LA VIGNE : Vous lancez le service « Piloter en conjoncture instable ». En quoi consiste-t-il ?
Antony Cararon : Il repose sur deux volets : nous proposons à nos clients de situer leurs coûts de production par rapport à un groupe référent, puis nous définissons une stratégie commerciale. Nous avons réalisé un travail important pour établir les coûts de production par système de commercialisation. Cela permet à nos adhérents de se situer par rapport à leurs confrères qui ont une exploitation similaire.
En quoi la conjoncture viticole est-elle plus instable qu'avant ?
A.C. : Dans de nombreuses régions, les vignerons ont dû faire face à une baisse continue des prix pendant presque dix ans. Cette baisse a atteint un plancher. Pour autant, le prix du vrac reste encore insatisfaisant. Les viticulteurs ont donc dû travailler sur les coûts et leur stratégie commerciale pour pérenniser leur exploitation.
Les vignerons sont-ils à l'aise avec les coûts de production ?
A.C. : Pas tous, mais cela évolue. Il est vrai que beaucoup de ceux qui vendent leur vin en bouteilles n'ont pas une idée précise de leurs coûts de production. Mais le changement générationnel et la volonté des vignerons à vendre eux-mêmes leur production modifient la donne. Nous avons plus de demande et d'écoute sur ce sujet qu'auparavant.
Et que constatez-vous ?
A.C. : Les vignerons sous-estiment très souvent leurs coûts commerciaux. Ils font le calcul suivant : en vendant ma bouteille 4 euros TTC et en retirant le coût des matières sèches, je valorise mon vin à 2 500 euros le tonneau de 900 litres, contre 900 euros le tonneau en vrac. Mais ils n'intègrent pas, ou pas assez, leurs coûts de prospection, de participation aux foires, etc. Or, ce coût avoisine souvent les 2 euros par bouteille en circuits courts. Il faut avoir une politique tarifaire cohérente.
La vente directe n'est donc pas toujours la solution ?
A.C. : Non. Cela suppose de très bien valoriser ses vins pour absorber les surcoûts et le temps passé. Plus un viticulteur est proche du consommateur final, c'est-à-dire de la clientèle particulière, plus les coûts commerciaux sont importants et plus le temps consacré à la vente est important. Ce qui est trompeur, c'est le prix de vente qui est plus élevé qu'à l'export, pour une même gamme de vin. Mais dans le cas de l'export ou de la vente dans des circuits spécialisés, on vend beaucoup de bouteilles pour moins de temps passé. Ce n'est pas un mauvais calcul. S'adresser directement au client final peut paraître rassurant mais ce n'est pas toujours la bonne stratégie. Ou, en tout cas, pas l'unique stratégie.
Avec la réforme des plus-values intervenue en août 2011, conseillez-vous aux vignerons d'acheter leurs vignes via leur entreprise ?
A.C. : Pas nécessairement. Certes, il faut prendre en compte l'aspect fiscal, avec la taxation des plus-values en cas de cession, mais également l'organisation patrimoniale de la famille. Or, généralement, les vignes suivent la famille alors que l'exploitation est une entreprise qui peut accueillir un tiers. Tout dépend du degré d'ouverture de l'exploitation à des membres extérieurs à la famille.
Des juristes conseillent aux viticulteurs de passer à l'impôt sur les sociétés (IS) pour jouer complètement la carte de l'entreprise…
A.C. : Là encore, il faut avoir une approche très pragmatique. L'IS peut être intéressant dans certains cas. Un viticulteur peut créer une holding qui détient des parts dans sa société d'exploitation. Celle-ci reste assujettie à l'impôt sur le revenu et la holding l'est à l'IS. Cela permet un retour en arrière si l'IS n'est plus un bon choix. Il faut rester prudent car avec les changements fiscaux qui peuvent venir, comme la taxation des revenus soumis à l'IS aux cotisations sociales (en plus de CSG-CRDS), il ne faudrait pas grand-chose pour que l'IS ne soit plus très intéressant.
Justement, avec l'instabilité fiscale ambiante, les vignerons sont-ils dépités, attentistes, fatalistes ?
A.C. : Ils sont habitués et nous disent que cela a toujours été comme ça. Le changement des règles du jeu en matière de fiscalité crée un vrai problème de visibilité dans cette activité qui exige des investissements à très long terme. Mais leur principal souci, c'est de parvenir à dégager des revenus. La transmission des exploitations est aussi un vrai sujet d'inquiétude. Les outils fiscaux ou d'organisation patrimoniale ne sont pas suffisants pour reprendre une activité qui exige tant de capitaux.