À la cave de Condom, dans le Gers, c'est une grande première. Cette année, elle aura recours à la chaptalisation pour enrichir ses IGP Côtes de Gascogne. Jusqu'ici, Condom, comme toutes les caves du département, utilisait les MCR pour enrichir. « Techniquement, les MCR sont la solution la plus simple, explique Cédric Garzuel, le directeur. Mais économiquement, sans les primes, ce n'est pas envisageable. L'abandon des primes, conjugué à la hausse des prix des MCR, représente un surcoût de 275 000 euros par rapport à la chaptalisation. »
L'enrichissement se limite au colombard et parfois à l'ugni blanc. « Pour préserver leur potentiel aromatique, il faut les ramasser à 10-10,5 % vol. Ils sont ensuite enrichis de 0,5 à 1 % vol. pour qu'ils titrent entre 11,5 et 12 % vol. », précise le directeur. Pour ces vendanges, la cave a dû gérer les difficultés liées à l'enrichissement à sec. En premier lieu, l'approvisionnement en sucre. « Nous découvrons ce marché qui n'est pas très souple, poursuit-il. Pour obtenir des prix corrects (900 €/tonne), il a fallu s'engager mi-août sur des commandes fermes, sans avoir de vision très précise des quantités dont nous aurions besoin. Nous sommes partis sur 120 tonnes de sucre pour nous couvrir. Compte tenu du millésime, ce sera sans doute 20 % de trop. Et il n'est pas sûr que nous puissions réutiliser ce surplus l'an prochain, car le sucre se conserve mal. »
Autres écueils : le stockage et la manipulation du sucre. 120 tonnes, c'est l'équivalent de cinq camions de vingt-quatre palettes chacun. Pour stocker tous ces sacs, la cave a dû réquisitionner un bâtiment qu'elle n'utilisait plus. Pour les manipuler, elle a loué un chariot élévateur. Enfin, pour chaptaliser, elle s'est équipée d'une cuve mélangeuse de 2 000 litres (coût : 6 000 euros) et a spécialement recruté deux salariés travaillant en deux huit. Toutes ces complications induisent des frais, mais ils restent bien en dessous des 275 000 euros qu'auraient coûtés les MCR.
Attendre la maturité maximale
En Languedoc-Roussillon, le souci n'est pas technique, mais économique. La région a refusé la chaptalisation. Les caves doivent donc gérer le coût de cette décision. Un coût atténué par la petite récolte et les conditions climatiques favorables à la maturité.
Malgré cela, tout le monde déplore la fin des aides à l'enrichissement aux MC/MCR. « Avec les primes, l'enrichissement était une opération blanche pour la cave, indique Gérard Guiraud, le président de la cave de Routier (Aude), qui produit 250 000 hl par an. Cette année, si nous voulions utiliser les mêmes quantités que les années précédentes, cela nous coûterait entre 400 000 et 500 000 euros. C'est un énorme handicap économique. »
Pour limiter la casse, la coopérative a sensibilisé ses adhérents lors de sa réunion de prévendanges. Cette année, la consigne a été donnée d'attendre la maturité maximale. Les coopérateurs ont perdu ce filet de sécurité qu'apportait l'enrichissement. « Nous dormirons moins bien cette année », craint le président, qui redoute les conditions de maturité des cépages tardifs dont les vendanges s'étirent jusqu'au 20 octobre.
Aux Collines du Bourdic, une coopérative gardoise, la décision a été prise de n'enrichir que les sauvignons, cépage ramassé un peu avant maturité phénologique pour avoir les thiols que réclame le marché. Les coopérateurs ont là aussi été priés de ramasser les rouges à maturité. « Nous avons souvent des problèmes sur les syrahs et sur le cabernet sauvignon, cépages tardifs dont la maturité peut être affectée par les épisodes cévenols (pluies violentes d'automne, NDLR). Mais cette année, nous allons essayer de ne pas enrichir », annonce Michel Maupas, le responsable production de la coopérative. La cave, qui utilise habituellement 600 hl de MCR par an, a divisé sa commande par trois.
« Pas capables de défendre ces primes »
À l'Occitane, groupement de sept caves coopératives du Biterrois qui produit 230 000 hl par an, l'arrêt des primes aux MC/ MCR va affecter la rémunération des coopérateurs. Le groupement est un gros utilisateur de MCR : de l'ordre de 5 000 hl par an. L'an dernier, il avait perçu 600 000 euros de primes. Cette année, à cause de leur disparition et de la flambée des prix des MCR, le manque à gagner devrait atteindre le million d'euros. « La perte des aides aux prestations viniques nous avait déjà coûté 500 000 euros. La disparition cumulée de ces deux aides, c'est trois acomptes en moins pour nos adhérents, affirme Martial Bories, président de l'Occitane. C'est invraisemblable, nous sommes la région qui compte le plus de représentants dans les instances nationales et nous n'avons pas été capables de défendre ces primes. » Vendanges amères…
La chaptalisation autorisée dans le Sud-Ouest
Cette année, pour la première fois, ce sont les préfets de région qui décident des pratiques autorisées, sur proposition du délégué territorial de l'Inao (arrêté du 24 juillet 2012). Ils peuvent autoriser l'enrichissement par sucrage à sec, à titre exceptionnel, dans tous les départements du sud de la France. Cette disposition a donné lieu à des positions divergentes dans ces régions. Le Sud-Ouest a demandé et obtenu le feu vert pour chaptaliser ses IGP. En Languedoc-Roussillon, les professionnels unanimes ont choisi de ne pas demander la chaptalisation. Seul l'enrichissement avec les MC et MCR est autorisé pour cette campagne. En Ardèche, les producteurs avaient fait une demande pour pouvoir sucrer à sec. L'Inao a rendu un avis défavorable qui a été suivi par le préfet. Les producteurs ardéchois n'ont donc droit qu'à l'enrichissement par MC/MCR ou par concentration. Enfin, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, aucune demande de chaptalisation n'a été présentée. Les ODG des IGP Île de Beauté, Var et Alpes-Maritimes ont demandé et obtenu l'enrichissement par MC/MCR, tout comme l'IGP Vaucluse pour ses vins blancs.
L'Alsace regrette aussi les aides
En Alsace, où la chaptalisation est autorisée, l'enrichissement avec les MC/MCR est une pratique courante, notamment dans les grosses structures. Au cours des trois dernières années, entre 200 000 et 400 000 hl d'AOC ont ainsi été enrichis, le montant des aides attribuées à ce titre variant de 380 000 à 1 million d'euros par campagne. La cave de Ribeauvillé (Haut-Rhin), par exemple, utilise les MC/MCR pour enrichir les vins, pour la prise de mousse et pour fabriquer la liqueur d'expédition des crémants. « Philosophiquement, je préfère utiliser du sucre de raisin plutôt que du sucre de betterave, témoigne Évelyne, Bloger-Dondelinger, la responsable technique de la coopérative. D'un point de vue technique, les MCR sont également plus faciles à utiliser, car nous pouvons les pomper. » Malgré la fin des aides, la cave va continuer à utiliser les MCR. « Le millésime se présente bien. Cette année, nous devrions très peu enrichir nos vins, justifie l'œnologue. Mais l'an prochain, nous serons sans doute amenés à revoir notre position. Nous ne pouvons ignorer l'impact économique. » À la cave d'Ingersheim (Haut-Rhin), les calculs ont été vite faits. La coopérative utilise entre 100 et 150 hl de MCR par an. « Sans les primes, c'est économiquement déraisonnable. Cette année, j'ai commandé 10 tonnes de sucre », lâche Pierre Sibille, le directeur de la production.