Durant trois ans, cinq PME et quatre laboratoires de recherche liés à l'Institut national polytechnique de Toulouse (Haute-Garonne) ont travaillé avec le groupe coopératif Vinovalie. Objectif : mettre au point des méthodes pour produire des vins de trois cépages rouges du Sud-Ouest au goût des consommateurs et avec un profil constant. Les premiers résultats ont été présentés le 22 mai à Toulouse. Voici les plus intéressants.
VENDANGE : Distinguer les raisins fruités des végétaux
PME montpelliéraine, Ondalys a créé trois modèles prédictifs de la qualité des vins de malbec, de négrette et de fer servadou (un par cépage) à partir de mesures effectuées sur le raisin par technologie infrarouge (IRTF) à l'aide de spectromètres Foss et Cetim. Ces modèles permettent de classer les raisins en deux catégories : fruité ou végétal. La société les a expérimentés durant trois ans sur 140 lots de raisins au total. Une fois les raisins notés, l'IFV les a tous vinifiés de la même manière. Puis un jury d'experts a dégusté les vins pour les classer dans les deux mêmes catégories : fruité ou végétal.
L'IFV et Ondalys ont comparé les deux classements : les trois quarts des raisins ont été classés comme les vins correspondants. Bien qu'il reste une marge d'erreur, les modèles prédictifs seront installés dès cette année sur le spectromètre IRTF de Vinovalie pour leur validation à l'échelle industrielle.
Prévoir la maturité et les carences azotées
Spécialiste des instruments de mesure optique portables, Force-A, à Orsay (Essonne), a adapté ses appareils pour déterminer le potentiel d'anthocyanes de la négrette, du malbec et du fer servadou. Avec son capteur piéton Multiplex qui ressemble à une lampe torche, l'entreprise a flashé une soixantaine de grappes par hectare deux fois par semaine durant les trois semaines qui précédaient la date théorique des vendanges.
Pour chaque parcelle, elle a obtenu une courbe d'accumulation des anthocyanes qui a fini par atteindre un plateau. Force-A a remarqué que selon les cépages, dix à quinze jours après le début de ce plateau, les vendanges peuvent démarrer. Selon l'entreprise, on peut aussi réaliser ces mesures une semaine avant les vendanges, pour effectuer une sélection parcellaire. Les grappes présentant un fort taux d'anthocyanes seront utilisées pour le vin rouge et celles présentant un faible indice pour le vin rosé.
Force-A a utilisé la même technologie pour déterminer de façon précoce si une parcelle est carencée en azote. L'entreprise a réalisé une première série de mesures début juillet à la suite de quoi elle a classé les parcelles en deux catégories : celles qui seraient carencées à la récolte (dont les moûts allaient contenir moins de 150 mg/l d'azote assimilables) et celles qui ne le seraient pas. Elle a donc mesuré la richesse en azote des moûts à la récolte. Selon Force-A, 72 % de ses prévisions au cours du programme Vinnéo se sont confirmées. Son outil permet donc de prévoir une pulvérisation d'azote foliaire à véraison pour compenser la carence.
VINIFICATION : À chaque cépage ses règles de chauffage
La société Pera, au Cap d'Agde (Hérault), et l'école d'ingénieurs de Purpan, à Toulouse, ont travaillé sur la thermovinification. Leur but était de maîtriser l'extraction de la couleur et des tanins de la négrette, du fer servadou et du malbec en jouant sur le temps et sur la température de chauffage de la vendange.
Les expérimentateurs ont utilisé Gulfstream de Pera, un matériel de chauffage du raisin par immersion des baies dans un bain de moût chaud et ouvert. Ils ont chauffé la vendange à 70, 80 et 85°C, pendant 2 et 6 heures, afin de définir les conditions optimales pour chaque cépage. « Il peut y avoir un intérêt à chauffer le malbec au-delà de 80°C, mais il n'y en a pas à dépasser 70°C pour la négrette, car cela n'améliore pas l'extraction des anthocyanes, alors que l'on extrait des tanins qui durcissent les vins », résume Jean-Luc Favarel, de la société Pera.
