrique ou avec des copeaux », assure Laurent Hubert. La société a désormais huit ans de recul sur Torulaspora delbrueckii.

Torulsapora, premier sujet de recherche

Depuis le début, c'est cette espèce qui suscite le plus d'attention. Ainsi, en 2002, l'Inra de Montpellier l'a choisie pour réaliser des essais. « Sur la quinzaine d'espèces que nous avons observées, T. delbrueckii ressortait parmi les meilleures, surtout pour ses propriétés œnologiques, justifie Jean- Michel Salmon, chercheur à l'Inra. De plus, elle est souvent retrouvée dans le milieu vin, auquel elle est bien adaptée. » Cette espèce est tolérante au SO2, elle est capable de bien démarrer une fermentation et ne présente pas d'incompatibilité avec les Saccharomyces… « Elle ne forme pas beaucoup d'alcool, mais ce n'est pas ce qui est recherché. Le plus important, c'est qu'elle est très active en début de fermentation, ce qui lui permet d'avoir un impact aromatique positif sur le vin. » Utilisée avec une souche de S. cerevisiae, T. delbrueckii reste en effet dans le moût jusqu'à 75 % du temps de la fermentation. « Sur ce point, elle est supérieure à d'autres non-Saccharomyces », poursuit Jean-Michel Salmon.

L'Inra a testé une souche de T. delbrueckii de sa propre collection sur des moûts de maccabeu, un cépage assez neutre au niveau aromatique. Les chercheurs l'ont associée à une souche sélectionnée de S. cerevisiae. Les analyses d'arômes et les dégustations ont révélé davantage d'esters que dans les vins fermentés avec la Saccharomyces seule. Les notes florales et de fruits cuits sont ressorties plus intensément. Et les vins ont présenté plus de sucrosité en bouche. « Cela vaut le coup d'investir dans de telles levures, car cela peut toujours amener de la complexité aromatique au vin, suggère Jean-Michel Salmon. Néanmoins, il faudra un peu de temps pour qu'elles se développent sur le terrain, pour faire accepter aux vinificateurs de changer leurs habitudes : en pratique, réaliser deux levurages au lieu d'un n'est pas toujours simple. »

Chez Lallemand, la biodiversité des levures est également un thème de recherche depuis sept ou huit ans. En 2010, suite à un partenariat avec l'Inra, la société a à son tour lancé une souche de T. delbrueckii, associée à une S. cerevisiae. « Parfois, la flore indigène a un intérêt organoleptique. Mais lorsqu'on ne levure pas et qu'on ne maîtrise pas les fermentations, le risque de déviation est trop grand. Nous avons cherché un moyen de profiter des bénéfices organoleptiques des levures indigènes, tout en maîtrisant le processus », argumente Anthony Silvano, responsable développement et applications œnologiques chez Lallemand.

Plus de fruité et moins d'acidité volatile

La souche sélectionnée, la TD291, produit notamment deux marqueurs aromatiques, typiques de l'espèce. « Ces deux esters, le propionate d'éthyle et le 2-méthyl-propionate d'éthyle, bien que minoritaires, participent à l'expression fruitée des vins. On les retrouve en général après des fermentations spontanées réussies », précise Olivier Pillet, responsable développement et applications à l'Institut œnologique de Champagne, partenaire de Lallemand. D'après lui, il existe une grande variabilité dans l'aptitude des différentes souches de T. delbrueckii à former ces esters, mais TD291 est très performante en la matière. Autre avantage de l'espèce ? « T. delbrueckii entraîne jusqu'à 40 % d'acidité volatile en moins par rapport à S. cerevisiae », répond Olivier Pillet. C'est d'ailleurs cette propriété qui a intéressé la société Laffort. « Nous travaillions particulièrement sur les vins blancs liquoreux et nous cherchions à limiter le niveau d'acidité volatile dans ces vins, expose Vincent Renouf, directeur technique de Laffort. Denis Dubourdieu, notre conseiller scientifique, nous a orientés vers les levures non- Saccharomyces. »

