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Magazine - Etranger

Taïwan. Objectif : produire

Pierrick Bourgault - La vigne - n°247 - novembre 2012 - page 108

Les Taïwanais cultivent la vigne comme les fruits, avec deux vendanges par an et des rendements impressionnants. Libres de vinifier, ils produisent des vins de glace sur leur île tropicale !
DOMAINE SHU SHEUG. Cépage black queen cultivé en pergola. Cette forme est plus que la vigne palissée et la productivité atteint des sommets. PHOTOS P. BOURGAULT

DOMAINE SHU SHEUG. Cépage black queen cultivé en pergola. Cette forme est plus que la vigne palissée et la productivité atteint des sommets. PHOTOS P. BOURGAULT

BOUTEILLE DU DOMAINE CHANG SHU-GEN. Mariage, service militaire, victoire sportive : toutes les occasions sont bonnes pour saluer un événement par une bouteille dédiée.

BOUTEILLE DU DOMAINE CHANG SHU-GEN. Mariage, service militaire, victoire sportive : toutes les occasions sont bonnes pour saluer un événement par une bouteille dédiée.

HONG JI-BEI EST FIER de sa méthode de greffage japonaise, étudiée dans un livre. L'objectif est de changer le cépage ou le clone de la parcelle en gardant de puissantes racines. Dans certains cas (comme ici, sur la photo) les deux pieds restent.

HONG JI-BEI EST FIER de sa méthode de greffage japonaise, étudiée dans un livre. L'objectif est de changer le cépage ou le clone de la parcelle en gardant de puissantes racines. Dans certains cas (comme ici, sur la photo) les deux pieds restent.

LE CHAI DE CHANG SHU-GEN, (domaine Song-He, à Tai Chung) est équipé de cuves fabriquées à Taïwan et de matériel européen, dont une étiqueteuse italienne. Chang Shu-Gen a même acheté une machine pour graver le verre des bouteilles.

LE CHAI DE CHANG SHU-GEN, (domaine Song-He, à Tai Chung) est équipé de cuves fabriquées à Taïwan et de matériel européen, dont une étiqueteuse italienne. Chang Shu-Gen a même acheté une machine pour graver le verre des bouteilles.

LA RAILWAY VALLEY WINERY est un chai touristique un peu kitsch pour les Taïwanais et les nombreux visiteurs de Chine continentale.

LA RAILWAY VALLEY WINERY est un chai touristique un peu kitsch pour les Taïwanais et les nombreux visiteurs de Chine continentale.

CHANG SHU-GEN désigne un cep dont le débourrement est imminent. Les feuilles sont arrachées à la main (après la vendange et la taille de juillet) ou bien elles tombent toutes seules (avec l'hiver en décembre). À gauche, il plante des boutures dans le sol pour obtenir de nouveaux plants.

CHANG SHU-GEN désigne un cep dont le débourrement est imminent. Les feuilles sont arrachées à la main (après la vendange et la taille de juillet) ou bien elles tombent toutes seules (avec l'hiver en décembre). À gauche, il plante des boutures dans le sol pour obtenir de nouveaux plants.

Située en zone tropicale, l'île de Taïwan est le paradis des fruits : la vigne y pousse tout au long de l'année, il n'y a pas de phylloxéra et les boutures se fichent directement dans le sol et reprennent rapidement. Seul inconvénient, « des typhons plus dangereux que les insectes et les maladies », selon Hong Ji Bei, vigneron à Tai Chung, au centre ouest de l'île. La vigne n'est donc pas palissée mais cultivée en pergola pour résister aux cyclones.

Parcelles de vigne alternent avec rizières inondées et usines high-tech. Mais ce n'est pas la moindre des surprises. Les pratiques des viticulteurs sont bien plus étonnantes. Les Taïwanais sont animés par un objectif : produire. Et pour cause : sur cette île grande comme quatre fois la Corse pour une densité de population cent fois supérieure, la terre vaut très cher, environ 500 000 euros l'hectare. Il faut donc la rentabiliser.

Pour parvenir à leurs fins, les vignerons labourent et fertilisent généreusement. Chang Shu-Gen, propriétaire du domaine Song-He, à Tai Chung, annonce trois épandages « potassium et azote à l'époque de la taille puis à la moitié du mûrissement des grappes, du phosphore avant la vendange pour durcir la peau du raisin et limiter les moisissures et les attaques d'insectes. Plus des déjections animales et de la poudre d'algues et d'huîtres ». Entre les rangs, Chang Shu-Gen cultive même des choux !

Deux vendanges par an

Les Taïwanais font deux vendanges par an. Pour cela, ils ont leurs secrets que révèle Chen Ching Fung, patron de Railway Valley Winery, véritable parc d'attractions touristiques. « La taille est pratiquée en février mars. La vigne débourre juste après. La récolte intervient début juillet. Puis une nouvelle taille est pratiquée, après laquelle on arrache les feuilles vertes qui restent sur le pied. Et un second cycle repart, qui se termine par une seconde vendange en novembre ou décembre. » Pour trois cycles annuels, la vigne est cultivée sous serre, voire éclairée la nuit, mais cette pratique concerne surtout le raisin de table.

