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VIGNE

Gagnants et perdants du r échauffement climatique

Christelle Stef - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 36

SYMPTÔMES DE BOTRYTIS. L'élévation des températures pourrait être défavorable au champignon. Au-delà de 30°C, le développement du mycélium est freiné. Mais tout va dépendre de l'humidité. © C. WATIER ARCHIVES

SYMPTÔMES DE BOTRYTIS. L'élévation des températures pourrait être défavorable au champignon. Au-delà de 30°C, le développement du mycélium est freiné. Mais tout va dépendre de l'humidité. © C. WATIER ARCHIVES

L'oïdium et l'eudémis sont les mieux lotis pour profiter du réchauffement climatique. À l'inverse, la cochylis devrait en souffrir car elle n'aime pas la chaleur. Pour les autres ravageurs et parasites de la vigne, il est plus difficile de faire des prédictions.

OÏDIUM : Sûrement plus agressif

« Plus la température va augmenter, plus les cycles de l'oïdium seront courts, plus il sera agressif, indique Agnès Calonnec, de l'Inra de Bordeaux (Gironde). Encore faut-il que la maladie parte au bon moment et qu'il y ait une bonne synchronisation entre la plante et le champignon. Mais une fois que l'épidémie est enclenchée, elle n'est pas très dépendante du climat. Contrairement au mildiou, le champignon n'a pas besoin d'eau pour se propager durant la saison. D'ailleurs, on trouve l'oïdium sous pratiquement tous les climats. »

« Avec un réchauffement, la maladie risque d'être plus fréquente », confirme Bernard Molot, de l'IFV pôle Rhône-Méditerranée. Mais tout va dépendre de conditions printanières. Pour que la maladie se développe au printemps, il faut que les cléistothèces soient mûrs au moment du débourrement. « Or, nous ne connaissons pas bien leurs conditions de maturation », précise Agnès Calonnec. Puis il faut de l'eau pour qu'ils puissent libérer les ascospores. Enfin, il faut que celles-ci soient projetées sur de jeunes feuilles, qui sont les plus sensibles. « Les printemps très secs ne sont pas favorables à la projection des ascospores. Plus on retarde le déclenchement de l'épidémie, plus la pression de la maladie sera faible », explique Agnès Calonnec.

VERS DE LA GRAPPE : Vers une prédominance de l'eudémis

Le réchauffement climatique devrait engendrer une prédominance de l'eudémis sur la cochylis car cette dernière supporte mal l sécheresse. Selon Denis Thiéry, directeur de recherches à l'Inra et à l'ISVV de Bordeaux, la cochylis remonterait alors vers le nord, qui est certainement sa zone d'origine.

La température n'est pas un facteur limitant de l'eudémis. « Cependant, si la température s'élève, l'hygrométrie peut baisser, ce qui serait défavorable à l'eudémis car plus l'air est sec, plus il y a de mortalité des œufs. Mais ce n'est pas trop ce que l'on constate aujourd'hui. Nous avons connu des années très chaudes avec des attaques », rapporte Marc Guisset, de la chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales.

Depuis deux à trois ans, le conseiller constate davantage d'irrégularités dans les infestations d'une parcelle à l'autre au sein d'une même zone. « Pourtant, ce sont les mêmes cépages et les mêmes modes de conduite. Est-ce un effet du changement climatique ou d'une modification du taux de parasitisme ? Nous n'en savons rien. Nous allons y travailler prochainement », indique Marc Guisset.

Plus généralement, le réchauffement des températures engendre un raccourcissement des cycles reproducteurs de l'insecte. Les générations s'enchaînent et une génération supplémentaire peut apparaître enfin de saison. Ainsi dans le vignoble aquitain, des larves de quatrième génération d'eudémis s'observent sur des grappes non vendangées jusqu'en novembre.

A contrario, les hivers doux et humides se- raient défavorables aux vers de la grappe car ils peuvent accroître la mortalité des chrysalides en favorisant les parasites.

POURRITURE GRISE ET MILDIOU : La pluviométrie sera déterminante

« Les températures supérieures à 30°C freinent considérablement la croissance du mycélium Botrytis cinerea », explique Marc Fermaud, de l'Inra de Bordeaux. L'élévation des températures devrait donc être défavorable au responsable de la pourriture grise.

Mais le développement de cette maladie est davantage commandé par l'humidité dont on ne sait pas très bien comment elle va évoluer avec le réchauffement climatique. La simulation de la pluviométrie est très complexe et la formation des nuages est difficile à prévoir. « Les experts du réchauffement prévoient simplement davantage de phénomènes extrêmes comme les orages. Or, si ces séquences orageuses arrivent en fin de saison, la maladie peut exploser », indique Marc Fermaud. D'autant que le réchauffement climatique va augmenter la maturité des grappes. Elles seront donc plus sensibles au champignon.

Le réchauffement pourrait également modifier le profil des pourritures. « Penicillium est moins contraint par la température. De même, Aspergillus supporte assez bien les températures élevées. À l'avenir, on risque donc d'avoir davantage de problèmes de goûts moisis terreux ou d'OTA. Mais là encore, l'hygrométrie sera prépondérante », précise Marc Fermaud.

Quant à la pourriture acide, aujourd'hui sporadique, elle pourrait aussi se développer davantage. Cette maladie résulte de la prolifération de petites mouches de l'espèce Drosophila melanogaster qui véhiculent des bactéries acétiques et des levures. Elle est favorisée par des températures et une humidité nocturne élevées après la véraison. Ce fut notamment le cas en Alsace en 2011.

