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VIGNE

La petite musique de Genodics contre l'esca

Florence Jacquemoud - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 46

Genodics propose de réduire les effets de l'esca sur la vigne grâce à la diffusion de musique dans les vignobles. Difficile de savoir si la méthode fonctionne vraiment.
LE DIFFUSEUR est une boîte équipée de quatre hautparleurs, d'un panneau solaire, d'un programmateur et d'une carte mémoire sur laquelle sont enregistrées les protéodies. © GENODICS

LE DIFFUSEUR est une boîte équipée de quatre hautparleurs, d'un panneau solaire, d'un programmateur et d'une carte mémoire sur laquelle sont enregistrées les protéodies. © GENODICS

Pour lutter contre l'esca, la société Genodics propose de diffuser de la musique dans les vignes. Pas n'importe quelle musique, mais des protéodies. Ce sont des mélodies qui peuvent diminuer la production d'une protéine des champignons de l'esca ou stimuler les capacités de résistance de la vigne (voir encadré ci-contre). Depuis 2003, l'entreprise teste ce procédé dans différents vignobles. Elle annonce avoir réalisé 52 essais sur 36 parcelles (90 ha au total), depuis ses débuts jusqu'à la fin de 2011.

Le diffuseur est une boîte équipée de quatre haut-parleurs assurant une diffusion des sons à 360°, d'un programmateur, d'une carte mémoire sur laquelle sont enregistrées les protéodies et d'un panneau solaire qui alimente une batterie. L'appareil doit être mis en place avant fin mai et peut être arrêté après les vendanges. La musique est diffusée une à deux fois par jour, pendant 8 à 10 mn, à une puissance sonore comprise entre 40 et 60 dB. Elle porte sur un rayon de 100 mètres (2 à 3 ha). « Plus les vignes sont éloignées, plus l'effet décroît et disparaît. Cependant, tout dépend de la forme du terrain, de l'humidité de l'air et du vent », précise Michel Duhamel, président de Genodics. La société vend son appareil 700 euros HT. À cela s'ajoutent 350 euros de licence et 1 500 euros de prestations pour trois demi-journées d'accompagnement la première année. Celles-ci sont consacrées à l'installation, la formation des utilisateurs et l'inventaire des ceps morts après vendange. Une moitié du coût total est payable à l'installation, et l'autre selon les résultats. Les années suivantes, le viticulteur paie 350 euros de licence par an et par appareil. Le prix est dégressif si on en installe plusieurs.

Un manque d'expérimentation

À la fin de chaque essai, Genodics inspecte tous les pieds de vigne sur les parcelles de moins de 3 ha ou un échantillon d'au moins 50 % des ceps sur les parcelles plus grandes. L'entreprise compare alors le nombre de ceps morts à cause de l'esca à l'historique fourni par les vignerons.

Elle annonce des résultats spectaculaires. « Grâce aux protéodies, le nombre et l'intensité des symptômes d'esca diminuent, affirme Genodics. Dans les 46 parcelles équipées que nous avons pu évaluer, le taux de mortalité dû à l'esca a diminué de 67 % en moyenne. » La société offre une garantie de résultat. Si le taux de mortalité diminue de moins de 30 % la première année, elle propose un second essai sans coût supplémentaire. Si la baisse est encore inférieure à 30 % l'année suivante, le viticulteur ne paye ni la seconde partie du coût de la machine, ni la licence. Et si le résultat est nul, l'argent déjà versé lui est remboursé.

La difficulté est de savoir si les améliorations constatées peuvent réellement être attribuées aux protéodies, car il n'y a pas systématiquement de vignes témoins. Dans son argumentaire, Genodics donne l'exemple de parcelles où la mortalité due à l'esca, avant diffusion des protéodies, est énorme : 9,4 %, 6,9 % et 6,4 %. L'année suivante, les protéodies auraient permis d'amener ces taux respectivement à 2,7 %, 0,1 % et 2,8 %. Cette baisse est-elle vraiment liée au procédé de Genodics ? Impossible d'en être certain. La mortalité due à l'esca est très variable d'une année sur l'autre. Selon les spécialistes des maladies du bois, il est souvent difficile de savoir à quoi est lié son recul.

