En quoi cela consiste-t-il ?
À la sortie du pressoir, le moût est trouble. Il contient des fragments de rafles, de pellicules et de pulpe de raisin, de la terre, etc. qui forment les bourbes grossières. Il renferme aussi des substances pectiques du raisin, des polysaccharides, de la cellulose, des micro-organismes, etc. qui constituent les bourbes fines. Clarifier consiste à séparer toutes ces bourbes du jus.
Pourquoi clarifier ?
Parce que « ne pas clarifier entraîne des arômes lourds et végétaux, rappelle Éric Meistermann, ingénieur à l'IFV Alsace. Le vin perd en qualité et en finesse ». Un moût non clarifié peut développer des saveurs amères, de la réduction et être plus sensible à l'oxydation. Les bourbes peuvent aussi provoquer une fermentation tumultueuse.
Comment apprécier le niveau de clarification ?
En mesurant la turbidité du moût, c'est-à-dire l'absorption de la lumière par les matières en suspension qui troublent le moût. La mesure s'effectue avec un turbidimètre et la valeur s'exprime en NTU (Nepholometric Turbidity Unit). La turbidité d'un moût non clarifié varie de quelques dizaines à quelques milliers de NTU.
« La mesure de la turbidité ne renseigne pas sur la taille des matières en suspension, remarque Jean-Michel Desseigne, ingénieur à l'IFV de Nîmes (Gard). La granulométrie des particules le permet. » Mais cette technologie est pour l'instant réservée à la recherche par exemple pour comparer l'efficacité de plusieurs techniques de clarification.
Comment clarifier ?
La méthode la plus classique pour les blancs et les rosés est la décantation ou débourbage statique. Le moût est mis en cuve et, après quelques heures, voire un ou deux jours, les bourbes sédimentent au fond. Les enzymes pectinases du raisin participent à cette clarification en découpant les substances pectiques. « La température du moût doit être basse pour empêcher le démarrage de la fermentation, car le CO2 dégagé lors de la fermentation alcoolique remet les bourbes en suspension et perturbe la décantation, note Éric Meistermann. Mais le froid a tendance à inhiber les enzymes, donc il n'accélère pas vraiment le débourbage. » Il favorise toutefois le tassement des lies.
Le débourbage statique est simple à mettre en œuvre et efficace. Cependant, il immobilise de la cuverie pendant un certain temps, consomme de l'énergie et ne fonctionne pas sur tous les moûts.
Existe-t-il d'autres techniques ?
Oui, plusieurs technologies se sont développées, surtout pour la clarification des moûts issus de vendanges chauffées, impossible par débourbage statique. « L'outil le plus répandu dans les coopératives pour clarifier les moûts de thermo est le filtre rotatif sous vide, qui donne d'excellents résultats », décrit Alain Samson, chercheur à l'Inra de Pech-Rouge (Aude). Ce filtre autorise des débits élevés et sert aussi à filtrer les bourbes de rouges, blancs ou rosés. « Mais il nécessite des installations imposantes, observe Jean-Michel Desseigne. Il consomme beaucoup d'eau et de terre de filtration, qu'il faut éliminer ensuite. »
Le filtre-presse clarifie aussi très bien les moûts chargés. Mais les débits sont plus limités que ceux des filtres rotatifs.
Apparue dans les années quatre-vingt, la flottation a d'abord été appliquée à des blancs et rosés élaborés dans des structures industrielles, puis aux moûts rouges issus de « thermo ». Ce procédé consiste à injecter de fines bulles de gaz dans le moût, au fond de la cuve. En remontant vers la surface, elles entraînent des particules solides, clarifiant ainsi le jus.
« La flottation permet de traiter rapidement des volumes importants de moûts et elle n'emploie pas de terre, argumente Alain Samson. Mais la clarification que l'on obtient est plus aléatoire qu'avec un filtre rotatif. »
Que penser de la centrifugation ?
La centrifugation est une autre technique employée dans les grosses caves. Elle peut fonctionner automatiquement et à un débit important. Les niveaux de clarification obtenus sont corrects, mais elle a tendance à éliminer plus facilement les particules grossières que les petites. « Cette méthode implique de gros investissements », précise Jean-Michel Desseigne.
Plus récents que les centrifugeuses, les décanteurs centrifuges ont fait leur apparition il y a quelques années. Leur fonction est double : extraire les jus et clarifier le moût en une seule opération. « Nos essais sur vendange rouge après thermotraitement ou flash détente montrent que le décanteur centrifuge permet une bonne extraction de moût, rend compte Alain Samson. En revanche, le niveau de clarification n'est pas aussi bon qu'après pressurage. Pour l'instant nous n'avons pas de recul sur l'efficacité des décanteurs centrifuges pour l'extraction de moûts blancs ou rosés. »
Enfin, la filtration tangentielle fait ses débuts pour clarifier les moûts. Mais les débits et le colmatage restent encore un facteur limitant.
Quels produits améliorent la clarification ?
Les produits les plus efficaces et les plus répandus sont les enzymes pectolytiques exogènes. Beaucoup de vinificateurs y ont recours pour accélérer et améliorer le débourbage statique.
Avec la flottation, ces enzymes sont indispensables. Dans ce cas, il faut aussi utiliser « des adjuvants de clarification comme des gels de silice et des gélatines », ajoute Alain Samson.
À quel niveau doit-on clarifier un moût ?
Il est conseillé de viser une turbidité comprise entre 50 et 150 à 200 NTU. Cet objectif dépend du type de vin recherché. Pour des vins marqués par les arômes fermentaires, la clarification est souvent plus poussée. « Trop clarifier entraîne des risques d'arrêt de fermentation, car les levures ne trouvent pas tous les éléments nutritifs nécessaires», met en garde Éric Meistermann.
Botritys et manipulations compliquent la clarification
Les moûts se clarifient mal lorsqu'ils contiennent beaucoup de matières en suspension. C'est le cas des moûts rouges issus de vendanges chauffées. « Plus les particules en suspension sont petites, plus la clarification est difficile », précise Jean- Michel Desseigne, de l'IFV. L'état sanitaire entre aussi en jeu : les glucanes que forme le botrytis rendent la clarification puis la filtration des vins difficile. La viscosité du moût est encore un autre paramètre : les moûts de moelleux et liquoreux se clarifient moins bien que les moûts de maturité normale. « La qualité du pressurage joue pour beaucoup sur la facilité à clarifier un moût blanc ou rosé, ajoute Éric Meistermann. Plus le raisin est trituré, plus cela génère de bourbes. Ce sont surtout les rebêches qui engendrent les bourbes. » Dans tous les cas, plus le raisin est malaxé, plus le moût sera bourbeux et la clarification ardue. Cette règle est d'autant plus vraie si les raisins sont atteints de pourriture car, dans ce cas, chaque manipulation un peu brusque des raisins s'accompagne d'une libération de glucanes du botrytis.