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VIGNE

Les victimes des phytos font entendre leur voix

Florence Jacquemoud - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 38

Depuis le début de l'année, les agriculteurs rendus malades du fait de leur exposition aux produits phytosanitaires ont remporté plusieurs victoires.
L'UIPP communique sur la nécessité de porter des gants pour toute manipulation, ce que près de 50 % des professionnels ne font pas. © P. ROY

L'UIPP communique sur la nécessité de porter des gants pour toute manipulation, ce que près de 50 % des professionnels ne font pas. © P. ROY

Bégaiement, vertiges, maux de tête et troubles musculaires rendent Paul François partiellement invalide. Ce céréalier charentais est victime d'une intoxication à l'herbicide Lasso qu'il a subie en 2004 alors qu'il nettoyait la cuve de son pulvérisateur.

En 2008, Paul François obtient de la justice que sa maladie soit reconnue comme maladie professionnelle. Le 13 février dernier, il remporte une nouvelle victoire. Le tribunal de grande instance de Lyon (Rhône) juge Monsanto responsable de son intoxication. Le géant américain est condamné à indemniser l'agriculteur. Une première en France, où il n'est pas fréquent que le pot de terre gagne contre le pot de fer !

Deux mois plus tard, la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction condamne l'État à indemniser Dominique Marchal, céréalier en Meurtheet-Moselle, victime d'un cancer causé par l'utilisation de nombreux produits phytos.

Demander de l'aide

Ces deux exploitants dirigent l'association Phyto-victimes. Créée en mars 2011, celle-ci regroupe cinquante adhérents connaissant des problèmes de santé liés à l'utilisation de produits toxiques. Une trentaine de viticulteurs l'ont contactée pour demander de l'aide.

« Il est difficile de se rendre compte de l'ampleur du problème car, dans les milieux agricoles, beaucoup refusent d'avouer qu'ils sont malades et que cela peut avoir un lien avec l'utilisation des produits phytos, affirme Jacky Ferrand, père d'une victime et administrateur de Phyto-victimes (voir encadré). Autour de nous, les exemples se multiplient. J'ai appris que trois jeunes viticulteurs, installés dans un hameau de Charente, ont un cancer de la vessie. Aucun ne veut l'avouer. » Il semblerait aussi que beaucoup de médecins renoncent à remplir des dossiers de déclaration de maladies professionnelles. Trop de paperasseries pour peu de résultats. « Nous leur demandons de le faire quand même pour qu'il y ait une trace, souligne Jacky Ferrand. La MSA ne peut pas rester les yeux fermés devant ce problème. »

Phyto-Victimes a organisé sa première opération de communication au dernier Salon de l'agriculture où deux malades et une veuve ont témoigné au grand jour. Son objectif : « Dénoncer des décennies de propagande des fabricants de produits phytosanitaires qui gomment leur danger potentiel. » Phyto-victimes demande la tenue d'états généraux de la santé en agriculture.

Les pouvoirs publics sont de plus en plus attentifs au sujet. En janvier, le Sénat a constitué une mission d'information sur les pesticides. Les sénateurs se rendent sur le terrain pour visiter des exploitations. Ils auditionnent aussi un grand nombre de spécialistes, dont les propos sont retranscrits sur le site internet de l'institution.

Maladie de Parkinson

Début mai, le ministère de l'Agriculture a reconnu, par décret, la « maladie de Parkinson provoquée par les pesticides » comme maladie professionnelle. Parmi les travaux susceptibles de causer cette maladie, le décret en liste deux : « la manipulation ou l'emploi des produits » et le « contact avec les cultures (…) traitées ou lors de l'entretien des machines destinées à l'application des pesticides ».

Une décision en accord avec les résultats de l'étude Phytoner conduite par le Dr Isabelle Baldi, à l'université Victor Ségalen de Bordeaux (Gironde). En 1997 et 1998, cette spécialiste de la santé au travail a constitué un panel de 929 viticulteurs et ouvriers viticoles travaillant à Bordeaux et âgés de 42 à 57 ans. Elle a évalué leur exposition aux pesticides en leur faisant subir une batterie de tests pour apprécier leur capacité à mémoriser, à se concentrer, etc., et pour diagnostiquer des démences. Quatre ans plus tard, 614 personnes ont repassé les mêmes tests. Les résultats sont inquiétants : les travailleurs directement exposés aux pesticides ont de bien plus mauvais résultats que les autres. Pire, certains résultats suggèrent qu'ils développent une maladie neurodégénérative, comme une démence ou une maladie d'Alzheimer alors qu'ils sont encore jeunes. En mars 2012, Isabelle Baldi et son équipe revoient 328 personnes et notent « une détérioration notable aux tests (…) pour 50_% des personnes interrogées ».

