JOSÉ RAMOS, propriétaire de Quinta de Paços et son chef de culture, Luis Meneses. La famille possède le domaine depuis quinze générations. Située à la frontière espagnole, cette quinta est fière de son alvarinho.
Armindo Fernandes est à la tête d'une entreprise qui construit 700appartements par an dans la région parisienne et fait un chiffre d'affaires de 21 millions d'euros. Robuste comme tout maçon portugais, il avoue avec fierté : «Tout ce que je gagne en France, je l'investis ici.»
Il s'est offert deux magnifiques «solar», des maisons de maître, entourées de 15 hectares de vigne. Dans l'une d'entre elles se trouve un pied de doçal, une variété locale, qu'il aime montrer à ses hôtes. Vieux de 450 ans et pourvu d'un tronc de 30 cm de diamètre, ce cep est une curiosité.
Armindo Fernandes n'a pas fini d'investir. Il a posé la première pierre d'une nouvelle cave et d'un restaurant gigantesque (1 500 couverts). Il prévoit de planter encore 40 hectares de vignes et d'en vinifier la récolte «pour embaucher du monde et rendre mon affaire rentable». Comme Armindo Fernandes, d'autres entrepreneurs aux belles carrières veulent participer au renouveau du Vinho Verde, le vignoble le plus au nord du Portugal, et renouer avec leur terre natale.
Les pergolas disparaissent
Depuis une quinzaine d'années, la région vit une révolution. Pendant longtemps, la vigne était cultivée par tout un chacun sur des pergolas entourant d'immenses jardins potagers. Les Portugais faisaient du vin pour leur propre consommation et vendaient la plupart de leurs raisins aux coopératives. Ce vin était tellement acide qu'on le baptisa «vin vert» par opposition au vinho madura (mature).
Mais ces pergolas sont peu à peu remplacées par des vignes palissées plus denses et plus productives. 700 hectares sont plantés ou reconvertis chaque année, à coups de subventions européennes. Le vignoble couvre 21 000 ha, soit 15 % de la superficie portugaise plantée. Les rouges ne représentent qu'une proportion infime, alors qu'ils dominaient il y a cinquante ans ! Et pour cause : ce sont des vins très acides, mais les consommateurs locaux en sont fiers.
José António Sequeira Braga a quelques jolies parcelles autour de chez lui. Il s'efforce, en tant que président de la cave Adega cooperativa de Guimarães, de conseiller au mieux ses 150 adhérents. Créée en 1962, la cave produit un million de litres et a investi en 2011 dans un grand bâtiment adapté à la production de vin vert : conquets au fond convexe pour ne pas écraser les raisins, pressoirs pneumatiques et hygiène irréprochable.
Ses premiers prix départ cave se situent à 1,80 euro le col. Les vins verts sont tous embouteillés dans la région délimitée, mais la coopérative livre 75 % du volume vinifié aux gros faiseurs que sont Aveleda, Borges ou Sogrape. Dans les magasins, on trouve des bouteilles de 75 cl à 1,39 euro. C'est ce qui fait bondir un grand nombre de producteurs, qui dénoncent la mauvaise image entretenue par ces vins bas de gamme élaborés comme des sodas sucrés.
Si la délimitation de l'appellation a vu le jour en 1908, la Commission des vins date, quant à elle, de 1936. Aujourd'hui, elle met tout en œuvre pour garantir une qualité de plus en plus élevée. Elle a évalué les nombreux cépages de la région pour en ressortir six particulièrement qualitatifs. Elle incite les producteurs à les planter. Elle a aussi sélectionné les meilleurs clones de chaque cépage.
Collectionneur de médaille
Par ailleurs, les contrôles ont été renforcés. Ils portent sur la vendange, les vins en cave et les vins dans le commerce. Le vinho verde doit être frais, aromatique, avec peu d'alcool (entre 8 et 11 % maximum), 5 g de sucre résiduel et 1 bar de pression pour un léger pétillement. C'est ce qu'attendent les consommateurs sur les marchés principaux : États-Unis, Allemagne, France et Brésil.
Manuel da Silva Correia l'a bien compris. Il élabore une gamme de vins pleins de caractère depuis six ans. Ce dirigeant d'entreprise a doté sa cave d'équipement et de cuves dernier cri, dont un filtre tangentiel. Il s'est entouré d'un bon chef de culture, d'un chef de cave et d'un responsable marketing qui a créé une étiquette moderne. Depuis, Quinta de Gomariz, son domaine, collectionne les médailles aux concours locaux et internationaux grâce à une belle gamme de vins aromatiques et purs. Monção et Melgaço, la région la plus au nord du Vinho Verde, produit de l'alvarinho, un cépage blanc très à la mode, sorte d'alternative au sauvignon. Là, les viticulteurs ont le droit de vendre du «vinho verde alvarinho». Certains de ces vins se retrouvent à 15 euros (prix consommateur). Mais cette mention est réservée aux producteurs de Monção et Melgaço. Ceux des huit autres sous-régions du Vinho Verde n'y ont pas droit, ou alors uniquement pour l'IGP Minho.
Se démarquer
José Ramos a trouvé la parade. À la tête de Quinta de Paços, il ne revendique tout simplement pas l'AOC Vinho Verde «car il a honte de l'appellation». Cet homme de 79 ans a repris l'affaire familiale, une vaste propriété, plantée de 8,5 ha de vignes seulement. Il se dit «petit viticulteur floué par le jeu des gros producteurs qui produisent à bas coût».
Pour se démarquer des vinho verde, il produit des vins secs et tranquilles dans l'IGP Mihno. Les grands sancerres ou bourgognes ne sont-ils pas ainsi ? remarque-t-il. Il procède à des macérations pelliculaires et s'autorise l'ajout de 5 g/l de moût concentré à l'embouteillage «pour contrebalancer l'acidité». Ses alvarinho Mihno se vendent 5,70 euros dans les magasins au Portugal.
Résultat de tous ses efforts, le vinho verde est le deuxième vin exporté derrière le porto. Les États-Unis, l'Allemagne et la France sont ses trois premiers marchés. Et la région veut continuer sur la lancée pour réaliser 50 % de ses ventes à l'export, contre 30 % aujourd'hui. Soit passer de 155 000 à 250 000 hl exportés. Pour cela, elle mise sur son vin unique, au léger pétillant, doté d'une fraîcheur remarquable. Un vin qui a remis le vert en poupe.
BAR À PORTO. Le vinho verde est servi à l'apéritif. Comme le dit Antonio Luis Cerdeira, directeur du laboratoire de l'institut du Vinho Verde, situé à Porto : « Ce n'est pas du blanc, ce n'est pas du rouge, ni du rosé, c'est du vinho verde ! »«pour contrebalancer l'acidité»
DANS LA CAVE DE QUINTA DE GOMARIZ de Manuel da Silva Correia, les cuves sont recouvertes d'une couche isotherme, noire par esthétisme. Sa marque QG, moderne et destinée aux marchés anglo-saxons, fait un tabac.«pour contrebalancer l'acidité»
PHOTOS M. HULOT«pour contrebalancer l'acidité»