« Ils m'ont flingué. Mes vins sont certifiés bio, mais l'analyse a détecté des traces infinitésimales de molécules phytos qui proviennent des traitements réalisés par des voisins en conventionnel. » Patrick Hudelot, vigneron en bio depuis plus de dix ans, en a gros sur le cœur. Son hautes-côtes-de-nuits 2009 a été noté 8,5 sur 20 par le magazine « 60 millions de consommateurs », dans un article paru en mai dernier sous le titre « Polluants, sulfites : 52 vins à l'épreuve ». La revue y a décelé treize polluants en quantité très faible dans ce vin.
Après la publication de cet article, Patrick Hudelot a subi un net préjudice. « J'ai perdu un contrat de 250 000 euros chez Carrefour où j'étais en référencement permanent, soutient-il. J'avais reçu le rapport d'analyse, mais je ne savais pas que cela allait donner lieu à un article où les vins sont notés. »
Le magazine a prélevé tous les vins de l'enquête en grande distribution. Il les a fait analyser puis les a notés selon leur teneur en résidus de produits phytos, en ochratoxine A (ce que la revue appelle « les polluants »), en cuivre et en sulfites.
Deux vins seulement ne présentent aucune trace de résidus de produits phytos. Tous deux sont certifiés bio : un vin de la gamme Autrement, de Gérard Bertrand, et un corbières, le château de Caraguilhes. Les 50 autres, qu'ils soient conventionnels ou bios, contiennent entre un et quartorze polluants (produits phytos ou ochratoxine A). Ces substances sont en « très faibles doses » relativise « 60 millions de consommateurs », mais les notes sont parfois sévères.
« Faire peur au grand public »
La revue attribue un 5 sur 20 à un vin d'une coopérative des Corbières dans lequel elle a trouvé treize polluants en quantité « plutôt élevée » et dont le plus « préoccupant » est l'ochratoxine A.
« Je n'étais pas au courant de cette parution. L'enquête est très stigmatisante. Elle a pour but de faire peur au grand public. C'est inadmissible de la part de l'Institut national de la consommation, un organisme public, s'emporte le directeur de cette cave. J'ai vérifié leur rapport d'analyse. Les teneurs de résidus de phytos retrouvées dans notre vin sont mille fois inférieures aux limites maximales autorisées sur les raisins. Or, l'article ne le dit pas. Il a noirci les choses. Et il est mensonger quant à la dose maximale admissible pour l'OTA. Je crains qu'il nous fasse du tort. Je me mets à la place du consommateur.»
D'autres producteurs sont en revanche rassurés. Benjamin Richer de Forges, directeur commercial du château La Tour de By (Médoc), était averti de la parution de l'article. « Nous faisons attention à notre terroir depuis longtemps en pratiquant la protection raisonnée. Nous étions donc confiants. Mais “60 millions de consommateurs” est souvent polémique. Nous ne savions pas comment ils allaient interpréter l'analyse », se souvient-il. Son château Cailloux de By 2007 a été noté 14 sur 20. « Nous sommes satisfaits que cette cuvée ait été appréciée, d'autant qu'il s'agit de notre troisième vin. Mais nous n'avons eu aucun retour de nos acheteurs au sujet de l'article. »
Cellier des dauphins n'a pas non plus eu de remarques de ses clients. « 60 millions de consommateurs » livre pourtant des résultats étonnants. La revue accorde la même note à deux côtes-du-rhône 2010 du groupe coopératif, l'un en bio et l'autre en conventionnel : 13,5sur 20. Dans les deux cas, il dit avoir détecté dix molécules en quantité « très faible », alors que le côtes-du-rhône le mieux noté en contient sept.
« Nos résultats sont dans la moyenne, déclare Gilles Le Besnerais, directeur général de Cellier des dauphins. L'absence de différence entre le bio et le conventionnel s'explique par une contamination du bio due au voisinage et par des traitements en conventionnel moins nombreux dans notre région, par rapport à d'autres où le climat est plus propice aux maladies. »
« Une contre-analyse qui n'a rien détecté »
« L'article ne donne pas toutes les explications nécessaires et ne précise pas toutes les contraintes que s'imposent les vignerons en bio, déplore Xavier Baril, œnologue au domaine bio Fernand Engel, à Rorschwihr (Haut-Rhin). Notre gewurtzraminer 2009 a été noté 18 sur 20. Des clients nous ont félicités. Mais des concurrents ont jugé que nos vins n'étaient pas vraiment bios car le magazine y a trouvé deux molécules en très faible quantité. Alors j'ai fait faire une contre-analyse sur le même lot. Elle n'a rien détecté. Nous pratiquons tous les ans des analyses pour pouvoir vendre un vin sous une MDD en grande distribution. Ces analyses se sont toujours révélées négatives. Il serait dommage qu'à la suite de cet article, des consommateurs se disent que ce n'est pas la peine d'acheter du vin bio étant donné qu'on y trouve des résidus. »
Pour Patrick Hudelot, « un tel article alimente la suspicion des clients ». De son côté, Benjamin Richer de Forges estime que « le travail des organismes certicateurs en viticulture bio peut être remis en cause » à la lecture de certains résultats de l'analyse de « 60 millions de consommateurs ».
Mais une enquête de ce genre peut aussi être positive pour l'ensemble de la viticulture, selon Gilles Le Besnerais, de Cellier des dauphins : « Cela incite les producteurs à ne pas faire n'importe quoi, même si le lecteur a tendance à ne voir que ce qui ne va pas. »
Aucune précision sur les résultats obtenus
Dans son article, « 60 millions de consommateurs » ne précise pas les teneurs qu'il a trouvées. Il n'indique pas davantage le seuil de détection (teneur à partir de laquelle on détecte une substance), ni le seuil de quantification (teneur à partir de laquelle on peut mesurer la quantité de substance détectée), deux notions importantes pour les spécialistes de l'analyse de résidus. « Généralement, les laboratoires n'indiquent un résultat que si le résidu est quantifiable. Dans l'analyse de "60 millions de consommateurs", la mention "très faible" correspond peut-être à "détecté, non quantifié", s'interroge Magali Grinbaum, responsable des analyses de résidus à l'IFV d'Orange (Vaucluse). Dans ce cas, on est proche du zéro résidu. » Magali Grinbaum pointe également le fait que le magazine englobe l'OTA dans les polluants recherchés, alors que « l'ochratoxine et les produits phytos sont deux choses différentes ». Contactée, la rédaction de « 60 millions de consommateurs » n'a pas répondu à nos questions et demandes de précisions. Nous savons seulement qu'elle a utilisé la chromatographie en phase liquide couplée à un spectromètre de masse à ultrahaute résolution, une méthode très performante.
Le Point de vue de
Magali Grinbaum, responsable des analyses de résidus à l'IFV d'Orange (Vaucluse)
« Des teneurs très en dessous des limites autorisées sur raisins »
« Les résultats de l'enquête ne me surprennent pas. Les résidus retrouvés dans les vins bios proviennent des parcelles en conventionnel proches et les analyses détectent des molécules à des teneurs très basses. Généralement, les teneurs en résidus retrouvées dans les vins – bios ou conventionnels – sont cent fois inférieures aux limites maximales autorisées sur le raisin et peuvent être jusqu'à mille fois inférieures pour certaines molécules. Les molécules fongicides antimildiou et antibotrytis sont le plus souvent présentes, les herbicides jamais. Le nombre de molécules détectées est plus important dans les vins rouges, du fait de la macération, que dans les vins blancs. »