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VENDRE - C'est tendance

Les élevages extrêmes attirent la sympathie du public

Chantal Sarrazin - La vigne - n°248 - décembre 2012 - page 58

Des vignerons testent l'élevage sous terre, sous la mer ou en altitude. Leurs vins n'en sortent pas transcendés, mais ils vivent une belle aventure qui suscite l'intérêt des médias et des clients

Ils sont curieux de savoir comment leurs vins vont évoluer hors de leurs chais. C'est le point commun entre les vignerons qui s'amusent à immerger leurs bouteilles dans l'eau. « Nous avons des amis ostréiculteurs. Nous dégustons leurs coquillages avec nos vins, racontent Thibault Cazalet et Laurent Maynadier, vignerons dans le Languedoc. D'où l'idée de plonger nos bouteilles dans la Méditerranée pour étudier leur évolution dans ce milieu à température stable, avec une faible luminosité et constamment brassé. »

Le même esprit de découverte a incité Jean-Marc Lafitte à accepter la proposition du propriétaire de la grotte de Bétharram, dans les Hautes-Pyrénées, de venir y élever ses madirans à 800 mètres sous terre. « Ce fut une vraie expédition », résume le vigneron. À l'arrivée, la plupart de ces aventuriers constatent que leurs vins sont plus affinés que les mêmes restés en cave, mais rarement meilleurs. Il est donc difficile de rentabiliser un élevage sous la mer, sous la terre ou en haute altitude. En revanche, le côté spectaculaire de ces opérations séduit les médias. « Cela conforte une image, surtout quand elle est déjà établie, et fait parler de nous, mais ça ne fait pas vendre ! » nuance Jean-Marc Laffite. Avis aux amateurs !

Laffitte-Teston Sous terre

6 000 bouteilles

PVC : 12 euros

Un vecteur de notoriété

En février 2011, Jean-Marc Laffitte achemine vingt barriques de madiran dans la grotte de Bétharram, à 800 mètres sous terre, au pied des Pyrénées. Elles vont y séjourner treize mois à 13°C et à 100 % d'hygrométrie. Durant tout l'élevage, il n'a pas à les ouiller car l'humidité empêche toute évaporation. À leur sortie, les barriques ne présentent aucune moisissure. Quant aux vins, « ils sont plus faciles à boire que la cuvée élevée au chai, plus puissante et plus complexe ». Conviée par Jean-Marc Laffitte à assister à l'entrée et à la sortie des barriques, la presse a bien couvert l'opération. France 3, par exemple, a filmé la descente des fûts. Coût de l'opération : entre 3 000 et 4 000 euros. Les vins sont vendus à la grotte et au caveau un à deux euros de plus que le madiran haut de gamme du domaine. Une opération qui a conforté sa notoriété.

Laurens En altitude

2 000 bouteilles

PVC : 11,50 euros

Le haut de gamme

Tous les ans, en juillet, Michel Laurens prend la route du Cantal pour passer un agréable weekend avec des amis et ses salariés à 1 300 mètres d'altitude. Il en profite pour emmener 2 000 bouteilles de ses marcillacs qu'il laisse là, dans un buron, l'habitat en pierre traditionnel des bergers. L'année suivante, il les ramène et en apporte de nouvelles. Quatre heures de trajet aller et retour.

Les vins proviennent de sa cuvée de Flars, issue de fer servadou et de cabernet sauvignon. Ces 2 000 bouteilles sont les plus chères du domaine. Elles portent le nom d'Écir, terme qui signifie vent du nord dans le Cantal. Michel Laurens n'a jamais médiatisé sa transhumance. « Les quantités sont confidentielles, indique-t-il. Nous les réservons à la restauration étoilée de la région et à la vente au caveau. »

