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Magazine - Histoire

Madame Pommery À l'écoute de ses clients

Florence Bal - La vigne - n°245 - septembre 2012 - page 79

À la mort de son époux, elle reprend la maison de négoce dans laquelle il était associé. Elle en fera un des fleurons des maisons champenoises du XIXe siècle.
Madame Pommery n'avait que 38 ans lorsqu'elle est devenue veuve. C'est elle qui a ensuite mené au succès l'entreprise que son mari avait créé. © ARCHIVES MAISON POMMERY

Madame Pommery n'avait que 38 ans lorsqu'elle est devenue veuve. C'est elle qui a ensuite mené au succès l'entreprise que son mari avait créé. © ARCHIVES MAISON POMMERY

La future madame Pommery, Jeanne-Alexandrine Mélin, naît le 13 avril 1819 au château d'Annelles, dans les Ardennes. On sait peu de chose de ses jeunes années. « Elle découvre la vie dans un milieu de femmes seules, habituées à gérer leurs affaires », relate la société champenoise Pommery. Elle est éduquée en pension à Paris puis en Angleterre.

En 1840, elle épouse Alexandre-Louis Pommery, associé d'un négociant en laine de Reims (Marne). En 1857, il s'allie à Narcisse Greno, qui possède une affaire dans le commerce de vins de Champagne depuis vingt ans. Ensemble, ils créent la société Pommery & Greno. Mais Pommery n'en profite pas longtemps puisqu'il décède un an plus tard. À l'aube de la quarantaine, sa veuve prend aussitôt les rênes de la maison. Elle la conduira « vers le succès et la gloire ». « Moi, madame Pommery, (…) j'ai pris la résolution de continuer le commerce et de me substituer à mon mari », écrit-elle. Dès lors, « madame Pommery part à la conquête des marchés nationaux et internationaux… et bouscule, sans état d'âme, quelques règles de la gestion d'entreprise. (…) Elle invente l'image de marque Pommery », souligne la société.

Deux hommes de confiance

Elle fait preuve d'un esprit entreprenant, audacieux et possède la précieuse qualité de savoir s'entourer d'hommes compétents. Henry Vasnier tout d'abord. Le véritable homme de confiance de la maison est le frère d'une amie d'enfance et deviendra très vite administrateur. Ils forment un tandem efficace, à tel point qu'en 1885, elle l'associera à son affaire.

Le second homme fort de ce succès est Adolphe Hubinet, un voyageur de commerce qui prendra par la suite la direction de toutes les agences de la maison. En 1861, « madame Pommery le charge de conquérir le marché britannique en positionnant la marque Pommery au plus haut », précise la société. Elle lui doit son premier succès à l'international. En 1868, « 100 000 bouteilles de Pommery auraient été commercialisées en Angleterre sur un total de 150 000 », évalue la maison champenoise.

Madame Pommery suit les recommandations d'Adolphe Hubinet pour adapter le champagne au goût de la haute société anglaise qui « évolue vers des vins moins sucrés », alors que « jusque-là, les champagnes étaient très dosés en sucre et alcool. (…) Damas, ordonne-t-elle à son chef de cave Olivier Damas, il nous faut un vin aussi sec que possible, mais sans raideur… qui soit moelleux, velouté et bien fondu… Soignez la finesse avant tout ». En 1874, le premier brut millésimé est créé. Le succès est au rendez-vous.

Parallèlement, en 1868, madame Pommery lance « ce qui fut à Reims le plus grand chantier du siècle » : l'édification du domaine Pommery, avec ses chais, ses bureaux, son château de style élisabéthain « pour que les clients anglais se sentent chez eux » et ses caves aménagées dans des crayères gallo-romaines. « 18 km de galeries creusées dans la craie abritent dès lors plus de 20 millions de bouteilles de champagne », affirme la maison rémoise.

Madame Pommery est aussi mécène et soutient les artistes. Elle commande des sculptures à des artistes rémois pour orner ses caves.

Elle finit sa vie sur un coup d'éclat tout à fait étonnant. « En automne 1888, de vilaines rumeurs courent sur la maison Pommery, indique la société. Les maisons concurrentes attisent les inquiétudes des vignerons sur des risques de non-paiement. Combative, elle monte aussitôt un coup médiatique qui brisera net le caquètement des mauvaises langues. Elle acquiert pour 300 000 francs or et de manière anonyme le tableau de Millet "Des Glaneuses" mis aux enchères, alors qu'il est convoité par l'Amérique et que l'opinion française s'en est vivement émue. Le suspense sur le nom de l'acheteur est savamment entretenu pendant quatre jours. »

En se dévoilant, madame Pommery fait don du tableau à l'État français. D'un seul coup, plus personne ne doute qu'elle a les moyens de payer les raisins qu'elle vient d'acheter.

« Du cœur et de l'esprit : c'est ça, la vie Pommery »

Madame Pommery décède le 18 mars 1890, à l'âge de 70 ans. Ses enfants Louis et Louise héritent de la maison qui commercialise alors 2,5 millions de cols, soit 10 % du champagne. Mais selon ses souhaits, c'est Henry Vasnier qui a continué à la diriger. En 2002, le négociant Paul-François Vranken rachète la maison qu'il intègre dans son groupe. « Du cœur et de l'esprit : c'est ça, la vie Pommery, estime le repreneur. Et cet état d'esprit – mélange de charme et d'audace, de cœur et de rigueur – caractérise la maison depuis sa fondation. Comme si l'âme de madame Pommery restait à jamais ancrée dans le domaine qu'elle a créé. »

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SOURCES

Archives de Reims.

Informations de la société Pommery.

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