Qu'entend-t-on par azote assimilable ?
Comme l'expression l'indique, il s'agit de l'azote assimilable par les levures. Ce sont l'azote ammoniacal (ou minéral), présent sous la forme d'ions ammonium NH4+, et les acides aminés, à l'exception de la proline et de l'hydroxyproline qui ne sont pas assimilés par les levures.
« Généralement, dans les moûts juste avant le levurage, on trouve de l'ordre de 70 à 75 % d'acides aminés et de 25 à 30 % d'ammonium. Cette proportion reste la même quelle que soit la teneur en azote assimilable totale », rapporte Arnaud Delaherche, chef de produit fermentation chez Lamothe-Abiet.
À quoi sert-il ?
L'azote ammoniacal sert à la multiplication des levures. Il est utilisé pendant le premier tiers de la fermentation alcoolique. « C'est le nutriment numéro un des levures. Il leur permet d'augmenter leur biomasse pour arriver rapidement à 10 millions de cellules par millilitre, le seuil théorique de déclenchement de la fermentation alcoolique », explique Arnaud Delaherche.
Ensuite, les levures utilisent les acides aminés pour produire des protéines, des peptides, etc. et également pour le métabolisme secondaire qui conduit à la formation des composés d'arômes.
Combien en trouve-t-on dans les moûts ?
Les teneurs sont très variables selon les cépages, les pratiques culturales et le millésime. « Elles peuvent aller de 30 à 400 mg/l », indique Thierry Dufourcq, de l'IFV pôle Sud-Ouest. Ainsi, dans les vignes enherbées, les moûts sont souvent plus pauvres en azote que dans les vignes intégralement désherbées, parce que l'herbe concurrence la vigne pour l'azote. Les années pluvieuses sont plus riches en azote que les années sèches car les vignes bénéficient de l'azote minéralisé lorsque les sols sont humides.
Comment le mesure-t-on ?
Les laboratoires ont principalement recours à des mesures par IRTF (spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier). Il existe aussi des méthodes enzymatiques qui permettent de déterminer les taux d'acides aminés et d'ions ammonium. « Ces analyses sont réalisables en routine », relate Thierry Dufourcq. Elles remplacent la formol titration, de plus en plus abandonnée en raison de la toxicité des réactifs utilisés. « L'idéal est de réaliser une mesure sur chaque cuve. Pour les blancs et les rosés, le mieux est de l'effectuer sur un moût débourbé. Généralement, le vigneron a le résultat dans la journée », assure Olivier Pillet, de IOC.
Quelles sont les conséquences d'un excès d'azote ?
« Si l'on apporte trop d'azote, notamment de l'azote ammoniacal en début de fermentation, on se retrouve avec des populations de levures très importantes. Celles-ci consomment rapidement les nutriments du moût. Puis elles se trouvent en carence induite. Même en rajoutant de l'azote ammoniacal, on ne résout pas le problème », prévient Olivier Pillet.
Autre conséquence : « Quand il y a un excès d'azote ammoniacal en début de fermentation, cela réprime les transporteurs des acides aminés à l'intérieur de la levure. Or, ce sont les mêmes transporteurs qui véhiculent les précurseurs de thiols. L'excès d'azote ammoniacal inhibe donc la synthèse des thiols », expose Rémi Guérin-Schneider, de l'IFV.
Des essais australiens ont montré que l'excès d'azote entraîne des teneurs anormales en acidité volatile et en acétate d'éthyle qui donne des notes de vernis. Des défauts qui peuvent apparaître au-delà de 400 mg/l d'azote assimilable.
Que se passe-t-il en cas de carence ?
« La fermentation alcoolique est plus lente », indique Jean-Marie Sablayrolles, directeur de l'UMR Sciences pour l'œnologie à l'Inra de Montpellier (Hérault). « Les derniers grammes de sucres sont difficiles à transformer. Cela peut conduire à des arrêts de fermentation », ajoute Pascal Poupault, de l'IFV pôle Val de Loire-Centre. Or, d'après ce spécialiste, plus la fermentation est longue, plus on perd d'arômes car ceux-ci sont volatils. Une carence en azote conduit également à la production de H2S dont l'odeur rappelle celle de l'œuf pourri. En effet, le manque d'azote empêche la levure de réduire le soufre en acides aminés soufrés (méthionine et cystéine), ce qui conduit à la formation de ce composé indésirable.
