MOURVÈDRE BLANC. Cette mutation du mourvèdre noir a été repérée en 2000 dans une vieille parcelle près d'Avignon (Vaucluse).
MERLOT GRIS. La couleur rosée de ses baies le distingue du merlot noir, dont il est issu. Il est apparu dans le Libournais à une date inconnue.
Comme toutes les espèces vivantes, la vigne subit des mutations spontanées. Le pinot noir en est l'une des meilleures preuves. « Ce cépage très ancien a donné le pinot blanc, le pinot gris et le meunier par mutation. Il n'est pas plus ou moins sujet à des mutations que les autres cépages. Simplement, comme il est plus vieux, il a pu en accumuler un plus grand nombre que des cépages plus récents », expliquent José Vouillamoz, chercheur à l'université Neuchâtel, en Suisse, et Jean-Michel Boursiquot, enseignant chercheur à Montpellier SupAgro.
Les mutations peuvent toucher tous les organes et l'ensemble des caractères de la vigne. Mais les plus remarquables sont celles qui concernent la couleur des baies et le caractère duveteux du feuillage. Il s'en produit encore de nos jours, comme le montrent les apparitions récentes d'un mourvèdre blanc dans le Vaucluse, d'un melon rouge dans le Muscadet et d'un merlot meunier dans le Bordelais.
MOURVÈDRE : Un blanc prêt à être testé
C'est dans une vieille parcelle de mourvèdre noir du côté d'Avignon, dans le Vaucluse, qu'une souche de mourvèdre blanc a été repérée dans les années 2000. Elle a donné naissance à cinq souches qui ont été introduites dans les collections de l'Inra au domaine de Vassal, à Montpellier (Hérault). « En 2007, des tests sanitaires ont montré la présence de viroses du court-noué et de l'enroulement type 2 dans ce matériel végétal. En 2009, nous avons eu recours au microgreffage d'apex pour l'assainir », indique Christophe Sereno, coordinateur de la sélection clonale et variétale à l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) au domaine de l'Espiguette, dans le Gard.
Un an après, en 2010, l'IFV a planté dix souches du nouveau clone sain obtenu après ce traitement. Dans l'avenir, le mourvèdre blanc, qui se distingue du mourvèdre noir uniquement par sa couleur, va être greffé et planté sur la parcelle du Conservatoire du mourvèdre noir, dans le Var, en attendant d'éventuelles expérimentations.
MERLOT : Un gris ancien, un meunier nouveau
Le merlot gris provient du merlot noir dont il se distingue par la couleur rosée et non noire des baies. Il est apparu à une date indéterminée, probablement dans le vignoble du Libournais. « Il est uniquement conservé en collection. Il n'a jamais été valorisé ni pris en considération. Pourtant, il pourrait être intéressant pour des vins blancs », résume Louis Bordenave, assistant ingénieur de l'unité génétique vigne de l'Inra de Bordeaux (Gironde).
Tout récemment, un merlot meunier est apparu. En 2008, Jean Cordeau, ancien conseiller à la chambre d'agriculture de Gironde, le repère dans une parcelle de Pomerol (Gironde). En 2009, il prélève un bois pour le greffer et l'introduire dans la collection ampélographique de l'Inra de Bordeaux. Ce plant « présente une pilosité plus importante que le merlot noir sur les apex, les jeunes feuilles et les jeunes rameaux », précise Louis Bordenave. « Le merlot gris et le merlot meunier semblent intéressants, mais il est difficile d'intégrer de nouveaux cépages dans une appellation », ajoute-t-il.
GROLLEAU : Trois gris officiellement admis
Le grolleau gris est une mutation du grolleau noir, un cépage du Val de Loire. Trois clones sont inscrits au catalogue des variétés de la vigne du CTPS (Comité technique de la sélection des plantes cultivées), le premier en 2008, les deux autres en 2009.
Ce mutant a été introduit en 1990 dans la collection de l'Inra d'Angers (Maine-et-Loire). Il ne diffère du grolleau noir que pour la couleur de ses baies, qui est grise. « Il présente un intérêt pour les vins effervescents, spécifie Gérard Barbeau, responsable de l'unité vigne et vin de l'Inra d'Angers. Son potentiel d'alcool se situe entre 11 et 13 % vol. Il semble intéressant pour la profession. D'ailleurs, des caves souhaitent en planter. »
Des trois clones agréés, le 1118 a donné les vins les mieux notés lors des essais ayant conduit à leur agrément. « Ce clone se caractérise par une production modérée et donne des vins appréciés pour leur rondeur et leur longueur en bouche », relève Gérard Barbeau. Les clones 1135 et 1136 donnent des vins aromatiques, mais un peu plus acides que le 1118.
MELON : Un rouge prometteur
En 1995, Pierre Viaud, viticulteur au Landreau (Loire-Atlantique), dans le vignoble nantais, découvre dans une de ses parcelles de melon blanc un cep portant des grappes rouges et des grappes blanches. C'est le seul caractère qui le distingue de tous les autres ceps qui portent uniquement des raisins blancs.
« Cette mutation s'est exprimée les années suivantes sur la même souche, a remarqué Alain Poulard, responsable de l'unité de l'IFV de Nantes. En 2001, nous avons décidé de greffer les bois qui portaient les baies rouges et de planter deux rangs. Puis le matériel végétal a été introduit au domaine de Vassal, à Montpellier. »
Comme la profession s'intéresse à ce mutant, une procédure d'inscription au catalogue officiel du CTPS est engagée. En 2011, deux parcelles de 25 ares chacune sont plantées à Landreau et à Corcoué-sur-Logne pour réaliser les tests VATE (valeur agronomique, technologique et environnementale) en vue de l'inscription au catalogue. Ils subiront des observations phénologiques, des contrôles de maturité et des vinifications expérimentales.
Le dépôt du dossier d'inscription au CTPS est prévu pour 2015-2016. « Les productions de vins rosés et de vins effervescents sont les deux pistes actuellement suivies pour valoriser le melon rouge », souligne-t-il.
Un pinot mutant très bien valorisé
Le domaine Henri Gouges, à Nuits-Saint-Georges, en Côte-d'Or, possède une parcelle où pousse un mutant du pinot noir. Rien ne le distingue de son cépage d'origine, sauf que ses grappes sont blanches. « En 1936, juste avant les vendanges, mon arrière-grand-père a découvert un cep de pinot noir avec un sarment portant des raisins blanc dans une vigne qui avait 40 à 50 ans. Il en a fait quelques greffes, puis les a multipliées », raconte Grégory Gouges, son successeur. Ces plants ont été répertoriés sous le nom de pinot Gouges. « C'est bien du pinot et c'est bien une mutation de couleur, affirme José Vouillamoz, le chercheur suisse qui l'a analysé. Pour moi, le pinot noir, le pinot blanc, le pinot gris et le pinot meunier sont un seul et même cépage : le pinot qui a muté. C'est la réalité génétique et ampélographique. » Dans les années 1955 à 1960, le domaine a planté le pinot Gouges dans une parcelle classée en Nuits-Saint-Georges premier cru. Le domaine produit en moyenne 1 800 bouteilles de ce vin atypique, « floral, avec des notes d'agrumes, de pêche et de poire », vendu 65 à 70 euros chez les cavistes.