Chen Ching Fung annonce 700 q/ha et affirme que certains vignerons dépassent le double dans leurs pergolas irriguées et fertilisées ! Avec ses 400 q/ha Objectif : produire récoltés, 250 à la première vendange et 150 à la seconde, Hong Ji-Bei semble presque un adepte des faibles rendements.

En plus de vinifier leur propre récolte, les vignerons achètent du raisin aux paysans locaux ou à des groupements nommés coopératives, le rouge à 0,67 euro le kg et le blanc 0,60 euro, « car acheter ou louer du terrain coûte trop cher ». Ils choisissent des levures japonaises, « pour produire du vin oxydé » au goût d'hydromel.

Chen Ching Fung exporte naturellement au Japon. Après la fermentation, il ajoute du sucre en poudre « car les clients aiment le vin sucré ». Tous portent une attention toute particulière à l'étiquette et au packaging. Ils proposent des personnalisations pour célébrer un mariage, la naissance d'un enfant, pour des groupes d'amis, des militaires, etc. Ici, le vin est un cadeau.

Raisin de cuve, de table, raisins secs ou confitures… la différence ne semble pas toujours évidente à ces vignerons nombreux à avoir appris leur métier dans un traité de viticulture japonais, comme Hong Ji-Bei. « En 1963, mon père m'a donné ce livre qui m'a tout appris. J'avais 14 ans quand j'ai commencé à me passionner pour la vigne.» Hong Ji-Bei a réalisé de nombreux croisements en suivant les explications fournies par le traité et a effectué tous les types de greffes qui y sont dessinés. Les Taïwanais sont d'exceptionnels horticulteurs.

À la Railway Valley Winery, Chen Ching Fung possède trois hectares plantés des cépages black queen, golden muscat et Taiwan Agriculture n°1. L'an dernier, il a produit 400 000 bouteilles de rouge et 100 000 de blanc en achetant l'essentiel du raisin à l'extérieur. Il élève une partie de sa production dans des tonneaux français, qu'il achète 780 euros pièce avant de les utiliser pour la décoration. Il a tout vendu.

Il faut dire que Chen Ching Fung a gagné plusieurs prix qu'il affiche dans son espace de dégustation pourvu d'un carré VIP. Ces distinctions lui permettent d'augmenter un peu ses tarifs. Ses bouteilles de rouge ou de blanc s'arrachent à 13 euros. La bouteille d'« ice wine » monte à 18 euros. Il ne fait pas de rosé « qui semble un vin dilué aux yeux des consommateurs ». Il laisse une remise de 40 % à ses revendeurs.

Vin « de réfrigérateur »

Du vin de glace dans un pays tropical ? Encore une surprise ! Railway Valley Winery n'est pas seule à en produire. Hong Ji-Bei et son fils, Hong Liang Jie, ont aussi leur gamme. Ils l'obtiennent en laissant le raisin un mois au plus en chambre froide à 1°C où il se dessèche et se concentre. Puis ils le pressent. Ce vin « de réfrigérateur », riche en sucres résiduels, est servi dans des verres minuscules habituellement utilisés pour l'alcool de riz.

La famille Hong produit également un vin doux naturel dont la recette lui a été donnée par un professeur taïwanais formé en France : « Dès que la fermentation atteint 5°, on ajoute de l'alcool jusqu'à 15°. » Un alcool qui est distillé au domaine.

Avec en tout 8 ha récoltés, dont un en propriété, ils affirment produire « moins de 100 000 litres par an, environ 75 % de rouge et 25 % de blanc, pour que l'entreprise reste un domaine, sinon elle deviendrait une "factory" ». Beaucoup de ventes se font sur place, dans le local de dégustation ouvert aux touristes. Pour rencontrer de nouveaux clients et pour faire connaître leurs vins, Hong Ji-Bei et son fils organisent des cours de dégustation auxquels participent des étudiants de l'université nationale de l'hospitalité et du tourisme de Kaohsiung. En une quinzaine d'années, la relation entre les vignerons et l'État a radicalement changé. Avant 2002, il leur était interdit de produire du vin, cette activité étant un monopole d'État. Les viticulteurs devaient vendre leurs raisins à l'usine Taiwan Tobacco & Liquor Corporation.

Mais en 2002, l'entrée de Taïwan dans l'OMC met fin à cette situation. L'État finance désormais des techniciens viticoles, des formations et des actions de promotion. « Cela faisait dix ans que l'on vinifiait… pour notre famille ! » sourit Chen Ching Fung. Une famille bien élargie car les vignerons vendaient déjà leurs bouteilles discrètement. La fin du monopole leur a permis de poursuivre leur activité au grand jour.

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