Concernant le mildiou, Bernard Molot, de l'IFV pôle Rhône-Méditerranée, estime que « même s'il y a réchauffement global, les températures létales ne seront pas atteintes. Le mildiou peut résister jusqu'à 30°C. En fait, c'est surtout le régime hydrique qui va conditionner les attaques ». Si le réchauffement s'accompagne d'un assèchement du climat, le mildiou en souffrira. Dans le cas contraire, il pourrait fort bien en profiter. « Je conçois mal une diminution des risques de mildiou car, lorsqu'il pleut, les températures baissent, ce qui lui est favorable », explique l'expert en protection du vignoble.

FLAVESCENCE DORÉE : Des effets contrastés

Julien Chuche, auteur d'une thèse à l'Inra de Bordeaux sur Scaphoideus titanus, la cicadelle vectrice de la flavescence dorée, a montré qu'une élévation des températures pourrait engendrer une désynchronisation entre l'apparition des larves de l'insecte et le débourrement de la vigne. Le pic des éclosions serait plus tardif et le débourrement plus précoce. Une majorité de larves apparaîtrait sur des feuilles âgées, moins nutritives, ce qui induirait une baisse des populations.

De son côté, Sylvie Malembic-Maher, de l'Inra de Bordeaux, explique « qu'une augmentation de la température va entraîner une multiplication plus rapide du phytoplasme dans la plante. On peut alors supposer que la probabilité que la cicadelle l'acquière et le transmette soit plus grande ». Des chercheurs italiens ont confirmé qu'une élévation de la température et des teneurs en CO2 favorisent la multiplication du phytoplasme dans la plante. Toutefois, selon eux, sa multiplication dans l'insecte s'en trouverait ralentie.

Un vaste programme de recherche à l'Inra

L'Inra vient de lancer le projet Laccave, un vaste programme de recherche sur les conséquences du changement climatique et l'adaptation de la filière vitivinicole. « Le changement climatique est une priorité de l'Inra. Le rapport du Giec annonce une augmentation des températures de l'ordre de 2°C à l'horizon 2050 si l'on réduit les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2015 », explique Jean- Marc Touzard, directeur de recherche à l'Inra de Montpellier (Hérault), qui coordonne le projet avec Nathalie Ollat, de l'Inra de Bordeaux. Vingt-deux unités de recherche et sept départements de l'Inra, soit plus d'une centaine de chercheurs, sont impliqués dans ce programme. Ceux-ci vont étudier les impacts sur la physiologie de la vigne, sur le parasitisme et évaluer différents scénarios d'adaptation. Mais surtout, ils vont aller jusqu'à étudier les conséquences économiques du réchauffement. Ils vont notamment réaliser des enquêtes auprès des consommateurs pour voir comment ils accueilleraient une modifi cation de la typicité des vins…

De nouveaux ravageurs apparaissent

 © J. BLANC/PAPILLONS POITOU-CHARENTE

© J. BLANC/PAPILLONS POITOU-CHARENTE

 BIOSPHOTO / A. ET J.-C. MALAUSA

BIOSPHOTO / A. ET J.-C. MALAUSA

 © F.VANHILLE/GALERIEINSECTE

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Cryptoblabes gnidiella est une tordeuse de la vigne qui fait parler d'elle dans le Gard. « Elle est particulièrement agressive au moment de la troisième génération de l'eudémis. Elle provoque les mêmes dégâts, mais en pire, explique Jacques Oustric, de la chambre d'agriculture du Gard. Comme elle est grégaire, ce sont des amas de larves qui attaquent les grappes. L'intérieur des baies est complètement mangé. Puis elle forme de gros cocons dans les grappes. » L'an passé, ce ravageur qui a été détecté pour la première fois en 1998 a fait d'importants dégâts dans quelquesunes des parcelles les mieux exposées du sud du département. « Cette tordeuse a des exigences en chaleur importantes. Elle est favorisée par les hivers doux sans gel », précise Jacques

Oustric.

Drosophila suzukii est une petite mouche originaire d'Asie. Elle est apparue en France en 2010 et elle s'y acclimate bien. Elle se développe dans les fruits en cours de maturation (cerises, fraises, pêches…). À la différence des drosophiles autochtones responsables de la pourriture acide, elle attaque les baies saines et fermes. La femelle pond ses œufs à l'intérieur et les larves s'y développent. Le fruit se vide de sa pulpe. Lorsqu'elle attaque des baies altérées, cette mouche accentue les problèmes de piqûres acétiques. Drosophila suzukii ne s'attaque pour l'instant qu'aux vergers. « Mais on peut la retrouver dans les vignes limitrophes, rapporte Jacques Oustric. Est-ce qu'elle va s'implanter dans le vignoble ? Nous ne le savons pas. Pour l'instant, nous n'avons pas observé dans les vignes de dégâts conséquents causés par cette drosophile. Mais c'est à surveiller. » Drosophila suzukii a également été repérée l'an passé sur des vignes en Gironde.

Orientus ishidae est une cicadelle qui a été découverte pour la première fois en Alsace en 2010. Elle vient d'Asie. Elle peut être porteuse du phytoplasme de la flavescence dorée mais les chercheurs ne savent pas encore si elle est capable de le transmettre ou pas. Des tests sont en cours.

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