Pierre-Auguste Renoir, ici représenté à l'âge de 26 ans par le peintre Jean-Frédéric Bazille, buvait peu mais avait une prédilection pour le vin d'Essoyes. « Derrière le vin, il voulait retrouver le vigneron et sa vigne, comme derrière un tableau il voulait retrouver le peintre », relate son fils, Jean Renoir. © PARIS/MUSÉE D'ORSAY
« Je ne suis jamais resté un jour sans peindre, tout au moins sans dessiner. Il faut garder la main », confiera Pierre-Auguste Renoir au soir de sa vie à son fils. Et de lui expliquer : « La seule récompense du travail, c'est le travail lui-même. Il faut être bien naïf pour travailler pour de l'argent… La gloire ? Il faut pour cela être un jobard. »
Né le 25 février 1841 à Limoges (Haute-Vienne), le grand maître était aussi doué pour le chant que pour le dessin. Ayant horreur de se « mettre en avant », il opte pour la seconde voie. Son père, Léonard, est tailleur ; sa mère Marguerite couturière. En 1845, la famille s'établit à Paris où le futur peintre grandit dans un milieu modeste.
« Paysanner en Champagne »
À l'âge de 13 ans, Renoir démarre sa vie professionnelle comme peintre sur porcelaine. « J'étais très demandé et il fallait satisfaire la demande. Je n'en étais pas peu fier », racontera-t-il plus tard à son fils Jean. À 17 ans, il prend des cours de dessin et de peinture à l'atelier Gleyre. Il commence alors à graviter dans un cercle d'amis, les futurs impressionnistes, où se rencontrent Monet, Cézanne, Pissaro, Manet ou encore Berthe Morisot.
Dans les années 1880, il rencontre Aline Charigot, couturière originaire d'une famille de vignerons d'Essoyes, dans l'Aube, en Champagne. Il avait 40 ans, elle en avait 19. « Avec son bon sens de paysanne, elle savait que Renoir était fait pour peindre comme une vigne pour donner du vin, relate leur fils Jean. Il fallait donc qu'il peigne bien ou mal, avec ou sans succès, mais surtout qu'il n'arrête pas. Quoi de plus navrant qu'une vigne en friche, et que de sueur pour la remettre en état. »
Renoir effectue son premier séjour prolongé à Essoyes à l'automne 1888. « Je suis en train de paysanner en Champagne », écrit-il à son acheteur anglais, Paul Durand-Ruel. C'est à l'occasion de ce séjour qu'il peint « Le déjeuner des vendangeuses » et « Le repos des vendangeuses ».
La famille revient tous les ans à Essoyes. Ses fils font les vendanges, tandis que Renoir s'adonne à son art. « Je me plaisais chez les vignerons parce qu'ils sont généreux… Ils ne sacrifient pas à la manie paysanne d'épargner. Ils travaillent dur toute l'année. L'été, ils sont dans leurs vignes au lever du jour. » Il disait encore : « Pour être un artiste, il faut apprendre à connaître les lois de la nature (…). Le salut, c'est de travailler comme un ouvrier et ne pas se monter le cou. » Il vit dans un environnement authentique où rien de « toc » n'est toléré.
Derrière le vin, il voulait trouver le vigneron
Son approche du vin rend bien compte de sa manière de voir les choses. « Peu buveur, il préférait le vin d'Essoyes à tout autre, un vin sans une trace de sucre, vif (…), produit d'un sol où les cailloux sont abondants et la terre rare, décrit son fils. Ces produits d'un sol pauvre étaient l'illustration de la philosophie de Renoir : tâcher de créer de la richesse avec de petits moyens. »
« Le vin d'Essoyes plaisait aussi à Renoir car il n'était jamais coupé. Il disait que nous devions à l'invasion des mufles le goût nouveau pour les produits améliorés par les coupages. Toujours égaux à eux-mêmes, ce qui rend la vie ennuyeuse. Son goût en vin était le même que son goût en art, et les mélanges de Bercy lui semblaient aussi navrants que la fabrication des meubles en série. Derrière le vin, il voulait retrouver le vigneron et sa vigne, comme derrière un tableau il voulait retrouver le peintre et le coin de nature qui l'avait inspiré », témoigne Jean Renoir.
Il rapporte encore : « Renoir se méfiait des vieux vins qui alourdissent et qu'il faut déguster au lieu de boire (…). Il blaguait les grimaces des connaisseurs qui se rincent les gencives comme avec un dentifrice et lèvent les yeux au plafond en extase. Ils ne s'y connaissent pas plus que moi. »
En 1897, à Essoyes, Renoir fait une chute de bicyclette dont les séquelles seront dramatiques. À partir de 1902, il se paralyse petit à petit jusqu'à ne plus pouvoir marcher et, au fil des ans, les doigts de sa main se déforment affreusement. Mais « plus la souffrance devenait intolérable et plus Renoir peignait », se souvient son fils. Pierre-Auguste Renoir s'éteint le 3 décembre 1919, à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), où il vivait depuis 1903. Depuis, sa peinture a rayonné dans le monde entier.
SOURCES
« Pierre-Auguste Renoir, mon père », de Jean Renoir. Éditions Gallimard, collection Folio.
« Renoir de vigne en vin à Essoyes », de Bernard Pharisien. Éditions Némont.