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Magazine - Etranger

San Rafael : Une histoire française

Angeline Montoya - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 88

En Argentine, à 230 km au sud de Mendoza, le vignoble de San Rafael doit beaucoup à un audacieux français. Après avoir décliné, il veut retrouver son lustre passé.
SITUÉ AU PIED DES ANDES, le vignoble de San Rafal est principalement planté en plaine. L'altitude ne dépasse pas 800 mètres. Le chenin y a trouvé un terrain propice.

SITUÉ AU PIED DES ANDES, le vignoble de San Rafal est principalement planté en plaine. L'altitude ne dépasse pas 800 mètres. Le chenin y a trouvé un terrain propice.

CHAI. À l'époque de sa création, en 1900, il fallait tout produire sur place, y compris l'électricité grâce à une turbine. Un village avec trente maisons, une chapelle et une école s'était construit autour de l'immense bodega.

CHAI. À l'époque de sa création, en 1900, il fallait tout produire sur place, y compris l'électricité grâce à une turbine. Un village avec trente maisons, une chapelle et une école s'était construit autour de l'immense bodega.

GOYENECHEA, qui a produit jusqu'à 14 millions de litres de vin, est une des plus grandes entreprises de la région. Elle reçoit beaucoup de visiteurs. Ici, la salle de dégustation pour les accueillir.

GOYENECHEA, qui a produit jusqu'à 14 millions de litres de vin, est une des plus grandes entreprises de la région. Elle reçoit beaucoup de visiteurs. Ici, la salle de dégustation pour les accueillir.

PABLO MICHEL ASENS ET JUAN PABLO MARCHENA tiennent à conserver leur patrimoine constitué de vieux pressoirs (ci-dessus), égrappoirs et foudres (ci-contre). Importées de France à la fin du XIXe siècle, certaines machines fonctionnent encore. PHOTOS A. MONTOYA

PABLO MICHEL ASENS ET JUAN PABLO MARCHENA tiennent à conserver leur patrimoine constitué de vieux pressoirs (ci-dessus), égrappoirs et foudres (ci-contre). Importées de France à la fin du XIXe siècle, certaines machines fonctionnent encore. PHOTOS A. MONTOYA

ALEJANDRO ROCA, vice-président de la compagnie Roca, croit au terroir de San Rafael. Son père a construit le chai et il fait partie de la quatrième génération de vignerons.

ALEJANDRO ROCA, vice-président de la compagnie Roca, croit au terroir de San Rafael. Son père a construit le chai et il fait partie de la quatrième génération de vignerons.

GRÊLE. C'est un véritable fléau, surtout en été. Pour réduire les risques, des avions sont utilisés pour larguer dans les nuages de l'iodure d'argent. Presque tous les vignobles sont protégés par des filets.

GRÊLE. C'est un véritable fléau, surtout en été. Pour réduire les risques, des avions sont utilisés pour larguer dans les nuages de l'iodure d'argent. Presque tous les vignobles sont protégés par des filets.

San Rafael, c'est d'abord une histoire française. À la fin du XIXe siècle, l'homme d'affaires Rodolphe Iselin se laisse convaincre par un compatriote, l'ingénieur Jules Balloffet, d'acheter des terres dans ce qui n'était alors qu'un désert. Il acquiert des centaines d'hectares. Il fait construire des canaux d'irrigation et trace les premières artères d'une ville, dont la rue principale s'appellera… Rodolfo Iselin. Puis il fait venir deux cents familles européennes pour peupler la « colonia francesa ». Rodolphe Iselin plante ses premiers pieds de vignes en 1884. La bodega La Abeja et ses cuves en ciment existent toujours. En 1945, elle est rachetée par cinq familles du cru qui la laissent plus ou moins à l'abandon. Pablo Miguel Asens, le petit-fils de l'un de ces investisseurs, l'a remise en état il y a neuf ans.

San Rafael est située à 700 m d'altitude et à 230 km au sud de Mendoza. Deux fleuves, l'Atuel et le Diamante, charrient des alluvions des Andes. Les pluies ne dépassent pas 300 mm par an et l'amplitude thermique est idéale. « Des automnes longs aux températures douces permettent une maturation lente et complète des raisins, indique Raul Arroyo, œnologue chez Alfredo Roca, une des principales entreprises de la région. Ici, nous avons un bon développement du fruit, ce qui donne des vins ronds, élégants et aimables. Nous avons de très bons blancs, notamment de chenin. »

Le recours aux œnologues de Mendoza

Au cours du XXe siècle, on enregistrait plus de 200 bodegas. La chute de la consommation, la crise économique des années quatre-vingt et la grêle – le fléau de la région – ont porté un rude coup à la viticulture.

