À l'export comme en France, le Beaujolais est confronté au dilemme beaujolais nouveau. Pendant des décennies, ce vin a été la tête de pont des ventes de la région. Inter-Beaujolais lui a consacré la majorité de ses investissements promotionnels. Jusqu'à ce que l'effet primeur s'estompe dans de nombreux pays phares : en Allemagne, où les ventes ont été divisées par dix en dix ans, et en Angleterre, où elles ont cessé en quelques millésimes… Aujourd'hui, sur les 4 millions d'euros investis en promotion, le primeur ne représente plus que 600 000 euros.
L'héritage fait néanmoins toujours partie du quotidien. Au Japon, premier débouché du Beaujolais, la quasi-totalité des ventes est réalisée avec le primeur. Aux États-Unis, il représente encore une petite moitié des ventes, mais il est en recul ces dernières années. L'interprofession doit donc s'adapter à chaque pays. « Au Royaume-Uni, nous ne mettons plus un euro sur le primeur, explique le délégué général de l'interprofession, Jean Bourjade. Au Japon, nous effectuons une campagne auprès des médias. Nous nous servons du primeur pour développer nos ventes de crus, notamment lors de la fête des cerisiers en fleurs, au printemps. »
« Se focaliser sur les crus »
Si l'export représente 40 % des ventes de beaujolais, Inter-Beaujolais y investit 50 % de son budget promotion. « C'est là que réside notre potentiel de développement, confirme Jean Bourjade. Nos budgets principaux sont ceux de nos trois premiers marchés : Japon, États-Unis et Grande Bretagne. »
Les États-Unis sont le paradis des beaujolais villages : avec 29 000 hl vendus en 2011, ils sont « l'AOC rouge la plus demandée par les Américains en grande distribution », affirme Aurélien Fiardet, directeur commercial export de Terroirs originels, une association de vingt-cinq domaines du Beaujolais. Installé à Portland, dans l'Oregon, il vend leurs vins en Amérique du Nord. « Il faut dépasser l'effet beaujolais nouveau qui est en train de s'éteindre, poursuit-il. Il faut se focaliser sur les crus, le marché d'avenir, et sur les génériques. Les beaujolais vendus à moins de 20 dollars sont peu sensibles à la crise. » Au Canada, « un marché mature », selon Aurélien Fiardet, et très friand de brouilly, les ventes ont progressé de plus de 13 % en 2011 par rapport à 2010. « On se focalise sur le Québec et l'Ontario », précise Jean Bourjade.
En Angleterre, les ventes se sont stabilisées (+ 1,6 % en 2011), malgré le désintérêt pour les vins nouveaux. Elles ont atteint un point d'équilibre : génériques, villages et crus y sont importés à part égales.
Et l'avenir ? « Chine, Russie et Brésil, résume Jean Bourjade. Des pays à classe moyenne émergente où l'on commence à s'intéresser au vin. Il faut y prendre pied dans les trois ou quatre prochaines années. En Chine, les beaujolais ont la chance de se marier avec la gastronomie locale. Au Brésil, où les vins sont très tanniques, nous n'avons pas de concurrence locale. »
Autant de marchés difficiles à pénétrer. Dans ces pays lointains, Inter-Beaujolais n'a pas les moyens d'entreprendre des campagnes grand public. « Nos actions sont en direction des prescripteurs : journalistes, blogueurs, sommeliers, cavistes et agents locaux auxquels nous recourrons comme tremplins. Mais, surtout, nous nous déplaçons pour former nous-mêmes ces prescripteurs. Rien ne vaut la présence de gens passionnés qui viennent du Beaujolais, détaille Jean Bourjade. Nous participons aussi à une dizaine de salons par an dans des pays cibles, où nous emmenons nos exploitants et où nous prenons en charge une large part du prix du stand. »
« Le gamay n'a pas d'équivalent »
Pour Aurélien Fiardet, il faudrait aussi créer un crémant du Beaujolais. « Ce serait porteur en Amérique du Nord où le rosé et le chardonnay ont le vent en poupe », indique-t-il.
Son avenir, le Beaujolais le voit dans son cépage, le gamay. « Il n'a pas d'équivalent dans le monde. Seul le gamay en terroir beaujolais produit des vins très aromatiques et fruités dans leur jeunesse et des vins de garde qui vieillissent avec bonheur », souligne le pape du Beaujolais, Georges Dubœuf.
« Dans la plupart des pays, le cépage est la principale raison d'achat, ajoute Jean Bourjade. Il faut développer la culture du gamay dans le monde pour le faire connaître. De plus, nous n'avons pas à avoir peur de la concurrence : le pinot noir est cultivé en dehors de la Bourgogne et, pourtant, la Bourgogne reste la référence pour ce cépage. Il ne faut pas penser français. La création du salon international du gamay à Lyon, en 2010, répond à ce besoin. » Onze pays y sont représentés. Les nouveaux ambassadeurs du Beaujolais ?
Le Point de vue de
Arnaud Aucœur, vigneron à Villié-Morgon (Rhône) sur 15 ha. Toute la production vendue en bouteilles, dont 40 % à l'export.
« Un déplacement positif »
« Il y a six mois, ma femme et moi sommes partis au Vinexpo Asia-Pacific de Hong Kong avec Inter-Beaujolais. Nous avons pu faire déguster nos vins à des importateurs, des journalistes, des sommeliers… Bref, à des prescripteurs essentiels pour ces marchés immenses. L'interprofession avait calé des rendez-vous avec eux sur le stand. Une stagiaire chinoise, que nous avons eu la chance d'accueillir sur notre exploitation, nous avait aussi pris des contacts. Les dégustations étaient donc très bien organisées. Mais tout est à faire avec les Chinois, notamment leur éducation au vin. Tout est neuf pour eux, pouvoir les rencontrer est donc essentiel Il faut comprendre leur mentalité et leurs coutumes. Un Chinois répond toujours "oui", souvent par politesse. Cela ne veut pas dire qu'il est toujours d'accord avec vous. Ensuite, la Chine n'est pas l'eldorado : le client chinois reste avant tout intéressé par le prix et c'est difficile de valoriser son produit avec les frais d'importation et les conversions de devises. Au Québec, un marché que nous travaillons beaucoup, tout est différent : les gens sont plus pros. Néanmoins, ce déplacement à Hong Kong reste positif. Depuis, j'ai envoyé plusieurs échantillons pour lesquels je suis raisonnablement optimiste. Et, fin novembre, six mois après le salon, j'ai une première palette de 1 800 cols qui est partie… pour l'Australie ! C'est un importateur australien rencontré au Vinexpo Asia qui l'a commandée. Pour réussir à l'export, il est essentiel de se déplacer pour "raconter" son vin, c'est même tout l'intérêt de ce métier. Il faut donc pouvoir investir : Hong Kong, tout compris, c'est 5 000 euros de frais. Et il faut se remettre en question en permanence. Enfin, il faut que vos clients se sentent concernés. Je n'hésite donc pas à solliciter l'avis de mes importateurs européens lorsque je réalise mes assemblages. »