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VIGNE

Onze conseils pour gérer une maturité hétérogène

Christelle Stef - La vigne - n°244 - juillet 2012 - page 26

Cette année, dans plusieurs régions, les raisins risquent de ne pas être mûres de manière homogène. Certaines parcelles ont souffert du gel, d'autres de la grêle. Voici quelques conseils pour gérer cette difficulté
L'ÉCHANTILLONNAGE sera crucial cette année. Les specialistes conseillent de prélever des grappes plutôt que des baies. © M. GASARIAN

L'ÉCHANTILLONNAGE sera crucial cette année. Les specialistes conseillent de prélever des grappes plutôt que des baies. © M. GASARIAN

1. Identifiez le problème

Différentes causes peuvent provoquer une hétérogénéité de la maturité : un accident climatique (gel ou grêle), un étalement de la floraison, un problème phytosanitaire (mildiou, oïdium…) ou encore un stress hydrique. Cette année, dans beaucoup de cas, l'hétérogénéité résulte du débourrement chaotique consécutif au gel d'hiver.

Selon la cause, on a affaire à différents types d'hétérogénéité, qu'il faut déterminer. Est-ce un décalage inhabituel entre les zones d'une parcelle ou entre les parcelles d'une propriété ? Un écart important entre les grappes d'un même pied ? Entre les baies d'une même grappe ? On adapte le prélèvement d'échantillon et la sélection de vendange en fonction de ces situations.

2. Prélevez plutôt des grappes

« Plus que jamais, l'étude de la maturité à l'abord des vendanges sera importante », insiste Olivier Roustang, consultant à Rhône œnologie. Et l'échantillonnage sera crucial. Or, lorsqu'on a fait face à des grappes hétérogènes, avec des baies à différents stades, les spécialistes conseillent de prélever des grappes plutôt que des baies. « Lorsqu'on prélève des baies, on a tendance à prendre celles qui sont les plus accessibles, donc les plus mûres, remarque Nicolas Secondé, conseiller œnologue pour le laboratoire nolia conseil, en Alsace. Or, quand il y a eu du gel, les grains les plus verts, qui ont fleuri en dernier, se trouvent à l'intérieur des grappes. En pratique, un échantillon de quinze à vingt grappes par parcelle permettra d'avoir une idée cohérente de la maturité de la parcelle. » Olivier Roustang ajoute qu'« il ne faut pas se contenter de regarder le niveau d'acidité totale, comme souvent, mais s'intéresser aussi à l'acidité tartrique qui indique un manque de maturité lorsqu'elle est élevée ».

3. Si nécessaire, faites plusieurs échantillons

Si une partie d'une parcelle est en avance par rapport au reste, mieux vaut prélever un échantillon dans chaque zone. C'est le cas, par exemple, lorsqu'une partie de la parcelle a été en situation de stress hydrique. « La maturité peut être bloquée en haut du coteau alors que, dans le bas, elle progresse linéairement. Dans ce cas, il faut prélever un échantillon en bas et en haut », insiste Nicolas Secondé. Ceux qui connaissent bien leur parcellaire seront aidés pour identifier les zones.

Lorsqu'une parcelle a été grêlée et qu'une face des rangs est plus impactée que l'autre, il faut faire un prélèvement sur chaque face.

4. Soyez vigilant lors du pressurage des échantillons

Les petits pressoirs (type Para-Press) à membrane que l'on branche sur un robinet modélisent bien le pressurage, selon Nicolas Secondé. « Mais il faut faire attention lorsqu'on se retrouve avec des grappes hétérogènes qui ont des grains très mûrs et d'autres peu mûrs, prévient l'œnologue. Lorsqu'on presse ces grappes, on obtient des jus plus sucrés que le niveau réel de maturité de l'ensemble de la grappe car les grains verts ne sont pas pressés. » Il conseille donc de coupler le pressurage à la membrane avec un pressurage à la main.

5. Goûtez davantage de baies

Olivier Roustang insiste sur la nécessité de soigner la dégustation des baies. « Il faut être vigilant sur les équilibres sucre acide et sur le côté aromatique. Pour les rouges, il faut regarder si les tanins sont granuleux ou pas. » Selon lui, il faut y passer plus de temps que d'habitude et goûter davantage de baies.

De son côté, Matthieu Lequeux, ingénieur agronome et œnologue au sein du laboratoire Natoli & Coe, estime que la dégustation des baies n'est pas forcément utile. « Elle est faussée et n'apporte rien de plus. La dégustation des baies est importante lorsqu'on a un objectif de forte valorisation du raisin. Mais si l'on a des vendanges hétérogènes, mieux vaut réorienter sa production et se tourner vers des process de vinifications plus technologiques pour faire des rouges fruités ou des rosés. »

6. Augmentez le nombre de passages

« Il faut être très assidu dans le contrôle des parcelles pour évaluer au mieux la maturité, recommande Olivier Roustang. Il faut passer plus souvent. Et plus on approche de la date de récolte, plus il faut augmenter le nombre de passages. » Cet œnologue conseille de démarrer par une prise d'échantillon par semaine, puis deux, voire trois par semaine à la veille des vendanges.

7. Systématisez les effeuillages

François Dal, de la Sicavac, à Sancerre, dans le Cher, espère que la période favorable à la maturité des grappes sera suffisamment longue pour permettre à celles les plus en retard d'être suffisamment mûres à la récolte. « Il faut attendre le plus possible pour éviter les arômes végétaux, quitte à avoir un peu de surmaturité. Mais s'il y a des attaques de pourriture grise, cela posera problème. Pour limiter les risques et favoriser l'ensoleillement, il faut systématiser davantage les effeuillages », conseille-t-il.