Ces essais montrent que les anthocyanes sont extraites avant les tanins. Ils confirment que l'arôme de poivron vert du fer servadou s'élimine durant le chauffage de la vendange. L'explication est la suivante : cet arôme est dû à l'IBMP, une molécule qui s'évapore dès 50 à 55°C et qui masque l'arôme cassis du cépage. En chauffant la vendange, on renforce le caractère fruité du vin, une observation déjà faite sur le cabernet-sauvignon à Bordeaux (Gironde).
Pera a aussi effectué des essais d'injection d'ozone dans les moûts après chauffage, en vue d'éliminer les excès de tanins. Les analyses montrent que le traitement a un effet sur la condensation des tanins. Il est donc susceptible d'arrondir les vins, mais cela n'a pas pu être confirmé par des dégustations, les essais ayant porté sur de trop petits volumes. Une piste à creuser.
Un fermenteur continu
Le Laboratoi re de géni e chimique (LGC) a bouleversé le principe même de la vinification, concevant un fermenteur continu. « On l'alimente en jus d'un côté. Trois jours plus tard, on soutire du vin de l'autre », explique Marion Alliet, chercheuse au LGC. Contrairement à ce qui se passe dans une cuve classique, les levures sont incluses dans les billes d'alginate : une souche de S. cerevisiae, mais aussi une souche de Schizosaccharomyces pombe, qui consomme l'acide malique pour le transformer en alcool.
Le laboratoire a réalisé des essais sur 1 l, 150 l et 120 hl. « Le procédé fonctionne à toutes les échelles, sans chute de viabilité des levures pendant un mois », précise Marion Alliet. Un panel d'expert a dégusté les vins produits et a constaté que leur profil organoleptique était similaire à celui de vins obtenus par une vinification classique avec une fermentation alcoolique suivie d'une fermentation malolactique.
« Ce procédé pourrait nous permettre de vinifier tout au long de l'année, en stockant les moûts, plutôt que de devoir tout transformer en cinq ou six semaines, comme aujourd'hui », souligne Jacques Tranier, directeur général de Vinovalie. De la sciencefiction, pour l'instant.
VINS : Des cartes du profil aromatique
Spécialiste des arômes des vins, la société Nyseos (Hérault) a développé une méthode d'analyse des arômes simple et fiable en vue d'un usage de routine. L'objectif était d'identifier et de doser les molécules responsables des notes fruitées dans les vins de Vinovalie à base de négrette, de fer servadou et de malbec. Nyseos a identifié vingt-deux molécules, parmi lesquelles l'acétate d'isoamyle, responsable de l'arôme de banane, l'octaonate d'éthyle, pour les arômes pêche et ananas, ainsi que le 2-méthylbutanoate d'éthyle et le 2-méthylpropanoate d'éthyle qui donnent un arôme de fraise.
Nyseos a analysé 45 vins en 2009 et autant en 2010, soit une quinzaine de vins rouges par cépage et par an, tous vinifiés de manière identique par l'IFV Sud-Ouest. L'entreprise a représenté les profils des vins par des graphiques en toile d'araignée, comportant autant d'axes que de marqueurs pertinents pour le cépage concerné. Ces graphiques constituent en quelque sorte une carte d'identité aromatique. Pour savoir si un vin correspond bien au profil recherché, elle compare sa carte d'identité à celle du vin de référence.
Vinovalie, de grandes ambitions à l'export
Vinovalie réunit quatre caves coopératives du Sud-Ouest : Rabastens (Tarn), Técou (Tarn), Fronton (Haute-Garonne) et les Côtes d'Olt (Lot). Ses 450 coopérateurs cultivent 4 000 ha de vignes. Vinovalie veut créer deux gammes de vins de cépage à partir de quatre variétés du Sud-Ouest (malbec, fer servadou, négrette et loin de l'œil), au goût des consommateurs du monde entier, afin de faire progresser ses exportations. « La France ne peut pas imposer son goût au monde entier », justifie Jacques Tranier, le directeur général. Pour les vignerons, la démarche va demander un « changement d'état d'esprit » car seules les parcelles très qualitatives seront désormais destinées aux AOC Gaillac, Fronton et Cahors. Depuis que Vinovalie a conçu son business plan, il y a cinq ans, son CA à l'export est passé de 2 à 5 millions d'euros.