PHILIPPE CARRETERO a pratiqué le passerillage sur souche pour la première fois sur 3 ha lors des vendanges 2011.
MI-SEPTEMBRE, les ouvriers sont passés dans les vignes équipés de leurs sécateurs électriques. En deux jours, ils ont taillé les 5 ha de blancs du château, ne laissant que deux baguettes, comme ils l'auraient fait en hiver. Quinze jours plus tard, les feuilles ont séché, les grappes ont flétri. Les raisins se sont concentrés en sucres et en acidité. PHOTOS P. ROY
Le passerillage sur souche ? Philippe Carretero y croit. À la tête du château Rioublanc, en Gironde, il l'a tenté sur 3 ha lors des vendanges de 2011. L'opération se pratique sur les vignes en taille longue. Elle consiste à couper les baguettes, comme pour la taille. Mais contrairement à la taille d'hiver, il ne faut pas attendre la chute des feuilles. La baguette est sectionnée avant les vendanges, puis les grappes se dessèchent sur place avant d'être récoltées.
« L'an dernier, vu les conditions météo, sans le passerillage sur souche, je n'aurai pas pu intégrer le sémillon dans l'assemblage du moelleux. Il n'avait pas assez de degré », confie Philippe Carretero. Et de rappeler les avantages du procédé : l'assurance d'avoir des moelleux tous les ans, la suppression de la chaptalisation et la diminution du sulfitage. Cerise sur le gâteau, étant en bio, ce type de vin « naturel » plaît au consommateur. De quoi gagner en notoriété.
C'est en parcourant une publication de l'OIV que Philippe Carretero a découvert le passerillage sur souche. Il se dit alors qu'il pourrait ainsi sécuriser son marché de coffrets cadeaux d'affaires, grâce auquel il écoule 15 000 bouteilles de moelleux par an. Et il se lance.
Précipitations tartriques
Pour sa première tentative, il essuie les plâtres. Il met son vin en bouteilles dès décembre 2011. Avec le grand froid de février 2012, la température du chai descend à 10°C. Résultat : des précipitations tartriques apparaissent. Il faut reconditionner le lot. « On fait du moelleux depuis vingt ans, c'était la première fois que cela nous arrivait », lâche-t-il.
Pas de quoi le perturber. Pour les vendanges 2012, il décide d'appliquer le passerillage à tous ses blancs, soit 5 ha. Fin juin, il ordonne l'effeuillage de la face exposée au soleil. Début septembre, les ouvriers repassent pour effeuiller l'autre face. Ces travaux ont pour but de favoriser la maturité. Puis Philippe Carretero observe la coloration des raisins, surveille leur état sanitaire (il ne faut pas attendre l'installation du botrytis) et suit leur maturation. Cette année, il a déclenché le passerillage les 18 et 19 septembre alors que le sémillon titrait à 11,5 degrés d'alcool probable et les sauvignons à 13,5.
Six salariés ont taillé comme pour une taille d'hiver. Après la coupe, les feuilles ont séché. Les raisins mûrs ne se sont plus chargés en sucres. Ils sont peu à peu entrés en surmaturité. Leur teneur en sucres a augmenté du fait de l'évaporation de l'eau.
En deux à trois semaines, les raisins ont flétri. Fin septembre, lorsqu'il a plu, ils n'ont pas regonflé. Ils ne se sont pas enrichis en potassium et n'ont pas été atteints par le botrytis. Les pellicules des baies sont restées bien épaisses car les processus physiologiques naturels étaient interrompus. Philippe Carretero suppose que c'est de nature à limiter les attaques de guêpes et de drosophiles. Pendant que les raisins dessèchent, le viticulteur suit leur concentration en sucres à l'aide d'un réfractomètre optique tous les quatre jours, jusqu'aux vendanges. Il suit aussi l'évolution du pH. Il déclenche la vendange lorsque les raisins titrent 15 degrés d'alcool potentiel, un seuil qui, cette année, devrait être atteint la première semaine d'octobre.
12 degrés et 50 g/l de sucres
Le pressurage des raisins passerillés s'avère plus simple que celui d'une vendange avec de la pourriture noble car les pellicules sont intactes. Pour cela, le château est équipé de deux pressoirs pneumatiques (un de 50 hl cage fermée, l'autre de 35 hl cage ajourée). Il n'y a pas de macération pelliculaire.
Le moût est plus sucré, mais aussi plus acide qu'un moût classique. Le viticulteur ne sulfite pas avant le pressurage ni avant la fermentation. Par la suite, le vin combine moins le SO2 qu'un vin de pourriture noble. Durant l'élevage et à la mise en bouteille, il y a donc moins besoin de sulfiter. Les fermentations sont conduites entre 17 à 18°C. Philippe Carretero aère le moût après le début de la fermentation alcoolique (20 points de baisse de densité). Pour la nutrition des levures, il apporte du phosphate d'ammoniac, si besoin. Pour arrêter les fermentations, il refroidit les cuves à 4°C pendant 24 heures, puis il les soutire, tout en sulfitant à 12 g/hl pour le mutage.
Au final, il cherche à obtenir un vin titrant 12 degrés d'alcool et 50 g/l de sucres résiduels. Philippe Carretero en est convaincu : ce vin plaît au consommateur. Il offre un équilibre entre acidité et teneur en sucres et en alcool. Un vin vif, frais et long en bouche. De quoi éviter le côté trop sucré d'un moelleux.
Le Point de vue de
Olivier Viret, responsable de la recherche vitivinicole suisse à la station ACW
« Cela évite la pourriture grise »
« Pour réussir cette technique, il faut bien planifier sa date de vendange et tailler au maximum quinze à vingt jours avant. Selon le type de vin, le passerillage est plus ou moins intéressant. Pour les rouges, il apporte un avantage qualitatif indéniable : une intensité dans la couleur, des tanins plus soyeux et un taux d'alcool renforcé. Pour les blancs, c'est un peu différent. Cela permet certes de supprimer la chaptalisation, mais je reste persuadé que pour réaliser des moelleux, il faut de la pourriture noble. Le botrytis amène des notes aromatiques complexes que l'on n'obtient que partiellement avec le passerillage. Pour les moelleux, cette technique est valable dans les régions au climat difficile, car elle permet d'éviter la pourriture grise. Nous avons réalisé sept ans de suivi sur des merlots. Nous n'avons observé aucun effet négatif sur la constitution des réserves qui permettent au plant de repartir l'année d'après. Notre interrogation est ailleurs : avec le passerillage, les baies se dessèchent mais ne pourrissent pas. On ne se l'explique pas. »