Par ailleurs, le procédé repose sur une découverte, brevetée en 2007, mais qui n'a fait l'objet d'aucune publication scientifique dans les revues reconnues. « Je suis biochimiste et biologiste moléculaire, et c'est la première fois que j'entends dire que les protéines émettent des ondes au cours de leur synthèse », remarque Serge Delrot, spécialiste en physiologie moléculaire et génomique fonctionnelle de la vigne.

La Sicavac suit des essais

Il manque des essais scientifiques rigoureux, ce que reconnaît Michel Duhamel : « Nous avons contacté des chercheurs pour leur proposer d'en réaliser, mais cela ne les a pas intéressés. On nous a conseillé de financer nous-mêmes l'expérimentation, mais nous n'en avons pas les moyens. »

Quelques organismes de conseil s'intéressent au procédé. « Depuis l'année dernière, nous suivons des essais sur trois parcelles de vignes de 14-15 ans, dont la mortalité annuelle par l'esca est de 3 à 4 %, souligne François Dal, de la Sicavac, à Sancerre (Cher). Sur la première année, nous n'avons rien vu de concluant, ni constaté de gradient. Nous attendons les résultats de la deuxième année pour nous prononcer. »

Une théorie surprenante

Genodics met en œuvre la génodique du physicien et musicien Joël Sternheimer. Selon lui, les acides aminés émettent des ondes sonores au cours de la synthèse des protéines dans les cellules vivantes. Dix notes correspondent aux vingt-deux acides aminés existant dans les cellules. Elles servent à créer des mélodies, les protéodies, qui ont un impact sur la synthèse des protéines. Des protéodies correspondant à deux protéines ont été composées. L'une inhibe la synthèse d'une protéine des champignons. L'autre stimule la synthèse d'une protéine qui entre en jeu dans la résistance naturelle de la vigne.

Deux vignerons convaincus

Jean-Pierre Frick, vigneron à Pfaffenheim (Haut-Rhin), utilise le procédé Genodics depuis 2003. Il a placé l'appareil sur une parcelle de 60 ares de gewurztraminer très sensible à l'esca. « Nous constatons des résultats tangibles, expliquet- il. Ce n'est pas qu'une impression. » Dès la première année, le taux de mortalité est passé de 9,4 % en 2002 à 2,7 % en 2003. En 2011, le viticulteur n'a pas eu le temps d'installer son appareil, il ne l'a donc pas utilisé. Il est convaincu que la parcelle en a souffert. Le taux de mortalité qui était de 0,7 % en 2010 est remonté à 1,8 %.

Michel Haury, propriétaire du château de La Grange Clinet, à Saint-Caprais-de-Bordeaux (Gironde), a fait installer un appareil Genodics en juin 2010 sur une parcelle de 1,6 ha de cabernet sauvignon. Il avait calculé une perte de pieds de vigne attribuable à l'esca de 3,5 % par an en 2007, 2008 et 2009. Fin 2010, rien de tel : l'inventaire total de la parcelle a montré qu'aucun pied n'est mort cette année-là. Et en 2011, le taux de mortalité n'a été que de 0,2 %. Pendant cette même période, la mortalité est restée élevée sur une autre parcelle du domaine, servant de référence.

Le Point de vue de

Laurent Panigai, responsable viticulture du CIVC

« Pas de résultats »

Laurent Panigai, responsable viticulture du CIVC

Laurent Panigai, responsable viticulture du CIVC

«Genodics soutient que son procédé est également actif contre le mildiou et l'oïdium. Après avoir été contactés par cette société, nous avons mis un essai en place chez un viticulteur en 2009 et 2010. Nous avons comparé des zones sous influence de l'appareil à des zones témoins. Nous n'avons pas enregistré de résultats probants. Il aurait fallu mettre en place un programme plus structuré et travailler sur un plus grand nombre de résultats. Mais pour l'instant, cela n'a pas été fait. En tant que centre technique, nous n'avons pas d'a priori sur la démarche. Nous devons rester neutres et, de façon générale, accepter qu'il y ait des choses qu'on ne comprenne pas mais qui auront peut-être des explications et des applications demain. »

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