8. Si vous vendangez à la main, triez

Si l'hétérogénéité résulte d'un problème sanitaire, c'est lui qui va déterminer le top départ pour sauver ce qui peut l'être. Puis il faut trier les grappes à la parcelle pour ne conserver que les plus saines. Si les souches portent des grappes à différents niveaux de maturité, l'idéal est de vendanger en deux passages. « S'il y a eu du gel et que des grappes de deux générations sont présentes, il est possible de les distinguer à l'œil nu et de les ramasser en deux fois. Mais en pratique peu de vignerons le font », remarque Nicolas Secondé. D'autant que cela demande un œil très exercé. « Seuls les domaines très haut de gamme peuvent se le permettre », reconnaît François Dal. De son côté, Étienne Carre, du laboratoire de Touraine, estime que si la charge est suffisante, une vendange en vert avant la véraison peut être bénéfique, car cela permettra aux grappes restantes de profiter davantage.

9. Si vous avez recours à la machine, réglez bien les secoueurs

Les machines à vendanger de dernière génération dotées de batteurs plus doux sont capables de laisser sur pied les raisins verts ou flétris et de ne récolter que les baies bien mûres. Dans ce cas, il faut bien régler les secoueurs. « Les systèmes de soufflerie et d'érafloirs embarqués permettent quand même d'obtenir une vendange de qualité lorsque l'hétérogénéité est modérée. Mais dans les parcelles où il y a de forts écarts, même avec la meilleure machine à vendanger, on ne fera de miracle », prévient Matthieu Lequeux.

10. Dans la mesure du possible, séparez les lots

« Si l'on dispose de suffisamment de cuves, il faut séparer les lots, recommande Olivier Roustang. On ne remplira pas forcément les cuves en totalité mais plus on aura séparé les lots en amont, plus il sera facile d'adapter les vinifications. Les années d'hétérogénéité sont des années d'assemblage. »

11. Adaptez les vinifications

Pour les rouges, l'extractibilité des tanins et la diffusion de la couleur risquent d'être plus difficile. Pour Olivier Roustang, « les tanins pourraient être de mauvaise qualité ». Selon lui, ce ne sera pas une année à faire des cuvées avec des grappes entières, une pratique dont il constate le retour. « Il faut éviter les extractions trop poussées pour ne pas extraire d'amertume et d'arômes végétaux », poursuit Étienne Carre. « Si les grappes manquent de maturité, il faut réduire la phase de macération. Dans les cas où c'est possible, l'épépinage sera également une bonne chose », indique à son tour Nicolas Secondé.

Pour les blancs, le pressurage sera plus délicat. « Au lieu d'avoir un seul point d'éclatement des baies, il risque d'y en avoir deux ou trois, prévient Nicolas Secondé. Il faut à chaque fois trouver ces points et laisser le temps au jus de s'écouler avant de passer au palier suivant. C'est un travail difficile qui demande de passer beaucoup de temps devant le pressoir. » La clarification risque également d'être plus difficile car les moûts seront plus riches en pectine.

Favoriser la mise en réserve après les vendanges

Lorsque l'hétérogénéité apparaît entre la floraison et la véraison et qu'elle résulte d'une carence en minéraux ou d'un stress hydrique, il est possible de la limiter en pilotant l'irrigation là où elle est autorisée ou en apportant des compléments foliaires. Dans ce dernier cas, une analyse pétiolaire est nécessaire pour déterminer le niveau de carence. Après la récolte, il faudra veiller à favoriser la mise en réserve et l'aoûtement en protégeant correctement le feuillage des attaques tardives de mildiou avec des traitements au cuivre

Le Point de vue de

Yves-Jean Houser, domaine des Amadieu, à Cairanne (Vaucluse), 7 ha en Côtes-du-Rhône villages Cairanne

« La décision de récolter se fera en fonction du stade principal de la parcelle »

Yves-Jean Houser, domaine des Amadieu, à Cairanne (Vaucluse), 7 ha en Côtes-du-Rhône villages Cairanne

Yves-Jean Houser, domaine des Amadieu, à Cairanne (Vaucluse), 7 ha en Côtes-du-Rhône villages Cairanne

« Début juin, dans certaines parcelles de grenache qui ont souffert du gel cet hiver et où le débourrement a été chaotique, des rameaux étaient au stade douze feuilles étalées et d'autres à fin floraison-début nouaison. Il y a donc jusqu'à quinze jours à trois semaines de décalage selon les rameaux. Certaines grappes ne seront pas mûres au moment de la récolte. Les vignerons qui font de la vendange en vert avant la véraison peuvent les éliminer. Mais ce n'est pas mon cas, car mes vignes sont peu chargées. Je fixerai la date de récolte en fonction du stade principal de mes parcelles. Pour déterminer cette date, lors des contrôles de maturité, je prélèverai des baies uniquement sur les ceps où la phénologie est homogène. Sur les parcelles vraiment très hétérogènes, je ferai deux échantillons. Nos vendanges sont manuelles, nous observerons donc les grappes. On ne coupera pas celles qui ne seront visiblement pas mûres. Mais pour peu que toutes les baies aient véré, les vendangeurs ne feront pas la différence entre les grappes en début de maturité et celles à pleine maturité. J'ai pour habitude de séparer les vendanges de chaque parcelle. Si je vois qu'un lot est vraiment très hétérogène, j'adapterai les vinifications.

Je ferai des extractions plus douces pour rester sur le fruit et séparerai les presses pour éliminer celles qui présentent des caractères végétaux à la dégustation. »

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