LES PIEDS TRÈS AFFECTÉS S'AFFAIBLISSENT. Les cochenilles produisent du miellat, source de développement de la fumagine, puis les grappes et les feuilles deviennent noires comme du charbon en fin de saison. PHOTOS CHAMBRE D'AGRICULTURE DE SAÔNE-ET-LOIRE
« Je les ai vraiment découvertes l'an dernier avec des fourmis en pagaille qui étaient attirées par leur miellat, se souvient un viticulteur de Fuissé (Saône-et-Loire) souhaitant garder l'anonymat. Sur une parcelle, tous les pieds étaient infestés. En 2010, nous n'avions pas fait attention et les baies n'ont jamais mûri. Les feuilles étaient grillées après les vendanges sans qu'on sache pourquoi. » Ce vigneron ne veut plus voir ce scénario se reproduire.
Fuissé est un secteur particulièrement concerné par les attaques récentes de cochenilles floconneuses. Il n'est pas le seul. Les techniciens des chambres d'agriculture de Saône-et-Loire et du Rhône s'accordent à dire qu'il « y en a un peu partout » dans le sud du Mâconnais et le nord du Beaujolais.
Retards de croissance en début de saison
Signalé depuis quatre ans, le phénomène prend de l'ampleur. « En début de saison, dans les cas les plus graves, on observe un retard – voire une absence – de pousse. Lorsque la pression des cochenilles est moindre, il n'y a pas de symptômes observables jusqu'à l'été. Le premier symptôme visible, c'est le miellat qui colle et qui coule. L'infestation peut provoquer la nécrose des feuilles », explique Benjamin Alban, de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire.
Les pieds les plus attaqués font de moins en moins de réserve et finissent par perdre de la vigueur. La sécrétion de miellats peut devenir source de développement pour un champignon : la fumagine. Ce dernier recouvre alors en surface les grappes mais également les bois et les feuilles. La photosynthèse est perturbée et la maturité des baies compromise. Les grappes sont noires comme du charbon à la vendange. Des cas de déviations aromatiques sur moûts et vins ont été observés l'an passé. Au printemps 2011, deux spécialistes – Gilles Sentenac, de l'IFV de Beaune (Côte-d'Or), et Jean Le Maguet, chercheur à l'Inra de Colmar (Haut-Rhin) – se sont déplacés pour identifier l'espèce responsable de ces attaques. Il s'agit en fait de la cochenille de l'érable, Neopulvinaria innumerabilis, déjà identifiée dans le Mâconnais au début des années quatre-vingt-dix et connue dans les vignobles méridionaux.
Difficile à distinguer de la cochenille floconneuse de la vigne (Pulvinaria vitis), ce nouveau ravageur est plus fertile qu'elle. Ainsi, chaque larve femelle pond entre 5 000 et 8 000 œufs, contre 2 000 à 3 000 pour sa cousine germaine. Leur viabilité est également supérieure. Les conséquences ne se font pas attendre. « Il y a une explosion des populations », décrit Benjamin Alban. Mais de façon disparate, des parcelles très touchées côtoyant des parcelles indemnes.
Des traitements à l'essai
Plusieurs viticulteurs situés au cœur de la zone infestée n'ont pas de vignes touchées. Pourquoi ? « Peut-être en raison de l'environnement des parcelles, de parasites naturels de la cochenille de l'érable ou des haies empêchant leur propagation ? » s'interroge Jean Le Maguet, qui n'a aucune certitude pour l'heure. À l'IFV de Beaune, Gilles Sentenac finalise un rapport sur le rôle de la faune auxiliaire dans le contrôle de ce nouveau parasite.
Il se pourrait qu'une solution existe. Avec les coopératives Mâconnais-Beaujolais et Bresse-Mâconnais, la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire a réalisé des essais sur trois parcelles l'an dernier. Le but était de trouver une alternative aux produits organophosphorés homologués contre la cochenille floconneuse de la vigne, mais « pas vraiment doux pour la faune auxiliaire », rappelle Florent Bidaut, technicien à la chambre d'agriculture.
Les premiers résultats tendent à montrer l'efficacité du fénoxycarbe – matière active d'Insegar – en pulvérisation foliaire. Ce produit est déjà homologué contre la cochenille du cornouiller. « Lors des comptages que nous avons effectués cet hiver, il ne restait plus que deux larves sur les ceps traités, contre 200 sur les témoins », résume la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. Il faut intervenir lors du pic d'essaimage des larves, un phénomène qui se produit lorsqu'elles passent du stade L1 au L2. Après ce stade, l'insecticide ne peut plus bloquer la mue.
« Il faut confirmer ces essais cette année. Nos bons résultats n'étaient peut-être qu'un coup de chance », poursuit la chambre d'agriculture. L'an dernier, les premiers traitements avaient été planifiés au 20 juin. La climatologie 2012 devrait entraîner un décalage d'une dizaine de jours en plus.
Des parasites présents partout en France
En 2011, « les cochenilles sont signalées dans la plupart des vignobles, indiquent les services régionaux de l'alimentation de Bourgogne, Champagne, Languedoc-Roussillon et Rhône-Alpes, dans un bilan publié par notre confrère « Phytoma ». En Rhône-Alpes, tous les vignobles sont infestés à des niveaux parfois élevés. Les cochenilles sont aussi bien présentes en Aquitaine ». Ces ravageurs déprécient le raisin de table de Moissac (Tarn-et-Garonne). Ils ont sévi dans des parcelles du Libournais, où l'on a dénombré jusqu'à soixante femelles de cochenille du cornouiller par aste. De son côté, la chambre d'agriculture du Haut-Rhin note, dans son bilan 2011, que « la cochenille bohémienne a été préoccupante ». Ces ravageurs causent rarement d'importants dégâts directs, sauf en Mâconnais et en Beaujolais, mais ils transmettent l'enroulement.
Et en bio ?
Les parcelles en viticulture biologique ont du souci à se faire. « Dans la pharmacopée actuelle, il n'y a pas de solution », s'attriste Benjamin Alban, technicien à la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. Des produits à base d'huiles naturelles sont en cours d'élaboration par les firmes. Reste à confirmer leur efficacité par des essais lors de leurs mises en marché.
Elle provient d'Amérique du Nord
La cochenille floconneuse Neopulvinaria innumerabilis provient des régions froides des États-Unis et du Canada. Elle est signalée pour la première fois en France en 1967. Notre climat doit lui convenir puisqu'elle s'est bien multipliée depuis. Cependant, Jean Le Maguet, chercheur à l'Inra de Colmar (Haut-Rhin), pense qu'elle est peut-être arrivée avant 1967, car cette cochenille dite de l'érable est difficile à différencier de Pulvinaria vitis, la cochenille floconneuse de la vigne.
D'ailleurs, les deux espèces peuvent cohabiter. La nouvelle venue a d'abord été repérée en Languedoc et dans la vallée du Rhône. « Elle remonte certainement avec les flux commerciaux et les échanges de matériel végétal », indique l'expert en santé de la vigne.
Les larves du premier stade larvaire sont légères au point qu'elles peuvent être dispersées par les vents. Cela expliquerait leur diffusion discontinue dans le vignoble. En revanche, les cochenilles adultes se déplacent très peu. La cochenille de l'érable peut transmettre le virus de l'enroulement.