TRI à la réception des Vignobles Bardet à Saint-Émilion (Gironde). Au premier plan se trouve une caisse de gros.
NETTOYAGE DE LA VENDANGE. Le Tribaie élimine rafles, feuilles, baies vertes et autres déchets par densimétrie.
CALIBRAGE. Les baies arrivent ensuite sur la calibreuse, qui sépare les grosses des petites, ces dernières tombant entre les rouleaux.
Philippe Bardet est un vigneron ingénieux. Son chai, situé au sud de Saint-Émilion (Gironde), est truffé de systèmes astucieux. Sa dernière idée ? Réaliser une machine qui permet de séparer la vendange en deux lots : les petites baies d'un côté, les grosses de l'autre. « À la dégustation, les deux types de baie sont bien différents, estime-t-il. Elles doivent sûrement donner des vins différents. »
Entre 2008 et 2010, les Vignobles Bardet ont donc mis au point le Calibaie avec la société Amos industrie, un appareil qu'ils sont les seuls à posséder.
Du rosé à base des grosses baies
Au départ, l'idée de Philippe Bardet était que seules les cuves de grosses baies, moins concentrées que les petites, avaient besoin d'être saignées pour donner des vins équilibrés. « Si l'on mélange petits et gros grains, les petits libèrent leur jus en premier, et c'est dommage de les saigner. » Le vigneron a mis en pratique son idée dès 2010 avec l'aide d'un stagiaire. « Le résultat a été impressionnant : les vins de petites et de grosses baies n'avaient pas du tout le même goût, ni la même structure tannique. »
Les seconds étant moins concentrés et moins riches, Philippe Bardet décide d'élaborer son premier bordeaux rosé en 2011, seulement avec des grosses baies vendangées sur le secteur de Castillon. Les petites étant réservées au côte-de-castillon rouge. « D'entrée, le rosé a obtenu une médaille d'or au concours des vins d'Aquitaine ! » lance fièrement le vigneron pour preuve que son système est prometteur. Aujourd'hui, son rosé est issu d'un pressurage direct des grosses baies récoltées en Côte de Castillon. Mais Philippe Bardet est allé plus loin. Il a vinifié séparément ses petites et grosses baies récoltées en Saint-Émilion grand cru. Désormais, les premières donnent le premier vin, les secondes le second vin.
L'outil qui lui permet ce tri original n'est pas très impressionnant : une sorte de table formée de plusieurs étages de rouleaux en acier inox qui tournent tous dans le même sens et sur lesquels courent les raisins. « Il s'agit d'une calibreuse à prunes que nous avons adaptée aux baies de raisins. »
Malgré sa simplicité apparente, le Calibaie donne un résultat parlant. Les grosses baies sont projetées dans un bac en plastique au bout de l'enfilade de rouleaux. Ce sont des billes bien brillantes, dont le diamètre paraît plutôt uniforme.
Les petites baies glissent à travers les rouleaux pour atterrir dans une trémie remplie de moût frais. « Parce que c'est bien plus efficace de refroidir de la vendange lorsque les baies sont en contact avec du jus frais. Et c'est moins traumatisant de les pomper dans du jus », précise Philippe Bardet. En effet, ces raisins arrivent intacts dans la cuve. Le vigneron règle lui-même le diamètre de séparation entre les petites et les grosses baies. Ce diamètre varie de 8 à 16 mm selon le millésime, la parcelle ou encore le cépage. Cette année, il est réglé à 12 ou 14 mm.
Un premier tri en amont
« Ce calibrage n'est possible que sur des baies parfaitement propres », prévient le Girondin. Ce qui explique la présence d'un système beaucoup plus imposant en amont du Calibaie : le Tribaie. Cet outil élimine rafles, feuilles, baies vertes et autres déchets en fonction de leur densité. Notre vigneron a aussi participé à sa mise au point, dès la fin des années quatre-vingt-dix, avec la société Triviti, rachetée par Amos. La vendange est réceptionnée dans le Tribaie, où elle plonge dans du moût. « Les déchets flottent à la surface. Ils sont éliminés par débordement. »
Les baies nettoyées sont ensuite acheminées vers le Calibaie. Deux personnes enlèvent les derniers petits morceaux de rafles, pépins ou baies vertes juste avant le passage sur les rouleaux. En moyenne, l'ensemble du système permet de traiter 6 tonnes de vendange à l'heure. Il peut monter à 10 t/h en régime de pointe. « Deux personnes suffisent pour gérer le tri. Au final, ce système me revient moins cher que d'utiliser un érafloir, un fouloir et une table de tri », ajoute Philippe Bardet.
Une étude scientifique en cours
Jusqu'ici, il est convaincu de l'intérêt de l'association Tribaie et Calibaie, notamment grâce au succès de ses rosés. Il est particulièrement satisfait du résultat sur ses cabernets francs.
Afin d'appuyer son raisonnement, Philippe Bardet collabore avec l'Institut de la vigne et du vin de Bordeaux (Gironde). Les chercheurs étudient l'influence de la taille des baies sur la concentration en arômes, le nombre de pépins et la teneur en tanins. Ils essaient aussi de déterminer la part de petites et de grosses baies sur chacune des parcelles du domaine. « Ce travail a montré pour l'instant que les plus petites baies ont en moyenne moins de pépins que les grosses et que ceux-ci mûrissent plus vite », conclut le vigneron.