L'année 2012 restera dans les annales. À l'extrême agressivité du mildiou s'est ajoutée celle de l'oïdium. « En Anjou-Saumur, c'est la première année où j'ai vu les deux maladies sur une même grappe », relève Sébastien Beauvallet, de la CAPL (Coopérative agricole des Pays de Loire), un distributeur de produit phytosanitaire.
« C'était une année à champignons. Nous avons eu une alternance de semaines favorables au mildiou, puis à l'oïdium, rapporte Magdalena Girard, de la chambre d'agriculture de Charente-Maritime. Nous avons donc eu les deux maladies. Et en début de campagne, nous avons également observé des sorties de black-rot comme nous n'en avions pas eu depuis longtemps. »
Trois à quatre cycles de mildiou par semaine
« Mais c'est surtout le mildiou qui a été préjudiciable, ajoute André Marchadier, des établissements Fortet-Dufaud, un négoce de produits phytosanitaires, à Cognac (Charente). Il a occasionné des pertes de récolte d'un niveau similaire voire supérieur à 2007 et 2008, deux années de forte pression. » En Champagne, dans l'Aube, « de mi-avril à mi-juillet, il est tombé entre 100 et 150 mm d'eau par mois, notifie Sébastien Carré, du GDV. Les témoins non traités ont été ravagés. À la mi-juillet, ils ne contenaient plus aucune grappe. À un moment, nous avons arrêté de compter les cycles : entre fin mai et début juillet, il pouvait y en avoir trois à quatre par semaines ». Beaucoup de vignerons n'avaient jamais connu la maladie aussi virulente.
Dans le Bordelais, la pression a été très élevée d'entrée de jeu. « Fin avril, il y a eu de gros orages au moment où il fallait déclencher la protection contre le mildiou, se souvient Annabel Garçon, de l'Adar de Coutras, Guîtres et Lussac (Gironde). Les sols étaient détrempés et certains viticulteurs qui les avaient travaillés ne pouvaient pas pénétrer dans les parcelles avec leur pulvériseur. Ils sont intervenus avec un appareil à dos. »
Par la suite, en mai et juin, en raison des pluies répétées, ils ont eu peu de fenêtres pour positionner les traitements. Leurs voisins de Cognac ont rencontré les mêmes difficultés. « Parfois, ils n'avaient que des créneaux de 24 heures pour intervenir. Ceux qui ne pouvaient pas traiter tout leur parcellaire en une journée ont donc été contaminés par le mildiou », poursuit André Marchadier.
Même lors des accalmies, les conditions d'applications n'étaient pas toujours bonnes. « En début de campagne, il y avait de fortes rosées le matin et du vent en fin de journée », rappelle Laurent Paupelard, de Soufflet vigne, qui couvre la Bourgogne, le Beaujolais, la Champagne et le Sancerrois.
IFT records
Dans le Sud-Est, si le mildiou s'est fait plus discret, l'oïdium a été particulièrement véhément. « Nous avons observé des drapeaux sur syrah, grenache, roussanne et marsanne alors que le carignan est habituellement le seul cépage touché par ce faciès de la maladie, note Thierry Favier, de la CAPL (Coopérative agricole Provence-Languedoc), un autre distributeur. Ensuite, la pression est allée crescendo jusqu'au stade préfermeture de la grappe. »
Partout en France, il a fallu multiplier les traitements. Si bien que les IFT (indice de fréquence de traitement, lequel représente le nombre de doses homologuées utilisées par hectare durant une campagne) battent des records. Depuis 2010, ce critère est retenu pour apprécier la réduction des produits phytosanitaires au programme de l'ambitieux plan Écophyto 2018. Entre 2008 et 2011, les progrès techniques et le climat aidant, bien des viticulteurs ont effectivement pu réduire leur IFT.
« Cette année, impossible d'être efficace à moins de cinq traitements antioïdium, a constaté Thierry Favier. Dans nos programmes sécurité oïdium, nous en avons conseillé jusqu'à six ou sept. Quant aux antimildious, il s'en est fait entre trois et sept selon les zones, soit 4,5 en moyenne. » Au niveau régional, l'IFT de référence est de 8. Cette année, il devrait osciller entre 10 et 12…
Réaménager les programmes
Dans le Bordelais, les viticulteurs en conventionnel ont réalisé en moyenne dix antimildious et autant d'antioïdiums, selon Éric Capredon, de la branche vigne d'Euralis. « Une année classique comprend plutôt six ou sept passages (antimildious et antioïdiums) », précise le distributeur qui a dû réapprovisionner ses clients en cours de campagne.