À partir de quel seuil le moût est-il carencé ?
Chaque levure a des besoins différents en azote. « Il y a un effet souche », affirme Arnaud Delaherche. Mais tous les experts interrogés fixent la barre à 150 mg/l d'azote assimilable. « Ce seuil est valable pour 12,5° potentiels et pour une levure qui a des exigences moyennes. Pour une levure plus exigeante, il faut plutôt parler de 180 mg/l et de 120 mg/l pour une levure peu exigeante, toujours pour un degré de 12,5. À chaque degré supplémentaire, il faut ajouter 30 mg/l d'azote assimilable », détaille Olivier Pillet. Ces seuils sont valables aussi bien pour les rouges que les blancs ou les rosés.
Quelle forme privilégier en cas de carence ?
Tout dépend de l'objectif recherché. « Si l'on souhaite une fermentation rapide, le phosphate ou le sulfate d'ammonium sont les plus efficaces. Mais si l'on s'attache à l'aspect aromatique des choses, il faut aussi des acides aminés (azote organique) que l'on apporte via les écorces de levures », analyse Rémi Guérin-Schneider. Arnaud Delaherche conseille ainsi d'apporter de l'azote minéral au moment du levurage, puis de l'azote organique (levures inactivées) lorsque la densité a chuté de 30 points, lors d'un remontage d'aération par exemple.
De son côté, Olivier Pillet suggère d'ajouter d'abord l'azote organique, pour éviter un pic d'activité des levures. Si la carence est faible, il recommande uniquement cette forme au tiers de la fermentation alcoolique lors d'une aération. Si la carence est moyenne, il préconise d'incorporer l'azote organique en début de fermentation (lors d'une perte de 5 points maximum de densité), puis de l'azote ammoniacal au tiers de la fermentation. Si la carence est importante, il conseille un mélange d'azote organique et ammoniacal en début de fermentation et un apport d'azote ammoniacal au tiers de la fermentation. « Quand il y a un gros apport à réaliser, il faut le fractionner pour éviter un pic thermique », précise-t-il.
Peut-on agir à la vigne ?
Oui. L'IFV a démontré que les pulvérisations d'azote foliaire sur les vignes à la véraison améliorent les teneurs en azote assimilable des moûts. Et lorsqu'on ajoute du soufre à l'azote, les vins blancs secs (melon, sauvignon, colombard) et les rosés (négrette) sont aussi plus riches en thiols. Les quantités à apporter se raisonnent en fonction de la teneur en azote assimilable des moûts des années précédentes.
Si la carence est forte (teneur inférieure à 80 mg/l d'azote assimilable), l'IFV recommande la pulvérisation de 15 à 20 kg/ha d'azote sous forme d'urée associée à 5 à 10 kg/ha de soufre. Si la carence est modérée (80 à 150 mg/l), l'institut préconise 10 à 15 unités d'azote et 5 à 7 unités de soufre. Si les moûts ne sont pas carencés (plus de 150 mg/l), il conseille 10 unités d'azote et 3 à 5 unités de soufre pour améliorer le potentiel aromatique.
Les excès comme les carences sont néfastes.
DANS LES VIGNES ENHERBÉES, les moûts sont souvent plus pauvres en azote que dans les vignes intégralement désherbées, parce que l'herbe concurrence la vigne pour l'azote. © C. STEF
MULTIPLEX 3. Cet appareil de la société Force A utilise la fl uorescence pour mesurer le statut azoté de la vigne à la fermeture de la grappe. Testé par l'IFV Sud-Ouest, il pourrait permettre d'identifier les parcelles à risque de carence en azote. © IFV SUD-OUEST
L'azote assimilable joue un rôle clé dans le bon déroulement de la fermentation alcoolique et la synthèse des arômes. C'est le nutriment le plus important pour les levures. Il en faut au moins 150 mg/l dans les moûts. Les connaissances sur le sujet s'affinent.