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VIGNE - POUR APPROFONDIR

Le cuivre dans les sols viticoles

Ingrid Proust - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 44

Quelles quantités de cuivre y trouve-t-on ?

Philippe Hinsinger, chercheur à l'Inra de Montpellier (Hérault), a analysé plusieurs dizaines de parcelles viticoles en Languedoc-Roussillon. «Nous avons trouvé entre 50 et 400 mg de cuivre total par kg de terre, hormis dans une parcelle qui n'était plus plantée en vigne et où la teneur en cuivre atteignait 1 000 mg/kg. Il s'agit d'une zone où le viticulteur vidait son fond de cuve de pulvérisateur. » Les teneurs en cuivre des sols viticoles sont donc bien plus élevées que dans les autres sols, où les valeurs oscillent entre 5 et 30 mg/kg. « Le cuivre est un élément naturel du sol, présent en quantité variable selon les roches. La teneur médiane en France dans les sols non contaminés en cuivre est de 14 mg/kg. En dessous de 30 mg/kg, on peut considérer qu'un sol n'a pas reçu de cuivre apporté par l'homme », précise le chercheur.

D'où provient-il ?

Des traitements à la bouillie bordelaise et aux autres fongicides cupriques pratiqués au fur et à mesure des années. Comme le cuivre est un élément chimique, il ne se dégrade pas en d'autres substances plus simples. De plus, il migre très peu. « Le cuivre est fixé de façon importante par la matière organique et par les fractions fines argileuses », indique Philippe Hinsinger. Il s'accumule dans l'horizon supérieur du sol. « Mais on constate de fortes teneurs jusqu'à 60 cm de profondeur dans les parcelles où l'on a réalisé un travail profond du sol après arrachage et avant replantation. De telles interventions mélangent des horizons superficiels très contaminés avec des horizons profonds qui le sont moins. » Le cuivre est peu entraîné par le ruissellement ou par l'infiltration et a peu de risque d'atteindre les nappes phréatiques. Mais il peut migrer par érosion sur des sols nus et en pente. Il est alors susceptible de se redéposer en contrebas d'une parcelle ou de rejoindre un cours d'eau.

Dans quelles conditions est-il toxique pour les plantes ?

Surtout dans les sols acides ou sableux. C'est là que l'on constate les plus graves symptômes d'intoxication par le cuivre. Une part de ce métal est rendue disponible par solubilisation, un phénomène qui augmente lorsque le pH diminue. En dessous d'un pH5, la disponibilité du cuivre pour les racines s'accroît fortement. Des analyses spécifiques, utilisant de l'EDTA, une substance qui piège les métaux, permettent d'évaluer cette biodisponibilité. Selon l'IFV, les concentrations toxiques débutent, en sol sableux, à partir de 25 mg de cuivre extractible à l'EDTA/kg de sol, et dans les sols argileux à partir de 100 mg de cuivre extractible à l'EDTA/kg.

La vigne peut-elle être touchée ?

Le cuivre a tendance à s'accumuler dans les premiers centimètres du sol. Or, la vigne développe des racines profondes, bien en dessous de 50 cm. Les cas de toxicité du cuivre sur vigne sont donc rares. Ils peuvent apparaître sur les jeunes plantations aux racines encore superficielles, dans des sols acides, sableux et pauvres en matière organique. Avec le chaulage, ces désordres disparaissent.

Et les autres végétaux ?

Les chercheurs ont relevé des cas de phytotoxicité due au cuivre sur blé dur dans d'anciennes vignes en Languedoc- Roussillon. Sur ces parcelles aux sols calcaires à pH élevé, le blé dur présentait des symptômes de chlorose. «_Cette décoloration est ici liée à un antagonisme entre le fer et le cuivre, explique Philippe Hinsinger. Dans ces sols calcaires, la biodisponibilité du fer est minimale. Le cuivre prend la place du fer et pénètre dans la plante. Cela entraîne une carence en fer, induite par le cuivre, même s'il y en a peu de disponible dans les sols en question.» En sol acide en revanche, le blé dur est capable d'augmenter le pH au niveau de sa rhizosphère (la partie du sol autour des racines) et donc de provoquer une diminution du cuivre biodisponible.

Le cuivre perturbe-t-il les microbes ?

Oui. À forte teneur, on observe une diminution de la masse de champignons et de bactéries dans les sols. Pour Rémi Chaussod, de l'Inra de Dijon (Côte-d'Or), la biomasse microbienne (bactéries et champignons) n'est pas significativement impactée jusqu'à environ 100 mg/kg de cuivre total dans les sols argilo-calcaires alors qu'elle l'est au-delà de 200 mg/kg. « Entre 100 et 200 mg/kg, les effets dépendent du contexte agropédologique. » Les micro-organismes se nourrissent d'une matière organique contaminée par le cuivre. Cela affecte leur reproduction. «Dans des sols acides ou très acides, l'impact du cuivre est plus marqué, surtout si ces sols contiennent aussi beaucoup d'aluminium. Des microbes peuvent résister mais leurs populations sont dix à vingt fois moins importantes. » « Au-delà de 200 mg/kg de cuivre dans le sol, les effets sont quantitatifs et qualitatifs», poursuit Rémi Chaussod. En d'autres termes, la biomasse microbienne chute et la microffore change. Le nombre de germes résistants augmente. «Certaines espèces peuvent prendre le pas sur d'autres. Mais nous n'avons pas constaté de disparition de l'activité nitrifiante (transformation de l'azote organique en nitrate). Dans un sol calcaire ou neutre, l'apport de cuivre dans la limite de 6_kg/ha et par an ne perturbe pas significativement la microffore.»