En 2006, après avoir encadré deux thèses sur l'écologie microbienne des fermentations, Laffort a sélectionné une souche de T. delbrueckii. « Dans la bibliographie, on voit que les Torulaspora résistent bien au choc osmotique, qui est important dans les vins riches en sucres, explique Vincent Renouf. Nous avons émis l 'hypothèse qu'elles produisent moins d'acide acétique que les Saccharomyces. » Les essais réalisés avec cette souche montrent en effet une bonne diminution de l'acidité volatile, autour de 30 % par rapport à des fermentations avec une Saccharomyces sélectionnée seule.

Employée sur moûts rouges, la Torulaspora de Laffort a révélé un autre intérêt. Elle procure pas mal de volume et de gras en bouche. La firme la préconise donc aussi pour les vins rouges très structurés.

« Elle contribue un peu à la complexité aromatique, ajoute Vincent Renouf. Et comme cette espèce résiste mieux aux basses températures que S. cerevisiae, elle est idéale pour les macérations préfermentaires à froid. » Enfin, elle ne présente pas d'incompatibilité avec S. cerevisiae ni avec les bactéries lactiques lors de co-inoculations et n'est pas plus avide en azote que S. cerevisiae.

« Les Torulaspora sont plus difficiles à produire sous forme de LSA que les Saccharomyces. Mais notre souche présente une bonne aptitude au séchage et à la production industrielle », précise enfin Vincent Renouf.

Une espèce désacidifiante prometteuse

Le champ des non-Saccharomyces ne s'arrête pas aux Torulaspora. D'autres espèces font l'objet de recherches, d'essais de production industrielle ou sont même déjà disponibles sur le marché.

L'Institut français de la vigne et du vin (IFV) de la région nantaise travaille depuis le début des années 2000 sur le genre Hanseniaspora. « L'idée de départ était de diminuer l'acidité très élevée des moûts de muscadet, sans marquer les vins par une malo », relate Alain Poulard, directeur de l'IFV de Nantes (Loire-Atlantique). En testant une petite collection de levures apiculées sur des moûts de diverses régions, l'IFV a mis en évidence que des souches de Hanseniaspora occidentalis étaient capables de dégrader entre 40 et 80 % de l'acide malique du melon, le cépage du muscadet, sans produire d'acide lactique. Cerise sur le gâteau, la souche Hoc 2.0 sélectionnée par l'IFV génère très peu d'acidité volatile et d'acétate d'éthyle. Elle combine très peu le SO2 et elle forme très peu d'alcool. Elle s'adapte donc bien à un usage en début de fermentation alcoolique. « Cette levure est très intéressante pour les blancs et les rosés de la région, sur des cuvées d'assemblage par exemple, assure Alain Poulard. Mais il est préférable de l'éviter sur les rouges, qui nécessitent de l'acide lactique, pour l'équilibre en bouche. » Par rapport aux levures démalicantes Schizosaccharomyces pombe, déjà connues et commercialisées, Hoc 2.0 devrait coûter moins cher. « Elle laisse plus de possibilité à S. cerevisiae de se développer pour la suite de la fermentation », indique aussi Alain Poulard. Actuellement, un fabricant fait des essais de production industrielle avec cette souche.

Des espèces gourmandes en azote

Depuis 2007, l'IFV mène des essais avec d'autres espèces non-Saccharomyces. Il a testé quelques souches de T. delbrueckii en laboratoire et dans son chai expérimental sur des moûts de melon. Mais aussi des souches de Candida pyralidae, Candida xestobii et Candida intermedia. Toujours en association avec une S. cerevisiae.

