« J'ai décidé d'arrêter de complanter ! Il y a trop de nouveaux manquants, cela devient une course de vitesse contre les maladies du bois », affirme un vigneron du Val de Loire découragé par la forte mortalité constatée cet automne sur ses sauvignons.
« Tant que les maladies du bois progressent lentement, la complantation est gérable, estime Michel Badier, conseiller à la chambre d'agriculture du Loir-et- Cher. Mais aujourd'hui, la plupart des cépages sont touchés et le taux de mortalité peut dépasser 5 % par an. C'est une impasse technique majeure qui menace la rentabilité des exploitations. » À ce niveau de mortalité, le coût de la complantation est lourd. En comptant l'arrachage du cep mort, la préparation du trou, le plant et sa protection, la fertilisation et l'entretien sur trois ans, Michel Badier arrivait à un total de 9 à 10 euros par plant en 2008, main-d'œuvre comprise. En 2012, Frédéric Prigent, de la chambre d'agriculture de l'Aude, évalue ce coût entre 10 et 11 euros par plant.
Si on prend comme exemple une exploitation de 40 ha plantée à 5 000 pieds/ha avec 3 % de mortalité par an, il y a 6 000 pieds à remplacer tous les ans. En retenant 10 euros par plant, le coût de la complantation atteint 60 000 euros. En comparaison, cette même somme permettrait de renouveler complètement 2,4 ha, avec un coût de plantation de 25 000 €/ha. Sans compter que, dans bien des cas, on peut bénéficier de l'aide à la restructuration du vignoble.
Priorité aux vignes jeunes
« Complanter les vignes jeunes en remplaçant les manquants au fur et à mesure peut valoir la peine. Mais il faut le faire rapidement. Sinon, les ceps se développent et gênent la reprise des complants », indique Frédéric Prigent.
Quand les parcelles ont quinze à dix-huit ans d'âge, il faut commencer à s'interroger sur l'intérêt de la complantation. En effet, « la durée de vie de la parcelle doit permettre d'amortir l'investissement, en tenant compte du fait que les nouveaux plants n'entreront en production qu'au bout de quatre à cinq ans », relève Michel Badier.
Quand les parcelles ont vingt ou vingt-cinq ans et présentent près de 20 % de manquants, seuil à partir duquel le rendement est abaissé dans les AOC, Michel Badier conseille plutôt d'arracher et de replanter pour restaurer le potentiel. Le coût de la complantation serait difficile à amortir et la concurrence des ceps déjà bien installés pénaliserait la reprise. « Le vigneron doit d'autant moins hésiter à replanter qu'il dispose de foncier en réserve. Il peut alors planter par anticipation, ce qui évite les pertes de récolte », rappelle-t-il. Bien souvent, faute de main-d'œuvre suffisante, il n'est pas possible de remplacer tous les manquants chaque année. Il est alors préférable de se concentrer sur les parcelles les plus jeunes et sur celles qui sont le mieux valorisées. « La première cause d'échec des complantations vient du manque de suivi. C'est un investissement à accompagner durant trois ans. Les années sèches, il faut se rendre disponible pour arroser au printemps et en été. C'est plus facile à réaliser lorsqu'il n'y a pas trop de parcelles à parcourir en cherchant les jeunes plants », explique Frédéric Prigent.
Fractionner le chantier
À la chambre d'agriculture du Vaucluse, Olivier Jacquet recommande lui aussi de fractionner le chantier en complantant chaque année le tiers de la surface, par exemple. Cela permet de concentrer le travail sur un petit nombre de parcelles et de gagner du temps de déplacement. « Les exploitations se sont agrandies. Elles ont plus de permanents. Mais ramenée à l'hectare, la main-d'œuvre disponible a diminué », souligne-t-il. Dans des parcelles avec plus de 20 % de manquants, certains vignerons ont dû réduire le rendement déclaré après un contrôle de leur ODG. Cette année, avec le gel, il y aura encore plus de manquants à remplacer. « C'est peut-être le moment de replanter ces parcelles, selon leur état sanitaire et leur potentiel de rendement », ajoute-t-il.
Au moins 11/20 pour complanter
<b>Grille de notation conçue par la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher pour décider s'il vaut mieux arracher ou complanter une parcelle.</b>
Le principe
On attribue une première note sur dix à la parcelle selon son âge et une seconde note sur dix selon le taux de mortalité. Si la somme des deux notes est inférieure ou égale à dix, mieux vaut l'arracher. Si elle est supérieure à 11, il est intéressant de complanter.
Cas pratique : Les Mourottes
Cette parcelle âgée de 12 ans avec 7 % de manquants obtient 13/20.
Elle peut être complantée.
Le Point de vue de
Frédéric Maillet, vignobles Mousset-Barrot, à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse)
« Un rythme plus soutenu en Châteauneuf-du-Pape qu'en Côtes-du-Rhône »
« Sur nos 50 ha en appellation Châteauneuf-du-Pape, nous remplaçons chaque année tous les manquants. Cela a un coût, mais c'est nécessaire pour conserver les vieilles vignes caractéristiques de l'appellation. Heureusement, les cépages les plus touchés par la mortalité – le mourvèdre, le cinsault et le bourboulenc – ne représentent qu'une petite partie de la surface. Nous travaillons différemment sur nos 120 ha en AOC Côtes-du-Rhône générique et en IGP. Là, nous ne remplaçons les manquants que sur 40 ou 50 % de la surface chaque année, car la valorisation des vins n'est pas la même. À 10 euros par plant, s'il faut en remplacer 100 sur un hectare, cela représente 1 000 euros, soit le coût de la taille ! Avoir des vignes sans jeunes plants pendant un an ou deux permet aussi de réintroduire des désherbants comme Katana et d'allonger la rotation des matières actives. En tout, cela fait quand même 8 000 à 12 000 plants à remplacer chaque année. Nous faisons appel à un prestataire équipé d'une pelle mécanique montée sur un enjambeur. Le travail est rapide. Avec un bon volume de terre meuble, les plants s'installent bien et le taux de reprise dépasse le plus souvent 90 %. Dans ces conditions, l'investissement en vaut la peine, sauf si l'arrachage de la parcelle est prévu dans les dix ans à venir. Dans ce cas, nous arrêtons de complanter. »
Le Point de vue de
Pascal Delaunay, château de Putille, à La Pommeraye (Maine-et-Loire)
« Après cinq ans, je ne complante plus »
« J'ai effectué quelques essais de complantation, puis j'ai abandonné. Cette opération coûte cher et nécessite du temps pour un résultat qui n'est pas satisfaisant. Dans nos coteaux séchants, le taux de reprise n'atteint pas 50 %. Avec la machine à vendanger, il y a aussi de la casse sur les jeunes plants. Je préfère consacrer du temps à bien nettoyer les souches en ôtant tout le bois mort après la taille, ce qui contribue à limiter le développement de l'esca. Je complante les jeunes vignes jusqu'à cinq ans, mais pas au-delà. S'il y a des manquants, je ne les remplace pas. Le plus souvent, il s'agit seulement de quelques ceps isolés. J'ai une vieille vigne avec 15 % de manquants. J'ai prévu de l'arracher dès que j'en aurai la possibilité. Chaque année, je replante quelques parcelles qui arrivent à trente ou trente-cinq ans ou dont le cépage n'est plus adapté. Ce travail est plus facile à caler dans le calendrier que la complantation, qui nécessite de la disponibilité l'été parce qu'il faut arroser les jeunes plants. Le retour sur investissement d'une plantation est meilleur que celui d'un matériel. Avec des vignes jeunes, je maintiens le potentiel de rendement, c'est essentiel. »