De son côté, l'UIPP (Union des industries de protection des plantes) participe depuis deux ans à l'étude Safe Use Initiative, en région bordelaise, visant à observer la façon de travailler des viticulteurs. Des résultats publiés fin 2012 permettront de faire des recommandations. En attendant, l'UIPP communique sur la nécessité de porter des gants pour toute manipulation, ce que près de 50 % des professionnels ne font pas.

Moins de cancers chez les agriculteurs

Selon les premiers résultats de l'étude Agrican dévoilés en septembre dernier, les agriculteurs souffrent moins de cancers que le reste de la population. Lancée en 2005, cette étude porte sur une cohorte de 180 000 assurés agricoles, dont 20 % de viticulteurs ou de salariés de la viticulture. Durant la période 2006-2009, ces hommes et ces femmes ont eu respectivement 27 % et 19 % moins de risque de décéder d'un cancer qu'un homme et une femme de la population générale. La sous-mortalité est très nette en ce qui concerne les cancers liés au tabagisme : larynx, trachées, poumons, vessie… Les femmes de la cohorte ont moins de risque de décéder d'un cancer du col de l'utérus (- 28 %), du sein (- 25 %) et de l'ovaire (- 11 %). En revanche, on observe une légère surmortalité pour les cancers de la peau : de 1 % chez les hommes et de 6 % chez les femmes. Pour les femmes, on note également une tendance à la surmortalité pour les cancers de l'oesophage (+ 8 %), de l'estomac (+ 5 %) et du sang (+ 2 %). Ces résultats s'expliquent en partie par la meilleure hygiène de vie des agriculteurs, notamment par le fait qu'ils fument beaucoup moins que le reste de la population. Le fait qu'ils travaillent à l'extérieur explique certainement en partie la légère surmortalité par cancer de la peau. L'étude Agrican va se poursuivre jusqu'en 2020.

Le Point de vue de

Jacky Ferrand, père d'un viticulteur décédé des suites d'un cancer

« Nous ne devons plus fermer les yeux »

Jacky Ferrand, père d'un viticulteur décédé des suites d'un cancer © KLUBA TADEUSZ

Jacky Ferrand, père d'un viticulteur décédé des suites d'un cancer © KLUBA TADEUSZ

Le 21 mars 2011, « La Vigne » publiait sur son site web le témoignage de Frédéric Ferrand, 41 ans, viticulteur à Gondeville, près de Cognac (Charente), l'un des premiers membres de l'association Phyto-victimes. Le 11 décembre 2011, Frédéric décédait d'un cancer de la vessie. Une maladie qui touche généralement les hommes de 60-65 ans, qui ont beaucoup fumé et bu. Frédéric était jeune, ne fumait pas et ne buvait pas. Son père s'exprime.

« Pour l'institut Bergonié, centre régional de lutte contre le cancer de Bordeaux, où mon fils a été suivi, il est clair qu'il s'agissait d'une maladie professionnelle, liée à l'utilisation de produits phytos. L'institut reçoit beaucoup de viticulteurs et d'arboriculteurs de 40 ans qui souffrent de ce type de cancer. Or, ce sont ceux de gros utilisateurs de pesticides. J'ai été technicien viticole. Aujourd'hui, je veux témoigner sans haine, mais avec conviction, pour que la société prenne conscience des dégâts des pesticides. Nous avons attaqué la MSA qui refuse de reconnaître que Frédéric a eu une maladie professionnelle. Nous le faisons pour l'honneur de notre fi ls, mais aussi pour que les choses évoluent. À la fin de sa vie, il ne marchait plus. Il se traînait sur deux cannes anglaises. La MSA n'a même pas reconnu son invalidité. La veille de sa mort, elle avait perdu son dossier. Un premier jugement sera rendu sur la forme le 18 juin, par le tribunal des affaires sociales de Charente. Le dossier devra ensuite être jugé sur le fond. »

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