Les analyses d'arômes et les dégustations montrent un gain de complexité et d'arômes fruités et fermentaires dans les vins élaborés à l'aide de levains mixtes. « Avec ces espèces, nous avons dû faire attention à avoir assez d'azote, met toutefois en garde Alain Poulard. Nous avons ajusté les moûts à 220 mg/l d'azote assimilable pour éviter les fermentations languissantes. »

Candida pyralidae, qui produit beaucoup d'esters, a été retenue pour des essais industriels. Cette levure purement oxydative forme un voile à la surface du moût et ne produit pas du tout d'alcool. « Mais l'important, c'est son impact aromatique », rappelle Alain Poulard.

L'exploration des levures indigènes va-t-elle s'arrêter là ? Certainement pas : « Nous avons commencé par les espèces les plus évidentes, mais nous sommes loin d'avoir fait le tour de la question », reconnaît Alain Poulard. Pour les vendanges 2012, l'IFV mettra ainsi à l'essai d'autres levures, parmi lesquelles Metschnikowia pulcherrima.

Cette espèce au nom barbare est en fait très fréquente dans les moûts. L'université de Santiago du Chili, en collaboration avec la société Lallemand, s'y intéresse aussi. Entre 2008 et 2010, ces chercheurs ont sélectionné plusieurs levures non-Saccharomyces dans des moûts chiliens. Parmi celles-ci, la souche LB de M. pulcherrima a montré une activité enzymatique α-rabinofuranosidase importante. Un signe qu'elle peut libérer plus d'arômes que d'autres levures.

Des microvinifications de muscat d'Alexandrie, puis des vinifications de sauvignon blanc à grande échelle ont déjà donné de très bons résultats : les caractères floraux et fruités sont jugés plus intenses que dans les vins élaborés avec une Saccharomyces seule. « Il s'agit d'une des sélections les plus abouties, très prometteuse et dont la mise à disposition sur le marché ne devrait pas tarder », annonce Anthony Silvano, chez Lallemand.

Un monde fascinant

« Le monde des non-Saccharomyces est fascinant, surtout pour des férus de biotechnologie, poursuit Laurent Hubert, chez Chr. Hansen. Le genre Torulaspora semble plus vaste encore que le genre Saccharomyces. Cela nous ouvre de nombreuses perspectives. »

La société a même fait des espèces non-Saccharomyces une spécialité. Après T. delbrueckii, elle a lancé l'an dernier une souche de Pichia kluyveri, découverte par l'université d'Auckland (Nouvelle-Zélande). D'après Chr. Hansen, cette levure améliore la libération d'arômes à partir des précurseurs. Elle serait donc plutôt adaptée aux cépages variétaux, comme le sauvignon ou les cépages alsaciens. « Elle est aussi très efficace sur des cépages plus neutres comme le chardonnay ou le muscadet, où le résultat aromatique est rapidement et fortement perceptible », ajoute Laurent Hubert.

Deux à dix fois plus chères

Lors des essais réalisés sur le terrain, P. kluyveri a aussi montré des propriétés antioxydantes : la levure étant particulièrement consommatrice d'oxygène pendant sa phase de multiplication. Chr. Hansen est en train d'étudier en détail cette propriété.

Enfin, dès les prochaines vendanges, la ferme proposera en France une souche de Kluyveromyces thermotolerans. Sélectionnée dans des moûts de régions chaudes, elle sera destinée aux vins rouges produits sous un climat méditerranéen. « Elle résiste à des températures assez élevées, décrit Laurent Hubert. Elle produit de l'acide lactique à partir des sucres, ce qui apporte de la rondeur en bouche, et elle libère des arômes de fruits noirs. »

Ces nouvelles espèces de levures ne ciblent pour l'instant qu'un marché de niche. Peut-être en partie à cause de leur prix : de 70 à 200 €/kg, contre 20 à 40 €/kg pour des levures classiques. Toutefois, les firmes œnologiques se mobilisent pour conquérir de nouveaux clients. Plus qu'un rôle de pionnier, Chr. Hansen joue aujourd'hui un rôle de leader sur ce nouveau secteur. Mais gageons que les autres le rattraperont très vite.

