SERGE MARTINPRIVAT enherbe ses interrangs et désherbe chimiquement les rangs. Jusqu'à cette année, il ne fertilisait pas ses vignes car « la fertilisation est pernicieuse pour l'enherbement. Je ne veux pas avoir à faire de la culture d'herbe ». PHOTOS P. PARROT
Une vingtaine de personnes se sont retrouvées dès 8 h 30 le vendredi 16 novembre au château des Hospitaliers, à Saint-Christol, dans l'Hérault : six viticulteurs, à peu près autant de conseillers viticoles et de chercheurs. Serge Martin-Privat, le propriétaire de ce domaine d'une trentaine d'hectares de vignes et de 4,5 ha de vergers, emmène d'emblée la petite troupe dans une vigne de syrah enherbée et irriguée.
« L'herbe assainit le vignoble »
« Je pratique l'enherbement depuis une dizaine d'années, commence-t-il. J'ai démarré sur un carignan dont je voulais réduire la vigueur. Et j'ai constaté que cette pratique avait d'autres intérêts, notamment celui de limiter l'érosion. En 2010, au moment des inondations à Sommières (Gard), il est tombé 200 à 300 mm d'eau en quelques heures et nous n'avons eu aucune perte de sol. L'herbe au sol est également bénéfique en automne car elle agit comme une pompe à eau et assainit le vignoble. Je n'ai jamais de pourriture. Enfin, l'enherbement favorise le fonctionnement naturel des sols, ameublis grâce aux racines pivotantes des plantes. » L'ensemble du vignoble est donc enherbé naturellement dans l'interrang. Serge Martin-Privat tond l'herbe le plus tard possible pour réduire au maximum le nombre de passages. Au mieux, les années où l'herbe pousse peu, il attend jusque fin juin début juillet pour intervenir. Pour désherber sous le rang, il passe deux fois par an avec un herbicide. Précision importante : les vignes sont irriguées par goutte-à-goutte, l'eau du Bas-Rhône arrivant en bordure de la propriété.
Les questions fusent. « N'y a-t-il pas concurrence pour l'eau entre l'herbe et la vigne ? Si vous n'aviez pas l'irrigation, n'auriez-vous pas révisé l'enherbement ? » interroge Pierre Fort, viticulteur à Roque-taillade, dans l'Aude, qui pratique l'enherbement un rang sur deux. « L'irrigation n'est pas là pour contrebalancer l'enherbement mais le réchauffement climatique, lui répond l'hôte. Depuis 2003, nos rendements ont chuté de moitié, avec ou sans enherbement. Nous n'avons plus de pluie estivale. Dès le mois de juillet, l'herbe est sèche. »
« Quelle fertilisation apportez-vous ? » lui demande Bernard Genevet, conseiller de la chambre d'agriculture du Gard. « Je n'ai pas apporté d'engrais depuis quinze ans, précise Serge Martin-Privat. Depuis cette année, je fais des essais d'apport d'azote à l'automne par goutte-à-goutte. » Une initiative qui surprend les conseillers viticoles venus assister à la journée. On peut effectivement s'étonner de ces apports tardifs, qui risquent d'être lessivés par les pluies hivernales. Le viticulteur explique qu'il cherche là un moyen de favoriser la reconstitution des réserves.
Pendant plus d'une heure, les questions se succèdent
« La fertilisation est pernicieuse pour l'enherbement, ajoute-t-il. Je ne veux pas avoir à faire de la culture d'herbe. Notre terroir d'AOC est lié à un déséquilibre du sol. On vise des rendements de 35 à 40 hl/ha. Si je compense ce déséquilibre par la fertilisation, je modifie le terroir. »
Pendant plus d'une heure, les questions se succèdent sur tous les sujets. Pourquoi ne pas travailler sous le rang ? Pourquoi ne pas semer l'enherbement ? L'enherbement modifie-t-il l'acidité des vins ?