Des cuves closes sous la mer Une vinification inédite dans l'Atlantique

Domaine Egiategia : 2 ha

36 hl de vin de France blanc

PVC : 8,50 euros le col

En 2008, Emmanuel Poirmeur immerge ses premières cuves dans la baie de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), à 15 mètres de profondeur. Objectif : vinifier et élever des effervescents. Les cuves contiennent des vins de base, assemblage d'ugni blanc et de colombard, récoltés à 10,5°, additionnés de levures et de liqueur de fermentation. Ils vont rester six mois sous l'eau entre 10 et 13°C pour réaliser leur prise de mousse, tout en subissant des phénomènes de pression et de dépression toutes les six heures, sous l'effet des marées. Début novembre 2012, Emmanuel Poirmeur a immergé six nouvelles cuves de 330 litres en polyéthylène haute densité, un matériau plus léger que le béton utilisé à son premier essai et perméable au gaz. Il assemble ces vins à hauteur de 10 % avec ceux élaborés sur terre. Ils donnent lieu à un blanc perlant vendu chez les cavistes. « Je ne communique pas sur mes expériences. Je les mène pour étudier le comportement des levures », affirme le vigneron.

Mais la presse locale en a eu vent par le bouche-à-oreille et en a parlé. Emmanuel Poirmeur estime entre 2 000 et 4 000 euros le coût annuel de ces expéditions.

Larrivet Haut-Brion Un barricot sous l'eau

Bruno Lemoine (à gauche), le directeur du château Larrivet Haut-Brion, avec Joël Dupuch, ostréiculteur, et Émilie Gervoson, la fille des propriétaires du château. © L. PILLOT

Bruno Lemoine (à gauche), le directeur du château Larrivet Haut-Brion, avec Joël Dupuch, ostréiculteur, et Émilie Gervoson, la fille des propriétaires du château. © L. PILLOT

56 litres

Vin non commercialisé

Un franc succès médiatique

En juin 2011, Bruno Lemoine, le directeur du château Larrivet Haut-Brion, amarre un barrico – un fût de 56 l – de pessac-léognan rouge 2009 dans un parc à huîtres de la baie d'Arcachon. « Nous avons conservé ce même vin dans nos chais dans un contenant similaire », explique-t-il. Ayant séjourné dans la zone de battement des marées, le vin a passé neuf dixièmes du temps sous l'eau. Six mois plus tard, Bruno Lemoine l'a fait analyser pour quantifier l'effet de cet élevage hors norme. Résultat : un demi-degré d'alcool en moins que le vin resté à terre et 80 mg/l de sodium, soit autant que dans l'eau de Badoit. Le vin s'est enrichi en sel car de l'eau de mer a pénétré dans la barrique.

L'opération a connu un franc succès auprès des médias. Des journalistes français, mais aussi canadiens et australiens ont interviewé le responsable, ravi. Quant au vin, pour l'instant, il se repose en bouteille.

Méditerranée Deux vignerons plongent

240 bouteilles

Vins non commercialisés

L'occasion de réunir des amis

Le 23 avril dernier, Thibault Cazalet, du domaine de l'abbaye Sainte-Eugénie, et Laurent Maynadier, du château Champ des sœurs, expédient 240 bouteilles dans un parc à huîtres, par 20 mètres de fond, à 2 km au large de la plage des Chalets, à Gruissan (Aude). L'ostréiculteur, propriétaire du parc à huîtres, et d'autres amis leur prêtent main-forte. Le 15 octobre, ils repêchent leurs bouteilles. À nouveau, des amis sont là pour les aider. Vignerons et bénévoles ne comptent pas leur temps pour débarrasser les bouteilles des algues et des coquillages qui s'y sont fixés ! Nomacorc, dont les bouchons ferment les flacons, a prévenu les médias qui couvrent l'événement. Après coup, des cavistes contactent les deux propriétés pour avoir des informations sur les vins. Mais ils ne sont pas commercialisés. « Nous serions obligés de les vendre à un prix exorbitant compte tenu du temps passé », disent les deux vignerons. De plus, quelques bouteilles ont pris l'eau. Désormais, Laurent Maynadier veut se lancer dans un autre élevage insolite : en jarres.

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