Deux inoculations valent mieux qu'une

Peu résistantes à l'alcool, les levures non-Saccharomyces ne sont pas capables de réaliser une fermentation alcoolique (FA) complète. Elles doivent donc être associées à une souche de Saccharomyces cerevisiae qui termine la FA. Doit-on introduire les deux espèces en même temps ou bien l'une après l'autre ? L'Inra de Montpellier (Hérault) a fait des essais avec T. delbrueckii sur des moûts de maccabeu. Les chercheurs ont inoculé des cuves avec un mélange des deux levures, dans des proportions variables. Ils ont levuré d'autres cuves avec une souche de T. delbrueckii, puis avec une souche de S. cerevisiae après une chute de 20 points de densité. Ils ont comparé ces fermentations à d'autres où la souche de S. cerevisiae était employée seule. « L'inoculation séquentielle donne les meilleurs résultats, au niveau cinétique et surtout aromatique », conclut Jean-Michel Salmon, chercheur à l'Inra. Ce procédé se rapproche de ce qui se passe naturellement dans les fermentations spontanées : les non-Saccharomyces débutent la fermentation, puis les Saccharomyces la terminent. « En co-inoculation, Saccharomyces a tendance à ne pas laisser de chances à Torulaspora de se développer et d'exprimer son propre métabolisme. » Aujourd'hui, les sociétés œnologiques préconisent l'inoculation séquentielle.

Idéales pour l'élevage sur lies

Des chercheurs de l'université polytechnique de Madrid (Espagne) ont voulu sélectionner des levures intéressantes pour l'élevage sur lies de vin rouge. Ils se sont orientés vers l'espèce Schizosaccharomyces pombe, car elle produit beaucoup plus de polysaccharides que Saccharomyces cerevisiae pendant leur autolyse. « Les S. pombe ont une double paroi externe qui leur permet de résister aux fortes pressions osmotiques, alors que les Saccharomyces n'en ont qu'une », explique José Antonio Suárez-Lepe, un des chercheurs. De plus, la libération des polysaccharides est beaucoup plus rapide : un mois contre sept à neuf mois avec S. cerevisiae. Et les fragments libérés sont assez gros. Autant de propriétés susceptibles de renforcer l'intérêt de l'élevage sur lies. Les chercheurs ont élevé des vins rouges espagnols en présence de lies de levures S. pombe générées dans des fermenteurs. À la dégustation, ces vins ressortent moins astringents, avec des arômes plus complexes et une couleur plus stable que les témoins.

Elles sont déjà disponibles en France

Chez Chr. Hansen : Melody, mélange de S. cerevisiae, de T. delbrueckii et de K. thermotolerans (38 €/kg). Mais aussi trois levures à utiliser en ensemencement séquentiel : Prelude, une souche de T. delbrueckii (80 €/kg) ; FrootZen, une P. kluyveri sous forme congelée et à ensemencement direct dans le moût (200 €/kg) ; Concerto, une K. thermotolerans qui sortira avant les vendanges 2012.

Chez Laffort : Zymafl ore Alpha, une T. delbrueckii (114 €/kg).

Chez Maurivin : AWRI 1503, hybride de S. cerevisiae et de Saccharomyces kudriavzevii ; AWRI Fusion ou 1502, hybride de S. cerevisiae et de Saccharomyces carionacus.

Trois kits contenant une T. delbrueckii sélectionnée par Lallemand associée à une S. cerevisiae : Level2 TD chez IOC, Tandem chez ICV et Levuline Symbiose chez OEnofrance (autour de 140 euros le kit).

