Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Ces plantes qui profitent du travail du sol

Frédérique Ehrhard - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 48

Tour d'horizon des évolutions de flore constatées en Bourgogne, dans le Midi et dans le Val de Loire après l'abandon du désherbage chimique au profit du travail du sol.
LE DÉSHERBAGE MÉCANIQUE peut favoriser le développement de certaines adventices, notamment le chiendent. Pour les éliminer, il faut intervenir lorsque leurs réserves sont au plus bas. © C. THIRIET

LE DÉSHERBAGE MÉCANIQUE peut favoriser le développement de certaines adventices, notamment le chiendent. Pour les éliminer, il faut intervenir lorsque leurs réserves sont au plus bas. © C. THIRIET

Les vignerons qui adoptent le travail du sol constatent que la flore change au fil du temps. Les premières années profitent surtout aux espèces mal contrôlées par les herbicides utilisés jusqu'alors. Ainsi, « il peut y avoir un développement de morelles ou d'amarantes », précise Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or. Les résidus de matières actives continuent à freiner le développement des autres espèces. « Il faut parfois deux ans avant qu'ils disparaissent. La troisième année, mieux vaut se préparer à une explosion des adventices et commencer à intervenir le plus tôt possible », conseille Nathalie Dallemagne, de la Coordination agrobiologique (CAB) des Pays de la Loire.

Le pourpier démarre le premier

Dans l'Hérault, Élena Kazakou, écologue au CEFE/CNRS, a suivi durant deux ans l'évolution de la flore dans des vignes après l'arrêt du désherbage chimique. Elle a comparé trois modalités d'entretien de l'interrang : le travail du sol, l'enherbement naturel et l'enherbement avec une luzerne semée. « C'est avec le travail du sol qu'il y a le moins de diversité d'espèces présentes. Mais celles-ci peuvent se développer davantage, car elles rencontrent moins de concurrence », observe-t-elle.

Parmi ces espèces, le pourpier arrive en tête. « Ses graines ont une grande longévité. Lorsque le travail du sol les remonte à la surface en période chaude, elles germent très facilement », explique l'écologue. La mauve est très présente aussi, ainsi que le chénopode et le séneçon, qui produisent beaucoup de graines.

Le pâturin et le diplotaxis apparaissent également. « Avec un enracinement superficiel, le pâturin est peu gênant dans les vignes installées en profondeur, remarque Élena Kazakou. De même, le diplotaxis, qui se développe très tôt, peut être conservé dans l'interrang en début de saison car il couvre le sol et limite les autres espèces. Cela permet de retarder le travail du sol si le temps est trop humide. »

Le chiendent, le sorgho d'Alep et le liseron profitent aussi de l'arrêt du désherbage chimique. Ces plantes à rhizome exercent, en revanche, une concurrence forte. Pour les éliminer, il faut intervenir au bon moment. « C'est mieux à la fin du printemps ou en été, quand leurs réserves sont au plus bas et que la chaleur dessèche rapidement les rhizomes ramenés en surface », note Élena Kazakou.

Chardon et liseron

L'alternance entre le travail du sol et l'enherbement permet aussi de réduire la pression de ces vivaces. « Dans nos essais, au bout de deux ans, il n'y avait que 2 % de liserons dans les modalités enherbées naturellement ou par de la luzerne, contre 10 % dans la modalité travail du sol », souligne l'écologue.

En Pays de la Loire, Nathalie Dallemagne signale que les amarantes ou les carottes se multiplient les premières années. « Mais le fait de travailler régulièrement le sol finit par les éliminer », constate-t-elle.

Les chardons peuvent aussi poser problème. Avec leurs racines profondes, ils sont difficiles à extraire. Si on les coupe sous la rosette, des bourgeons dormants sortent. « Pour arriver à les réduire, il est préférable de ne pas intervenir en début de saison, mais plus tard dans leur cycle, en cassant les tiges avec un rolofaca par exemple. En quelques années, on arrive ainsi à en venir à bout », affirme la conseillère. De même, au début, le travail du sol favorise le développement du liseron. « Mais au bout de cinq ou six ans, il commence à disparaître », ajoute-t-elle.