Et les vers de terre ?

« Sur le long terme, l'apport de produits cupriques n'est pas favorable aux vers de terre, indique Rémi Chaussod. La matière organique contaminée par le cuivre est moins digeste pour eux. En outre, ils n'acquièrent pas de résistance. Les populations sont donc impactées de façon significative. » La reproduction de certaines espèces de vers de terre peut être affectée dès 50 mg de cuivre par kg de terre. Malgré cela, le cuivre ne semble pas nuire gravement à l'activité biologique du sol, précise le chercheur.

Comment prévenir la toxicité ?

Dans les sols acides, il faut procéder à un chaulage avant plantation pour remonter le pH du sol. Cette opération permet de diminuer la fraction biodisponible du cuivre. Le pH du sol devra être contrôlé tous les trois ans. Ensuite, il faut apporter de la matière organique. « Cela permettra aux populations de vers de terre de se développer, car elles auront une ressource nutritive plus importante, signale Rémi Chaussod. La matière organique dans ses processus d'humification est en outre capable de capter du cuivre et de le rendre moins disponible.

L'arrêt des traitements améliore-t-il les choses ?

Non, répond Philippe Hinsinger. « Le cuivre n'est pas dégradable, contrairement aux pesticides organiques de synthèse. Sa concentration ne diminue pas dans le sol, sauf si un travail en profondeur provoque une dilution par le mélange d'horizons superficiels et profonds de sol ou si l'érosion le transfère en dehors de la parcelle.» Avec le temps, «la répartition chimique du cuivre dans le sol évolue vers des formes plus stables, difficilement mobilisables et moins biodisponibles», indique Sylvain Profit, auteur d'une thèse sur ce thème soutenue à l'université de Reims (Marne) fin 2011.

Des effets non négligeables

FEUILLE AYANT REÇU UNE APPLICATION DE CUIVRE. Cet élément ne se dégrade pas dans le sol et s'y accumule. Les teneurs que l'on retrouve dans les sols viticoles sont donc plus élevées que dans les autres. Elles varient entre 50 et 400 mg/kg de cuivre total. © P. ROY ARCHIVES

FEUILLE AYANT REÇU UNE APPLICATION DE CUIVRE. Cet élément ne se dégrade pas dans le sol et s'y accumule. Les teneurs que l'on retrouve dans les sols viticoles sont donc plus élevées que dans les autres. Elles varient entre 50 et 400 mg/kg de cuivre total. © P. ROY ARCHIVES

DIVERS MICROBES (champignons filamenteux, levures, bactéries…) vus au microscope électronique. Au-delà d'une certaine concentration de cuivre dans le sol, la biomasse microbienne subit un impact quantitatif. Mais les germes s'adaptent par l'acquisition de gènes de résistance. Selon Rémi Chaussod, de l'Inra de Dijon, dans un sol calcaire ou neutre, l'apport de cuivre dans la limite de 6 kg/ha et par an n'altère pas significativement la microflore. © R. NOUAÏM (SEMSE) 2008

DIVERS MICROBES (champignons filamenteux, levures, bactéries…) vus au microscope électronique. Au-delà d'une certaine concentration de cuivre dans le sol, la biomasse microbienne subit un impact quantitatif. Mais les germes s'adaptent par l'acquisition de gènes de résistance. Selon Rémi Chaussod, de l'Inra de Dijon, dans un sol calcaire ou neutre, l'apport de cuivre dans la limite de 6 kg/ha et par an n'altère pas significativement la microflore. © R. NOUAÏM (SEMSE) 2008

SYMPTÔMES D'INTOXICATION au cuivre sur porte-greffe Gravesac obtenus lors d'une expérimentation en culture hors sol. Les racines sont beaucoup plus courtes que la normale. © O. GARCIA, INRA DE MONTPELLIER

SYMPTÔMES D'INTOXICATION au cuivre sur porte-greffe Gravesac obtenus lors d'une expérimentation en culture hors sol. Les racines sont beaucoup plus courtes que la normale. © O. GARCIA, INRA DE MONTPELLIER

VERS DE TERRE La matière organique contaminée par le cuivre est moins digeste pour les vers de terre. Les populations sont donc impactées de manière significative. Toutefois, le cuivre ne semble pas nuire gravement à l'activité biologique du sol. © C. STEF

VERS DE TERRE La matière organique contaminée par le cuivre est moins digeste pour les vers de terre. Les populations sont donc impactées de manière significative. Toutefois, le cuivre ne semble pas nuire gravement à l'activité biologique du sol. © C. STEF

SYMPTÔMES DE CHLOROSE sur blé dur cultivé après arrachage d'une vigne en sol calcaire près de Béziers (Hérault), liés à une carence en fer induite par l'excès de cuivre dans le sol. © MATTHIEU BRAVIN, AURÉLIA MICHAUD ET PHILIPPE HINSINGER, UMR ECO&SOLS INRA MONTPELLIER

SYMPTÔMES DE CHLOROSE sur blé dur cultivé après arrachage d'une vigne en sol calcaire près de Béziers (Hérault), liés à une carence en fer induite par l'excès de cuivre dans le sol. © MATTHIEU BRAVIN, AURÉLIA MICHAUD ET PHILIPPE HINSINGER, UMR ECO&SOLS INRA MONTPELLIER

En raison des traitements cupriques, les sols viticoles renferment bien plus de cuivre que les autres. Au point que cet élément perturbe la vie microbienne. Mais avec le temps, la matière organique l'immobilise et atténue sa toxicité.

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