L'hybridation entre Saccharomyces, une autre piste

Des chercheurs de l'IATA, l'institut d'agrochimie et des travaux alimentaires en Espagne, ont suivi la piste des levures Saccharomyces non cerevisiae, comme Saccharomyces kudriavzevii. Cette espèce se rencontre dans la nature mais pas dans les moûts ni dans les vins. Cependant, les chercheurs ont mis en évidence que les moûts d'Europe centrale contenaient fréquemment des hybrides de S. cerevisiae et de S. kudriavzevii. Ils ont aussi trouvé des triples hybrides : S. cerevisiae X S. kudriavzevii X S. bayanus. Ils ont fait fermenter ces hybrides et ont noté qu'ils possèdent une assez bonne résistance à l'alcool et aux hautes teneurs en sucres, un caractère hérité de leur parent S. cerevisiae. Les hybrides ont aussi la capacité de se développer à basse température, comme les S. kudriavzevii. L'IATA étudie la possibilité de produire de tels hybrides non OGM. La société Maurivin propose déjà, sous forme de LSA, un hybride de S. cerevisiae et de S. kudriavzevii (AWRI 1503), ainsi qu'un hybride de S. cerevisiae et de S. cariocanus (AWRI 1502), dont les souches ont été sélectionnées par l'institut australien du vin (AWRI). Maurivin les recommande pour apporter de la complexité aromatique et de la concentration en bouche.

Le Point de vue de

Nicolas Secondé, conseiller œnologue pour le laboratoire Œnolia conseil Immélé de Sigolsheim (Haut-Rhin), a testé Pichia kluyveri

« Une protection contre l'oxydation »

Nicolas Secondé, conseiller oenologue pour le laboratoire OEnolia conseil Immélé de Sigolsheim (Haut-Rhin), a testé Pichia kluyveri

Nicolas Secondé, conseiller oenologue pour le laboratoire OEnolia conseil Immélé de Sigolsheim (Haut-Rhin), a testé Pichia kluyveri

« Lors des vendanges 2011, j'ai suivi avec le laboratoire Œnolia neuf domaines qui ont essayé FrootZen (souche de P. kluyveri). Les vignerons l'ont employée sur du pinot blanc, du riesling ou du muscat. Ils ont inoculé leur moût avec la préparation congelée, puis trois jours après avec une souche classique de S. cerevisiae. En suivant les populations de levures, nous avons noté que la souche de P. kluyveri colonisait très bien le moût, au détriment d'autres microorganismes indésirables. En mesurant l'O2 dissous, nous avons remarqué qu'elle est aussi très avide d'oxygène, surtout pendant sa phase de développement : elle consomme tout l'O2 du moût en 8 heures seulement. Du coup, elle contribue à la protection du moût contre l'oxydation. Il est donc envisageable d'ajouter moins de SO2 dans le moût. Les fermentations ont aussi été plus régulières avec le couple de levure, comme s'il y avait eu une synergie entre les souches.

Les dégustations que nous avons réalisées au labo ont donné des résultats contradictoires. Mais les vignerons ont trouvé dans leurs vins un fruité plus net ou des thiols plus marqués. Globalement, ils sont satisfaits du produit et huit des neufs domaines suivis sont prêts à en racheter cette année, en fonction de la qualité de la vendange. La forme congelée de la préparation oblige à une logistique bien huilée : il faut la conserver au congélateur et l'utiliser très rapidement dès qu'on l'en sort. Enfin, le coût de cette levure n'est pas négligeable. Toutefois, il est intéressant d'investir sur une ou deux cuves pour un assemblage ou pour valoriser des vins de milieux de gamme. De plus, aujourd'hui, nous présentons Frootzen comme un outil de prévention de l'oxydation, des risques microbiens et pour limiter les teneurs en SO2. »

Le Point de vue de

Christophe Coste, vigneron du domaine de la Charité, à Saze (Gard), a testé Torulaspora delbrueckii

« Cette levure exalte les caractères du viognier »

Christophe Coste, vigneron du domaine de la Charité, à Saze (Gard), a testé Torulaspora delbrueckii

Christophe Coste, vigneron du domaine de la Charité, à Saze (Gard), a testé Torulaspora delbrueckii

