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Les vignerons démunis face à l'explosion de l'esca

La vigne - n°247 - novembre 2012 - page 12

Dans toutes les régions, l'esca est en recrudescence. Les Bourguignons ont manifesté à Mâcon (Saône-et-Loire) pour rappeler aux pouvoirs publics le coût énorme de la maladie.

Certains l'appellent le cancer de la vigne. Depuis l'interdiction de l'arsénite de soude, l'esca ne cesse de progresser. Cette année, cette maladie du bois s'est fortement exprimée, provoquant une mortalité élevée. Comme d'autres, les Bourguignons vont en payer le prix. Pour rappeler aux pouvoirs publics à quel point la profession est démunie contre ce fléau, ils ont manifesté fin octobre à Mâcon. Ils y ont déversé des ceps morts dans les rues. Ils ont également remis aux élus et au préfet des bouteilles vides pour symboliser le risque pour eux de ne plus pouvoir produire un jour si aucun remède n'est trouvé.

Toutes les régions ont subi une recrudescence de l'esca. Sancerre a connu « 30 % de symptômes de plus qu'en moyenne, alerte François Dal, de la Sicavac. Sur de rares parcelles de sauvignon, jusqu'à 50 % de ceps ont exprimé la maladie. Et on commence à voir des parcelles de pinot noir avec des taux d'attaque supérieurs à 5 %. Cette année, la moitié des symptômes correspondait à de l'apoplexie » (mort brutale du cep, NDLR).

Des symptômes précoces

Dans le Beaujolais, « les apoplexies ont explosé la seconde quinzaine d'août. C'était impressionnant. Dans les parcelles les plus touchées, 10 % des pieds sont morts », déplore Jean-Henri Soumireu, de la chambre d'agriculture du Rhône. À Gaillac (Tarn), Olivier Yobrégat, de l'IFV pôle Sud-Ouest, souligne que « les symptômes d'apoplexie sont apparus brutalement début juin alors qu'ils ne sont habituellement visibles que courant juillet ».

Selon Thierry Coulon, de l'IFV, les chiffres disponibles révèlent que les taux de symptômes vont jusqu'à doubler par rapport à 2011, qui n'était pas une année de très forte expression. Sur les cépages les plus sensibles, 10 à 20 % de pieds expriment des symptômes (foliaires et apoplexie). Dans les cas les plus graves, la moitié des ceps sont atteints.

Le printemps pluvieux et doux a favorisé une pousse active de la vigne. Puis le pic de chaleur de début juin a engendré une forte évapotranspiration, provoquant une rupture de l'alimentation en eau ou une alimentation insuffisante des ceps atteints. Ceux-ci se sont alors partiellement ou entièrement desséchés.

Cette année, les chantiers de complantation vont donc être plus importants. Or, des difficultés d'approvisionnement en plants sont à craindre. Dans le Beaujolais et le Sud-Ouest, le gamay pourrait venir à manquer.

À défaut de remède contre ce fléau, la profession demande de pouvoir bénéficier des aides à la restructuration pour arracher et replanter les parcelles les plus touchées. L'administration française semble d'accord. Reste à convaincre Bruxelles.

Le 26 octobre, à Mâcon (Saône-et-Loire), 400 à 600 vignerons de Bourgogne et du Beaujolais ont manifesté contre l'« escatombe », un fléau contre lequel ils sont désarmés.

 © C. MICHELIN

© C. MICHELIN

DES BOUTEILLES VIDES ont été remises aux élus et au préfet, représentant l'inquiétude des vignerons de ne plus pouvoir produire. Robert Martin, de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire, au second plan, estime qu'il faudrait replanter 520 ha de vignes du fait de l'esca. Un coût estimé à 20 millions d'euros.

Le 26 octobre, à Mâcon (Saône-et-Loire), 400 à 600 vignerons de Bourgogne et du Beaujolais ont manifesté contre l'« escatombe », un fléau contre lequel ils sont désarmés.

 © M. S. PELLETIER

© M. S. PELLETIER

CERCUEIL. Pour bien faire comprendre aux pouvoirs publics que la maladie est mortelle, les manifestants avaient réalisé ce cerceuil contenant des pieds morts de l'esca.

Le 26 octobre, à Mâcon (Saône-et-Loire), 400 à 600 vignerons de Bourgogne et du Beaujolais ont manifesté contre l'« escatombe », un fléau contre lequel ils sont désarmés.

 © M. S. PELLETIER

© M. S. PELLETIER

DÉVERSEMENTS. Les viticulteurs ont déversé çà et là des milliers de ceps sur la chaussée, entravant la circulation.