Entre cinq et dix ans après l'arrêt du désherbage chimique, ce sont plutôt les mourons blancs, les véroniques ou les séneçons qui dominent. « Dans l'interrang, si le sol n'est pas trop filtrant, ces espèces sont peu concurrentielles et peuvent constituer un enherbement naturel », affirme Nathalie Dallemagne. Si des chénopodes ou des érigérons apparaissent, il est préférable d'installer pour quelques années un enherbement semé qui les étouffera, car ces espèces sont plus concurrentielles.

Les érigérons montent dans les souches

Sur le rang, en bio comme en conventionnel, l'objectif reste d'éviter toutes les adventices. C'est d'autant plus vrai si la récolte est réalisée à la machine. « Les érigérons montent dans les souches. Si leurs graines se retrouvent en macération avec les raisins, elles introduisent des mauvais goûts », signale Cyril Cassarini, de la chambre d'agriculture du Gard. Pour les mêmes raisons, les inules visqueuses sont à éliminer. « Elles amènent des arômes de caoutchouc brûlé », relève Marc Guichet, de la chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales.

Le Point de vue de

Jean Sébastian, chef de culture au domaine du Moulin de Lène, à Magalas (Hérault)

« Du chiendent qui s'incruste »

Jean Sébastian, chef de culture au domaine du Moulin de Lène, à Magalas (Hérault)

Jean Sébastian, chef de culture au domaine du Moulin de Lène, à Magalas (Hérault)

« Nous pratiquons le travail du sol depuis une dizaine d'années dans le cadre de la certification Terra Vitis. Nous avons vu la flore se diversifier. Le géranium, la mauve, le ray-grass, la folle avoine ou le coquelicot sont plus présents. Nous les éliminons sur le rang avec une lame bineuse et sur l'interrang avec un cultivateur à quatre dents. Pour bien les contrôler, il faut passer une fois après les vendanges, ainsi que trois à quatre fois durant le printemps et l'été. Les amarantes, les chénopodes ou les diplotaxis, trop proches des ceps, sont difficiles à atteindre avec la lame bineuse. Nous les enlevons à la binette lorsque nous passons pour l'ébourgeonnage. Nous devons parfois aussi revenir au désherbage chimique de façon localisée. Avec une lance à main, nous passons du glyphosate sur les taches de chiendent. C'est une plante vivace qui s'incruste. Le travail du sol l'affaiblit, mais la propage en même temps. »

Le Point de vue de

Patrick Thomas, vigneron en bio à Saint-Georges-sur-Layon (Maine-et-Loire)

« Une flore plus diversifiée »

Patrick Thomas, vigneron en bio à Saint-Georges-sur-Layon (Maine-et-Loire)

Patrick Thomas, vigneron en bio à Saint-Georges-sur-Layon (Maine-et-Loire)

« Depuis que je suis passé en bio en 1998, je vois la flore évoluer. Je laisse un enherbement naturel s'installer un rang sur quatre, en le décalant tous les quatre ans. Si je gardais le même rang enherbé plus longtemps, le développement des racines finirait par concurrencer la vigne. J'entretiens le rang avec un intercep à patte-d'oie, et les interrangs qui ne sont pas enherbés avec des disques ou un cultivateur. Dans la partie enherbée, je ne fauche qu'avant les vendanges, pour laisser un grand nombre d'espèces monter à graine et se développer. Cette forte biodiversité permet de limiter le développement d'espèces dominantes qui pourraient poser problème. J'ai ainsi réussi à contenir le séneçon. Dans les premières années, j'ai aussi eu des chardons dans deux parcelles. Pour ne pas les multiplier, il faut éviter d'utiliser les disques. Avec le cultivateur, en travaillant assez profond pour les déraciner, j'ai réussi à les réduire en deux ans. Sur le rang, j'ai quelques panais qui poussent, mais comme je vendange à la main, ils ne me gênent pas. Au pied des piquets ou des ceps, je trouve aussi de jeunes plants d'acacia, de prunellier et de noyer, du lierre ou encore des ronces. Pour les éliminer, je fais le tour des vignes une fois par an et je les arrache avec une chaîne ou une pioche. »

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :