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VIN

Pédale douce sur les remontages

Michèle Trévoux - La vigne - n°245 - septembre 2012 - page 36

Les vins surextraits sont passés de mode. Les remontages sont pratiqués avec plus de discernement, ne portant souvent que sur un seul volume de cuve par jour au début, puis diminuant rapidement en cours de fermentation. Exemple à Bordeaux (Gironde).
L'ŒNOLOGUE Éric Boissenot recommande de ne pas remonter plus d'un volume de cuve par jour, en plusieurs fois, et cela uniquement pendant les cinq premiers jours de macération. © C. WATIER

L'ŒNOLOGUE Éric Boissenot recommande de ne pas remonter plus d'un volume de cuve par jour, en plusieurs fois, et cela uniquement pendant les cinq premiers jours de macération. © C. WATIER

Émile Peynaud doit savourer sa revanche. Cet te sommité de l'œnologie du siècle dernier était un partisan des macérations douces. Il qualifiait de « lessiveurs » les vignerons qui arrosaient leurs marcs jusqu'à épuisement. « Le vin n'est pas tout le raisin, il n'en représente que la meilleure part », affirmait cet expert. Au cours des vingt dernières années, ses préceptes ont été éclipsés par la mode des vins concentrés et boisés lancée par Robert Parker.

« Surextraire masque la signature du vigneron »

« Il y a dix ans, vous n'auriez jamais traité le sujet du bon dosage des remontages. Les journaux ne parlaient que des techniques pour mieux extraire », s'amuse Éric Boissenot. Contre vents et marées, cet œnologue du Médoc est resté fidèle aux recommandations d'Émile Peynaud, avec qui son père a travaillé pendant vingt ans.

« Surextraire masque l'effet du terroir et la signature du vigneron, explique-t-il. On arrive à des vins qui se ressemblent tous. Depuis plusieurs années, les raisins sont plus mûrs, plus concentrés et plus riches. Les extractions peuvent être plus douces. Je préfère avoir des vins de presse qualitatifs que je peux assembler aux vins de goutte lorsqu'il faut apporter de la structure. Si vous avez trop extrait d'emblée, vous êtes ensuite obligés de rectifier le tir avec des procédés correctifs. » En pratique, Éric Boissenot recommande de ne pas remonter plus d'un volume de cuve par jour, en plusieurs fois, et cela uniquement pendant les cinq premiers jours de macération. Dans son dernier livre, « L'œnologie dans tous ses états », Denis Dubourdieu, professeur d'œnologie à l'université de Bordeaux (Gironde), estime lui aussi qu'on extrait trop. « Il n'y a pas besoin de réaliser des remontages fleuves pour obtenir toute la concentration tannique souhaitée dans le vin de goutte. En revanche, l'extraction exagérée détériore beaucoup la finesse des vins de presse », écrit-il.

« Quand les raisins sont peu mûrs, il faut y aller tout doucement »

Denis Dubourdieu a comparé un remontage habituellement pratiqué dans une cave à un remontage réduit de moitié. À l'analyse, les vins de goutte avaient la même teneur en tanins et en anthocyanes, mais le vin de presse de la cuve moins remontée était beaucoup plus coloré et riche en tanins que celui de la cuve témoin.

« Tout se passe comme si dans la cuve la plus remontée, une partie des composés phénoliques extraits des parties solides s'y refixait ensuite irréversiblement, de sorte qu'elle n'en puisse plus être libérée au cours du pressurage », avance Denis Dubourdieu. Stéphane Toutoundji, également œnologue conseil dans le Bordelais, est plus nuancé. L'essentiel pour lui est de s'adapter à la qualité des raisins. « En 2010, qui était un très bon millésime, j'ai recommandé des remontages de 5 à 6 volumes de cuve par jour en début de fermentation. Quand les raisins sont moins mûrs, il faut y aller tout doucement pour n'extraire que les tanins mûrs : cela peut descendre à un volume de cuve par jour, remonté en 6 ou 7 fois. »

Stéphane Toutoundji est partisan d'extraire le maximum dans les vins de goutte. « J'utilise de plus en plus rarement les vins de presse dans les assemblages de vins de garde. » À ses yeux, « le remontage est l'acte œnologique qui a le plus de conséquence sur la qualité et le profil des vins. C'est un formidable outil d'adaptation au marché ».

Trois facteurs décisifs

Le remontage consiste à faire circuler le moût à travers le chapeau de marc pour le lessiver et extraire les anthocyanes et les tanins des peaux de raisin. Le résultat est déterminé par :

Le moment. L'extraction est plus douce en phase aqueuse, c'est-à-dire avant ou au tout début de la fermentation. Les tanins les plus mûrs, les constituants qui apportent du gras et de la suavité, sont extraits en priorité. En fin de fermentation alcoolique, on extrait des tanins plus virils et plus secs. Généralement, à mi-fermentation, la fréquence et les volumes remontés diminuent. En fin de fermentation, des remontages d'affinage sont effectués, dictés par la dégustation et par la nécessité d'humecter le marc.

Le volume. Plus le volume remonté est important, plus le marc est lessivé et plus l'extraction est poussée. Les œnologues recommandent donc de fractionner les remontages en réduisant leur durée et en augmentant leur fréquence. Cela permet d'humecter le chapeau de marc sans le lessiver et sans former des circuits préférentiels susceptibles d'entraîner l'extraction des tanins des pépins, plus astringents que ceux des peaux.

La température. Plus elle est élevée, plus l'extraction est importante. La durée et les volumes des remontages doivent donc se moduler en fonction de la température de macération.

Le Point de vue de

Grégory Lovato, 35 ha de vignes en Bordeaux supérieur à Mouliets-et-Villemartin (Gironde). 150 000 cols dont 90 % à l'export

« Un travail beaucoup plus précis »

Grégory Lovato, 35 ha de vignes en Bordeaux supérieur à Mouliets-et-Villemartin (Gironde). 150 000 cols dont 90 % à l'export © ALBANGILBERT PHOTOGRAPHE

Grégory Lovato, 35 ha de vignes en Bordeaux supérieur à Mouliets-et-Villemartin (Gironde). 150 000 cols dont 90 % à l'export © ALBANGILBERT PHOTOGRAPHE

Médecin généraliste, Grégory Lovato a repris en main le château Lajarre depuis cinq ans. Depuis trois ans, il vend toute sa production en bouteilles alors qu'avant, tout partait en vrac. Conseillé par son œnologue, Stéphane Toutoundji, il a entièrement revu ses pratiques en matière de remontage.

« Je souhaitais élaborer des vins fruités, gourmands et élégants, mais sans trop de concentration. Nous avons construit l'itinéraire technique en suivant ce profil. À partir de la dégustation des baies, nous établissons un cahier de route des remontages pour chaque parcelle, que nous pouvons modifier à tout instant en fonction de la dégustation des cuves. Je pratique des remontages en circuit fermé avec un turbopigeur. J'apporte de l'oxygène avec un cliqueur. Ces dispositifs me permettent de connaître précisément les temps et les volumes de remontage ainsi que les doses d'oxygène apportées. Le nombre de remontages et le volume remonté varient en fonction de la qualité du millésime, des parcelles et du cépage. Je remonte en début de fermentation, jusqu'à une densité de 1 030 à 1 040. Le volume remonté peut aller de la moitié à deux volumes de cuve par jour, en deux à six fois par jour. Puis je diminue progressivement les volumes à un quart, puis à un huitième de cuve. La température de cuvaison est à 28°C. Pour les beaux millésimes, on réduit les remontages car l'extraction s'effectue plus facilement. Pour les millésimes plus légers ou des vendanges à rendement plus élevé, il nous arrive de réaliser un délestage pour extraire un peu plus en tout début de fermentation alcoolique, mais nous réduisons ensuite les remontages. Autrefois, le remontage était appliqué uniformément à l'ensemble des cuves. Aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus précis. Le résultat a été immédiat : nos vins n'ont plus rien à voir avec ceux d'autrefois. »

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