Le 26 octobre, à Mâcon (Saône-et-Loire), 400 à 600 vignerons de Bourgogne et du Beaujolais ont manifesté contre l'« escatombe », un fléau contre lequel ils sont désarmés.

 © M. S. PELLETIER

© M. S. PELLETIER

CONVOI. Une trentaine de tracteurs traînant des remorques remplies de ceps morts ont accompagné les vignerons pendant les trois heures qu'a duré la manifestation.

Le Point de vue de

Charles-Édouard Drouin exploite 3 ha en AOC Mâcon et 6,8 ha en Pouilly-Fuissé avec son père, à Vergisson (Saône-et-Loire)

« Les pertes s'accélèrent »

« Nous suivons la mortalité des ceps, principalement due à l'esca. Cette année, nous ne nous sommes pas immédiatement rendu compte de l'importance de cette maladie, car nous étions concentrés sur l'oïdium. Pourtant, les pertes se sont accélérées. Courant juin juillet, certains pieds ont commencé à se dégrader. En l'espace de quatre jours, un pied sain pouvait se dessécher. C'était foudroyant. Les pieds les plus touchés sont les clones entre 15 et 25 ans. Le chardonnay est sensible. Le gamay est plus résistant, les vignes de 50 à 60 ans en sélection massale aussi. Actuellement, nous devons remplacer 5 à 10 % des pieds, soit 500 à 600 pieds/ha. Nous complantons la moitié de l'exploitation une année et l'autre moitié l'année suivante. Au total, cela nous monopolise pendant trois à quatre semaines. Habituellement, nous réalisons ces travaux au printemps. Mais notre technicien nous a prévenus qu'il faudra positionner le premier antioïdium dès l'éclatement des bourgeons. Nous avons donc démarré les complantations à l'automne pour ne pas être débordés au printemps. Les maladies du bois nous préoccupent car la complantation a un coût. Il faut compter 3 euros par pied et y ajouter le prix du drain, du tuteur, de l'engrais, etc. Et le pied entreplanté ne sera productif qu'au bout de cinq à six ans, si la reprise se fait bien. Or, dans nos terrains argileux, ce n'est pas toujours le cas. »

Le Point de vue de

Valérie Hofstetter, mycologue à la station de recherche Agroscope Changins-Wädenswil ACW, en Suisse

« Les champignons de l'esca ne semblent pas pathogènes »

LA VIGNE : Vous venez de publier une étude (1) dans laquelle vous suggérez que les champignons de l'esca ne sont pas pathogènes. Comment en êtes-vous arrivés à cette conclusion ?

Valérie Hofstetter : Nous avons comparé, dans une parcelle de chasselas âgée d'une trentaine d'années, les communautés fongiques sur du bois de pieds sains et de pieds montrant des symptômes foliaires d'esca. Les résultats indiquent que la charge en champignons de l'esca est très similaire entre les ceps sains et ceux atteints d'esca. La meilleure hypothèse pour expliquer ce résultat est que les champignons que l'on associe à l'esca ne sont pas des pathogènes mais qu'ils vivent dans le bois de la vigne sans jamais générer de symptômes de maladie, ou qu'ils sont spécialisés dans la dégradation du bois mort. Ceci concorde avec nos résultats montrant que les champignons de l'esca ne sont pas plus invasifs dans les ceps malades que dans les ceps sains.

L. V. : Comment expliquez-vous la recrudescence des maladies du bois après l'interdiction de l'arsénite de soude ?

V. H. : Le suivi national des maladies du bois de la vigne en France a montré que l'arsénite de soude réduisait la sévérité des symptômes mais n'éradiquait pas la maladie. De plus, en Allemagne et en Suisse, où l'arsénite de soude n'a jamais été homologué, les vignerons constatent la même recrudescence d'esca qu'en France et que dans le reste de l'Europe. La corrélation entre l'interdiction d'utiliser de l'arsénite de soude et l'augmentation de l'incidence de l'esca paraît donc circonstancielle.

L. V. : À quoi serait alors due l'esca ?

V. H. : Nous ne pouvons émettre que des hypothèses. Peut-être s'agit-il d'un problème physiologique dû à une trop faible mycorhization des racines ou à une faiblesse génétique de la vigne. Certains ceps seraient alors plus sensibles aux variations climatiques. Peut-être que la taille a aussi une influence. Les bactéries pourraient également jouer un rôle. Ce sont des pistes à étudier.

(1) « What if esca disease of grapevine were not a fungal disease ? », article scientifique paru en avril 2012 dans la revue « Fungal Diversity ».

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