« En Côte-d'Or et en Saône-et-Loire, les vignerons ont réalisé dix antimildious et huit, voire neuf antioïdiums. En Champagne, ils ont positionné une douzaine d'antimildious et huit à neuf antioïdiums, traitements de rattrapage compris », énumère Laurent Paupelard.
Jean-Yves Boileau, de Cohésis vigne, un distributeur basé à Reims (Marne), résume ainsi la situation : « Pas loin du double de traitements par rapport à une année classique. » Comme ses clients, il a dû suivre le rythme effréné imposé par la maladie. « Il nous a fallu constamment réaménager les programmes et nous avons dû nous réapprovisionner plusieurs fois en Pergado F, Hoggar, Karathane 3 D et cuivre au cours de la campagne », indique-t-il. En Anjou-Saumur, l'écart par rapport à l'an passé est encore plus prononcé. « La moyenne devrait tourner autour de huit à neuf antimildious et sept à huit antioïdiums alors que, l'an passé, nous étions à 2,8 antimildious et quatre antioïdiums », comptabilise Sébastien Beauvallet.
Dans les réseaux de fermes Écophyto, les plus impliqués dans la réduction des produits phytos, les vignerons ont très vite compris que la tâche serait difficile cette année. « Comme je suis équipé de panneaux récupérateurs, j'ai pu réduire les doses pour les deux premiers traitements, témoigne Yannick Babin, qui travaille sur 50 ha au domaine de l'Été, à Concourson-sur-Layon (Maine-et-Loire). Mais dès le troisième, je suis repassé à des doses pleines. »
Même refrain de la part de Guillaume Paire, de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire, qui anime le réseau ferme Écophyto du département. « Tous les vignerons avaient en tête la réduction des doses. Mais à un moment donné, il a fallu sauver la récolte. » Espérons que les pouvoirs publics, eux aussi, garderont toujours à l'esprit que c'est la plus grande des priorités.
La pulvérisation : le nerf de la guerre en 2012
Les conseillers viticoles et les techniciens sont unanimes. Cette année, pour s'en sortir, il fallait un pulvérisateur au top. Le moindre défaut de réglage et la moindre panne mécanique n'ont pas pardonné. En témoigne un viticulteur bio du Bordelais qui souhaite garder l'anonymat. « Je suis équipé d'un pulvérisateur pneumatique qui permet de traiter six faces de rang. Les mains sont difficiles à régler. Je travaille les sols. Du fait du décavaillonnage, le terrain n'est pas toujours plat. Cela provoque un phénomène de balançoire quand je traite. Certains pieds sont donc mal couverts. Dans une parcelle, un des rangs n'a plus aucun raisin sur quelques pieds. À cet endroit, le sol fait une dépression : le pulvérisateur a traité le sol au lieu de la vigne. » Le type de pulvérisateur a également joué. « Dans les conditions de l'année, les appareils de pulvérisation pneumatique ou à jet porté ont été plus efficaces que les pendillards classiques », relève Jean-Yves Boileau, de Cohésis vigne, en Champagne. « Une majorité de viticulteurs sont aujourd'hui équipés d'appareils qui traitent en face par face. Mais cette année, les pneumatiques avec des descentes dans le rang ont apporté un plus », note Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or, qui a organisé une démonstration comparative de pulvérisateurs le 7 septembre, à Beaune (voir page 40). Cette situation pourrait inciter beaucoup de vignerons à revoir leur équipement. « Il se peut qu'il y ait une vague d'investissement l'an prochain », pronostique Pierre Petitot.
Le Point de vue de
Emmanuelle Soubeyran, responsable de la prévention des risques sanitaires pour les productions primaires au ministère de l'Agriculture
« Nous allons adopter une approche plus technique »
« La réduction de l'usage des produits phytosanitaires est toujours d'actualité. Néanmoins, nous sommes conscients que, certaines années, un plus grand nombre de traitements est nécessaire, car la pression des parasites est plus forte. Pour tenir compte de ces variations de pression, nous ne souhaitons pas comparer les traitements réalisés d'une année à l'autre mais plutôt appliquer une moyenne triennale. Nous n'abandonnons pas l'objectif de réduction, mais nous allons adopter une approche plus technique. Il faut quelque chose qui soit économiquement et écologiquement satisfaisant. À noter aussi que le chiffre de 50 % de réduction des produits phytosanitaires ne s'impose pas à chaque viticulteur mais à l'ensemble des cultures en France. »