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Magazine - Histoire

Jacques-Marie Duvault-Blochet : « Vendangeztardivement »

Florence Bal - La vigne - n°246 - octobre 2012 - page 87

Homme d'affaires audacieux, ce négociant s'est offert la Romanée-Conti au soir de sa vie. Sur la base de cinquante-trois années d'observations, il conseille à tous les Bourguignons de vendanger tardivement.
Jacques-Marie Duvault-Blochet a consigné toutes ses recommandations en matière de vin dans son ouvrage « De la vendange ».

Jacques-Marie Duvault-Blochet a consigné toutes ses recommandations en matière de vin dans son ouvrage « De la vendange ».

Jacques-Marie Duvault naît à Autun, en actuelle Saône-et-Loire, le 16 octobre 1789, alors que la Révolution française bat son plein. En 1816, après la chute de Napoléon Ier, il s'installe comme négociant en vins à Santenay (Côted'Or) à l'âge de 27 ans. Un an plus tard, il épouse Gabrielle-Sophie Blochet, à peine âgée de 15 ans, fille d'un propriétaire vigneron.

« L'épouse apportant des crus dans la corbeille de noces, Jacques-Marie Duvault prend le nom de Duvault-Blochet, relate l'ancien journaliste Jean-François Bazin, dans son ouvrage sur la Romanée-Conti. Il vit à Santenay, à la pointe sud de la côte de Beaune. Il édifie en quelques décennies un véritable empire : 133 hectares de vignes, toutes d'excellente réputation d'un bout à l'autre de la côte », à Vosne, Beaune, Volnay et Santenay, où il installe ses caves.

« La révolution de 1848 ayant bloqué le marché du vin, le rusé négociant comprend qu'il faut acheter à la baisse », continue Jean-François Bazin. Il obtient difficilement un prêt de 10 millions de francs auprès de son banquier parisien. Le pari est risqué et audacieux. Sans doute bien renseigné, Jacques-Marie Duvault-Blochet le prend. « Il emplit ses caves en achetant tout le vin disponible en Bourgogne, poursuit Jean-François Bazin. Comme le coup d'État de Louis Napoléon relance les affaires dès 1852, il multiplie sa fortune par trois ou quatre grâce à cet heureux coup de dés. »

En 1861, il est élu conseiller général de Côte-d'Or, dans le canton de Nolay, charge qu'il exercera jusqu'en 1870. « Il ponctue sa vie d'un beau point d'orgue à l'âge de 79 ans, en rachetant la Romanée-Conti, 1 ha, 80 ares et 50 centiares mythiques pour 260 000 francs, le 25 novembre 1869 », commente Jean-François Bazin.

Se fier au glucomètre plutôt qu'au ban des vendanges

Cette année-là, Duvault-Blochet publie « De la vendange », ouvrage regroupant les résultats de ses observations de maturité réalisées de 1822 à 1868. Il insiste sur l'importance capitale du choix de la date de vendange pour le vigneron qui veut obtenir de très grands vins. Il y plaide pour la pleine maturité des raisins. Il recommande de se fier au glucomètre (pèse-moût) plutôt qu'au ban des vendanges. Pour chaque millésime et parcelle, il précise la richesse en sucre du raisin au début et en fin de vendanges, observations qui lui ont enseigné que « la très haute qualité exige un raisin parfaitement mûr ». « En 1822, année la plus précoce du siècle et où on fit des vins si suaves, Nuits ouvrit sa vendange le 25 août, rapporte-t-il. Le moût a atteint 14 degrés et quart dans les Maladières (aujourd'hui premier cru de Santenay, NDLR). Ce fut cette qualité si remarquable dans les Maladières dont la moitié des raisins étaient figués (sur-mûrits, NDLR), qui me fit mieux sentir que c'était surtout de la maturité que dépendait la qualité des vins. »

Et d'interroger : « Après cinquante-trois années d'études, durant lesquelles je n'ai perdu que quatre fois et j'ai gagné quarante-neuf fois par la vendange tardive, aurais-je continué avec tant de persévérance s'il en était résulté de la perte ? Et la marche de mes affaires n'est-elle pas la preuve la plus manifeste que ma méthode est bonne (…), aussi bien pour le profit de la Bourgogne que pour le mien ? Puisque loin de faire un mystère de ma méthode, je lui ai même donné la publicité des journaux. »

« Souplesse soyeuse »

Ses conclusions et conseils sont clairs : « Vendanger idéalement lorsque le moût est à 13° potentiels (ou entre 12 et 13), car on a la certitude de faire du très bon vin. Ne jamais vendanger lorsque le moût a 9 ou 9,5°. À 10,5 et 11°, vendanger uniquement si le taux de pourriture est avancé car alors, entre deux maux, il faut choisir le moindre », précise-t-il.

Quant aux moûts de 14 voire 16°, « ils paraissent incontestablement supérieurs à tous les autres en primeur, (…) mais (…) il faut les attendre trop longtemps pour qu'ils aient la souplesse soyeuse qu'aiment les vrais gourmets », constate-t-il.

Jacques-Marie Duvault-Blochet s'éteint à Santenay le 23 janvier 1874. Son descendant, Aubert de Villaine, cogérant du domaine de la Romanée- Conti, affirme dans la réédition de l'ouvrage de son aïeul : « Le vigneron d'aujourd'hui, en relisant “De la vendange”, ressent comme un bonheur de pouvoir mettre ses pas dans ceux de l'homme qui visait déjà, selon ses mots, à maintenir et proclamer le plus hautement possible la suprématie incontestable de nos vins [de Bourgogne]. »

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SOURCES

« La Romanée-Conti » et « La Côte de Nuits de Vosne-Romanée à Corgoloin », Jean-François Bazin, collection Le Grand Bernard des vins de France, aux éditions Jacques Legrand.

Notices biographiques de la bibliothèque municipale de Dijon (Côte-d'Or).

« De la vendange », de Jacques-Marie Duvault-Blochet, aux éditions Terre en vues.

« Le domaine de la Romanée-Conti », de Gert Crum et Michael Broadbent, aux éditions Hachette.

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