« Le laboratoire IOC avec lequel je travaille m'a proposé de tester Level2 TD (T. delbrueckii et S. cerevisiae ). En 2010, j'ai essayé ce kit sur quatre barriques de viognier. Je les ai levurées avec la souche de T. delbrueckii, puis avec la S. cerevisiae après une chute de 15 points de densité. Le protocole n'est pas compliqué, donc cela ne me gêne pas d'avoir à faire deux levurages. La première souche a mis un peu de temps à démarrer la fermentation, peut-être parce que mes débourbages sont stricts et que j'abaisse le moût à 10°C. Mais au final, la FA a duré le même temps que dans les autres barriques. Dans les vins, je trouve que cette levure exalte les caractères du cépage : du gras en attaque, des arômes floraux marqués et un côté abricoté. Avec d'autres levures, j'avais parfois un côté un peu pâteux en bouche. Ici, le vin ressort très bien équilibré, avec une bonne vivacité. Les résultats m'ont convaincu et, en 2011, j'ai utilisé Level2 TD sur tous mes blancs, soit 80 hl de viognier et de grenache blanc. À nouveau, les vins sont très qualitatifs. 2011 se prêtant bien aux blancs, peut-être aurais-je eu les mêmes résultats avec une autre levure ? En tout cas, j'ai l'impression que les finales en bouche sont plus nettes et que l'amertume parfois présente auparavant est gommée. Seul bémol peut-être : le prix. Mais je ne regarde pas trop ça sur mes viogniers, car ce sont mes haut de gamme. »

Le Point de vue de

Philippe Nunes, propriétaire du clos Bertineau, à Montagne (Gironde), a testé Torulaspora delbrueckii

« Plus de volume en bouche sur mes rouges »

Philippe Nunes, propriétaire du clos Bertineau, à Montagne (Gironde), a testé Torulaspora delbrueckii

Philippe Nunes, propriétaire du clos Bertineau, à Montagne (Gironde), a testé Torulaspora delbrueckii

« Je voulais obtenir plus de volume en bouche et de gras dans mes vins. Laffort m'a conseillé la levure Zymafl ore Alpha (souche de T. delbrueckii). En 2011, je l'ai donc testée sur toute ma production personnelle, soit 18 hl d'une cuvée rouge en appellation Montagne- Saint-Émilion. J'ai levuré le moût avec cette souche à l'encuvage, à 30 g/hl. Je l'ai ajusté à un niveau d'azote assimilable correct, comme si j'avais utilisé une seule levure. Puis, dès que j'ai observé une dégradation des sucres, c'est-à-dire 48 heures après, j'ai ensemencé la cuve avec 20 g/hl d'Actifl ore F33 (une S. cerevisiae). Cette souche est assez classique et ne marque pas trop le vin au niveau aromatique. Après 24 heures, j'ai ajouté des bactéries lactiques, car je pratique la co-inoculation levures et bactéries depuis 2005. Je n'ai observé aucun problème de fermentation alcoolique ou malolactique, ni aucune déviation. À la dégustation, j'ai trouvé pas mal de gras et de volume en bouche. Je n'ai pas vu d'effet marqué sur les arômes, mais ce n'est pas ce que je recherchais. Comparé à d'autres cuves, il me semble qu'il y a eu un gain qualitatif. Pour les prochaines vendanges, je voudrais faire un véritable essai comparatif sur mes vins : d'un côté, un lot de raisins vinifiés avec Zymafl ore Alpha et F33 et, de l'autre côté, seulement avec F33. Ainsi, je pourrais vérifier que c'est bien cette nouvelle levure qui apporte un plus. Je suis plutôt convaincu de l'intérêt de T. delbrueckii. Je voudrais la tester cette année sur quelques cuves de second vin du domaine la Fleur de Boüard, dont je suis le directeur technique. Ainsi que dans quelques propriétés qu'Hubert de Boüard et moi conseillons dans la région. Pour moi, réaliser deux levurages au lieu d'un n'est pas une contrainte. Les interventions qui apportent un gain qualitatif ne sont jamais contraignantes. Le seul frein pourrait être le prix de ces levures, assez élevé. Mais si on peut améliorer la qualité et le plaisir pour le consommateur, cela vaut le coup. »

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