Les échanges sont tout autant animés lors de la seconde visite au domaine des Chardons, à Bellegarde, dans le Gard. Jérôme Chardon a fait le choix de passer en biodynamie dès son installation en 1999. Dynamisation des préparations avant leur pulvérisation au vignoble, respect du calendrier lunaire et travail du sol : il applique à la lettre tous les préceptes de la biodynamie. « L'idée est de maintenir la vigne dans un bon équilibre ; elle est ainsi moins sensible aux maladies », affirme le producteur gardois qui précise ne jamais traiter contre les vers de la grappe et appliquer deux fois moins de cuivre que ses voisins en bio.
« Je n'apporte aucun engrais et mes teneurs en azote, potasse et phosphore dans les sols ne bougent pas. J'ai un taux de matière organique de 2 à 2,5 %. Il y a une bonne activité microbiologique dans mes sols », continue Jérôme Chardon.
« Au vu des résultats, je ne peux que croire en la biodynamie »
Les vignes sont superbes et les vins – que les visiteurs ont pu déguster – le sont tout autant. Mais l'assistance demeure sceptique quant aux effets des pulvérisations de silice, de compost de bouse, de bouse de corne et autres décoctions à base de plante. « C'est difficile à expliquer scientifiquement. Je ne fais que constater et, au vu des résultats, je ne peux qu'y croire, concède le viticulteur tout en interpellant les chercheurs présents. Ce serait intéressant que la recherche se penche sur les méthodes de la biodynamie. »
Les discussions de l'après-midi se tiennent en salle. Claire Marsden, maître de conférence en écologie des sols à Supagro, et Patrice Coll, du cabinet Jean Rière, à Perpignan (Pyrénées-Orientales), interviennent en duo sur les connaissances actuelles de la microbiologie des sols en viticulture. Une présentation très scientifique qui intéresse l'auditoire mais dont le lien avec les visites du matin n'est pas flagrant. « On estime connaître moins de 1 % des micro-organismes du sol », indique Claire Marsden.
Là encore, les échanges sont animés, les interrogations nombreuses et parfois sans réponse précise. L'activité biologique des sols viticoles est un sujet difficile à cerner tant les paramètres à prendre en compte sont multiples. Ce premier atelier aura eu le mérite de soulever toutes ces questions et d'amener chercheurs et professionnels à confronter leurs points de vue.
Le carrefour des agronomes
Créée en octobre 2008, l'Association française d'agronomie (Afa) regroupe chercheurs, enseignants, agriculteurs, fournisseurs et plus généralement tous ceux qui s'intéressent à cette discipline. La jeune association veut faire progresser l'agronomie en tenant compte des nouveaux enjeux sociétaux. Dans ce but, elle organise des ateliers de terrain, journées de rencontres ouvertes aux conseillers agricoles, aux producteurs et aux chercheurs sur une question concrète. La journée du 16 novembre sur la gestion de l'activité biologique du sol en viticulture était son quatrième atelier, mais le premier en viticulture. « Le nombre de participants est volontairement limité à trente pour préserver la qualité des échanges, avec un tiers de producteurs, un tiers de conseillers agricoles et d'enseignants et un tiers de chercheurs », développe Philippe Prévost, secrétaire de l'Afa, qui est ouvert à toute suggestion de sujet pour un prochain atelier.
Le Point de vue de
Pierre Fort, viticulteur au domaine de Mouscaillo, à Roquetaillade (Aude)
« C'est une bonne occasion d'entrer en contact avec les chercheurs »
« Je suis passionné par toutes les avancées scientifiques concernant la vigne. Quand j'ai eu connaissance de cette journée, je me suis tout de suite inscrit. C'est l'occasion de rentrer en contact avec les chercheurs. Il y a une vraie coupure en France entre la recherche et les professionnels, et c'est bien dommage. Cela m'intéresse de comprendre le fonctionnement de la vigne et du sol pour faire les meilleurs vins. Mais la compréhension de la biologie des sols est d'une folle complexité et les connaissances scientifiques sont encore limitées. Cette journée en a été la démonstration. Mais c'est intéressant de confronter ses points de vue avec d'autres, même si je n'ai pas été convaincu par tout ce qu'ont affirmé les deux viticulteurs. J'ai retenu au final que la porosité des sols semble être une notion importante. J'ai également été intrigué par l'apport d'azote pratiqué en automne par Serge Martin-Privat. Je vais peut-être essayer pour voir si j'obtiens le même résultat dans mon vignoble. »