« Heureux le propriétaire qui a pu faire le choix d'un bon cultivateur, et qui peut se reposer sur sa vigilance. » Si elle date du XVIIIe siècle, cette déclinaison inédite des Béatitudes de l'abbé Tainturier est toujours pertinente, comme bon nombre de ses observations.
Très peu d'informations ont pourtant filtré sur la vie de cet homme. Le futur abbé François Tainturier naît à Beaune (Côte-d'Or) le 13 octobre 1716. Tout au plus sait-on que son père est recteur d'école de la paroisse Saint-Martin. Il est vraisemblable qu'il y a grandi. Nul ne connaît son parcours. Seule certitude : il acquiert une connaissance extrêmement pointue de la culture de la vigne et de la manière de faire les vins.
« Pourquoi tant de peine ? »
Il rend compte de son expérience et donne des conseils très précis dans son ouvrage, vraisemblablement dicté, paru en 1763, l'année de sa mort : «Remarques sur la culture des vignes de Beaune et lieux circonvoisins ». L'ouvrage se présente en deux parties. Un véritable traité de viticulture et d'œnologie en quinze chapitres fait d'abord un point sur les connaissances et les techniques viticoles de la Bourgogne de l'époque. Il y reconnaît la dureté du travail de vigneron. « Les trois façons ou trois coups de bêches qu'on donne à la vigne » constituent « l'opération la plus pénible et la plus fatigante du vigneron. Pourquoi faut-il que le plus délicieux breuvage que Dieu a donné à l'homme coûte tant de peine ? » interroge-t-il.
Sans surprise, à ses yeux « la maturité est le point essentiel dont dépend l'excellence du vin. Le pédicule du raisin prend la couleur tannée du sarment, le pépin du grain (…) est cassant et sec », le fruit enfin a « bon goût ». Il avertit toutefois qu'il « ne faut pas attendre que tous les raisins aient le même degré de maturité (…), il nous faut du cuir, du rôti, du vert, ce dernier même est nécessaire (...).Une maturité complète rend nos vins lourds, pesants, graisseux, filants comme de l'huile (…) ». Il conseille encore de trier les raisins et suggère d'égrapper : « Prendre la peine d'égrener avant de mettre dans la cuve serait peut-être une bonne méthode afin d'éviter que le vin contracte le goût de la grappe. »
Il décrit enfin « deux méthodes pour façonner le vin ». L'une consiste en un foulage minutieux suivi d'un pressurage avant entonnage et fermentation. Elle donne des vins clairs. L'autre méthode commence par une fermentation en cuve. Puis, lorsqu'elle bouillonne, on tire la cuve, on presse le marc et l'on entonne le moût en fût où il achève sa fermentation. « Cette méthode des deux fermentations est la plus ancienne et la plus suivie, note-t-il. Ses partisans soutiennent que ce n'est qu'[ainsi] (…) que le vin acquière cette fermeté qui le fait conserver quelques années ; aussi ils accordent aux autres que le vin sera plus délicat et plus flatteur, mais qu'il en sera comme d'une fleur dont le brillant est passé du matin au soir. » La seconde partie de l'ouvrage est une réponse point par point au « Traité sur la nature et la culture de la vigne, sur le vin et la manière de le bien gouverner » de l'agronome Nicolas Bidet, paru en 1759. L'abbé lui reproche son parti pris envers sa région, la Champagne. L'agronome affirme en effet que ses vins sont « supérieurs à tous égards [aux autres] ».
Tripotage en Champagne
L'abbé Tainturier ne peut pas laisser passer une telle affirmation. Il défend ardemment la Bourgogne. « Le public, c'est-à-dire tout le royaume et presque toute l'Europe, s'intéresse à nos vignes, assure-t-il. L'excellence et la supériorité des vins de Beaune et de Nuits, connus partout, invitent continuellement l'étranger à s'informer de la méthode de culture de nos vignes et de la façon dont nous faisons le vin. » Sans doute emporté par son élan, l'abbé relève : « Les Champenois tirent avantage de la verdeur de leur vendange. Ils font des vins mousseux, nous leur laissons encore sans jalousie ce tripotage. » Et toc ! Mais l'abbé a sans doute pêché là par vanité. Il s'est aussi trompé. Car, on le sait aujourd'hui, l'avenir en a jugé autrement. Ce « tripotage » est devenu célèbre sous le nom de prise de mousse ou de méthode champenoise. Et depuis plusieurs années, les Bourguignons se sont mis à produire du crémant.
L'abbé Tainturier meurt à Beaune le 28 août 1763. Ses écrits seront repris par quelques scientifiques, dont le bienfaiteur de la ville, Alfred de Vergnette de Lamotte. Mais lui a sombré dans l'oubli le plus total.