« Dans les années soixante-dix, 30 % des vins blancs haut de gamme du pays étaient produits ici », souligne Pablo Miguel Asens, par ailleurs président de la chambre de commerce et d'industrie agroalimentaire de San Rafael. Puis beaucoup de vignes ont été arrachées. « À Lujan de Cuyo ou Maipú, les producteurs ont su maintenir Une histoire française leur image de vins d'excellente qualité. Puis, les investisseurs étrangers sont arrivés et tout s'est revalorisé. Ici, nous n'avons pas su nous repositionner comme zone de première catégorie », regrette Pablo Miguel Asens.

Aujourd'hui, San Rafael compte 88 bodegas et 16 000 hectares de vignes. Les plus grosses exploitations d'antan commencent à miser sur la qualité et font venir leurs œnologues de Mendoza. Goyenechea, entreprise familiale d'origine basque dont la cinquième génération est aux commandes, disposait de 800 ha de vignes jusque dans les années soixante-dix. « Il ne reste que 100 ha en production, signale Soledad Goyenechea. La capacité de notre chai est de 140 000 hl, mais nous n'utilisons que 60 000 hl. »

Les principales bodegas s'appellent Bianchi (de loin la plus importante, avec une production de 140 000 hl par an), Roca ou Rivier, encore aux mains des familles fondatrices. Au début des années quatre-vingt-dix, Valentin Bianchi lance l'idée d'établir une appellation d'origine. Mais à l'instar de Lujan de Cuyo, la seule autre région argentine à avoir sa propre AOC, le système n'a pas vraiment décollé. « Nous ne pouvons pas prétendre imposer une AOC en quelques années, car personne ne sait où se trouve San Rafael », justifie Julio Juri, le délégué local de l'Institut national de vitiviniculture (INV).

« San Rafael a un potentiel énorme »

« À la chambre de commerce, nous avons décidé de relancer l'AOC, affirme Pablo Miguel Asens. Nous travaillons sur la qualité des vignes, l'équipement technologique des chais et l'image de nos vins. San Rafael a un potentiel énorme, et pas seulement en vins blancs. Nous voulons redevenir ce que nous étions il y a trente ans. »

Depuis 2009, Aziz Abdul produit son vin, Château Hana, à San Rafael. Ce Français est persuadé de l'intérêt de faire renaître l'AOC. Pour y arriver, il estime qu'il faut étoffer le cahier des charges. « Sept bodegas ont défini elles-mêmes le cahier des charges de l'AOC. Et l'INV a transformé cela en résolution, explique-t-il. Cependant, à part la limitation de la production à 8 000 kg par hectare, il n'y a rien derrière : rien sur l'irrigation ni sur la taille. Or, il faut se donner des règles, valoriser le terroir. »

« Nos vins sont caractérisés par leur minéralité », ajoute Aziz Abdul, qui se demande s'il ne serait pas judicieux de stipuler que les vins AOC doivent exprimer cette minéralité.

Au contraire de Lujan de Cuyo ou de la vallée de Uco, où des Bordelais, des Américains et d'autres ont acheté des centaines d'hectares, les étrangers sont discrets à San Rafael. « Les prix n'ont donc pas grimpé artificiellement », asssure Aziz Abdul. Pourtant, il y a bien eu un énorme investissement, celui d'Algodon Wines. Dans le milieu des années quatre-vingt-dix, un ancien joueur de golf, Ricardo Jurado, tombe amoureux de la terre de San Rafael. Il y achète 240 ha cultivés, dont la moitié de vignes, et y construit un terrain de golf, un hôtel, une boutique, dix courts de tennis et un restaurant. En 2006, un groupe américain acquiert 600 ha de plus, dans le but de les diviser en lots de 4 ha et de les vendre à des investisseurs. Chacun pourra y construire sa maison et y cultiver ses vignes, dont le raisin sera vinifié à la bodega. « Acheter des terres et faire venir des investisseurs, ce n'est finalement pas bien différent de ce qu'avait fait Rodolphe Iselin il y a cent ans ! » plaisante Pablo Miguel Asens.

4 000 petits cultivateurs

Mais San Rafael, comme la plupart des régions du pays, est avant tout constitué de très petits producteurs de moins de 5 ha : il y en a près de 4 000. Ils sont souvent afiliés à une coopérative. « Nous sommes payés 15 ou 20 % de plus que ceux qui vendent leur raisin aux grands chais de la région », assure Oscar Manuel, l'œnologue de la coopérative Sierra Pintada, qui compte 350 producteurs.

San Rafael, c'est aussi une région touristique. Les propriétaires de La Abeja mettent l'accent sur le patrimoine historique de leur bodega, qu'ils tentent de conserver en l'état. Ils sont à l'origine d'un projet, le Bondivino, un « bus du vin » qui fait la liaison entre cinq bodegas. Mais il reste un problème : le manque d'infrastructure hôtelière.

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