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Magazine - Etranger

Cesanese del Piglio : Un cépage bien capricieux

Mathilde Hulot - La vigne - n°249 - janvier 2013 - page 70

À Piglio, au centre de l'Italie, des vignerons se reprennent de passion pour le cesanese, un cépage aussi difficile à cultiver qu'à vinifier, mais dont ils parlent pendant des heures.
PIEDS DE CESANESE DANS LE VILLAGE DE SERRONE. Ce cépage était adulé par les nombreux papes nés dans la région.

PIEDS DE CESANESE DANS LE VILLAGE DE SERRONE. Ce cépage était adulé par les nombreux papes nés dans la région.

LE TRAMVINO DE LA STRADA DEL VINO. Ce bus tout neuf rappelant un vieux tram promène les touristes tout au long de l'année. La route du vin, qui serpente au pied des Apennins, réunit vingt-deux caves viticoles et permet de découvrir le patrimoine gastronomique local.

LE TRAMVINO DE LA STRADA DEL VINO. Ce bus tout neuf rappelant un vieux tram promène les touristes tout au long de l'année. La route du vin, qui serpente au pied des Apennins, réunit vingt-deux caves viticoles et permet de découvrir le patrimoine gastronomique local.

GINO TUFI (en haut), président de la coopérative La Cantina soziale, a investi en 2006 dans des locaux démesurés. La cave a dû se convertir en prestataire de service. Derrière lui, on aperçoit le village de Piglio.

GINO TUFI (en haut), président de la coopérative La Cantina soziale, a investi en 2006 dans des locaux démesurés. La cave a dû se convertir en prestataire de service. Derrière lui, on aperçoit le village de Piglio.

ANTONELLO COLLETI CONTI a fait son premier vin en 2003 avec les vignes de son père. Comme la plupart des producteurs de cette DOCG, ce n'est pas son métier principal. Ses vignes se situent sur une terre volcanique vigoureuse, à 230 m d'altitude.

ANTONELLO COLLETI CONTI a fait son premier vin en 2003 avec les vignes de son père. Comme la plupart des producteurs de cette DOCG, ce n'est pas son métier principal. Ses vignes se situent sur une terre volcanique vigoureuse, à 230 m d'altitude.

GIOVANNI TERENZI ET SA CUVERIE. Il fut l'un des premiers à croire dans ce cépage en achetant 10 ha dans les années soixante. Il produit quatre vins à partir du cesanese : deux de base, un supérieur et un de réserve. PHOTOS M. HULOT

GIOVANNI TERENZI ET SA CUVERIE. Il fut l'un des premiers à croire dans ce cépage en achetant 10 ha dans les années soixante. Il produit quatre vins à partir du cesanese : deux de base, un supérieur et un de réserve. PHOTOS M. HULOT

CASALE DELLA IORIA. Dans cette vigne plantée en 2003, Paolo Perinelli a inséré des plants de fèves entre les rangs. Cette légumineuse absorbe l'azote dans l'air et la transmet par les racines, autrement dit, elle fixe l'azote de l'air dans le sol, facteur essentiel de la nutrition.

CASALE DELLA IORIA. Dans cette vigne plantée en 2003, Paolo Perinelli a inséré des plants de fèves entre les rangs. Cette légumineuse absorbe l'azote dans l'air et la transmet par les racines, autrement dit, elle fixe l'azote de l'air dans le sol, facteur essentiel de la nutrition.

Quand vous leur demandez pourquoi on trouve du cesanese uniquement dans ce petit coin d'Italie, les producteurs vous répondent : « Ce cépage est infernal, aussi difficile à cultiver qu'à vinifier. » Inévitablement, on leur rétorque : « Mais alors, pourquoi vous obstinez-vous à en produire s'il est si capricieux ? » Antonello Coletti Conti, planté au cœur de sa vigne parfaitement tenue, lève les mains au ciel : « Parce c'est notre tradition, notre spécificité, notre combat, notre vie, notre âme ! » Voilà qui explique la volonté tenace de cette poignée de vignerons de placer haut ce cépage original.

À cause du caractère capricieux de son cépage, le vignoble de l'appellation Cesanese del Piglio est minuscule. Il couvre 156 ha, à 60 km au sud de Rome, dans le Lazio. Cette région compte environ 25 000 ha, quatre IGP, vingt-sept DOC et une seule DOCG (dénomination d'origine contrôlée et garantie) : Cesanese del Piglio. Née en 2008, elle s'étend sur cinq villages : Piglio, Anagni, Paliano, Serrone et Acuto. Et il existe deux autres DOC reposant sur le même cépage : Cesanese di Affile et Cesanese di Olevano Romano.

Les vins sont classés en trois niveaux : les cesanese, les superiore, qui ne peuvent être commercialisés qu'au mois de juillet suivant la récolte, et les riserva, qui sont censés vieillir six mois de plus en bouteille. Tous contiennent au moins 90 % de cesanese, les autres cépages autorisés étant le sangiovese, le montepulciano, le barbera, le trebbiano et le bambino bianco.

Sans doute apporté par des moines bénédictins

D'où vient le cesanese ? L'histoire de cette variété est, comme pour beaucoup d'autres, assez floue. « Elle aurait été apportée de Sicile par les moines bénédictins de Zubiaco, un village à 600 m d'altitude », précise Pierluca Proietti, passionné d'ampélographie et président de la Strada del Vino, la route des vins de la DOCG créée récemment. Puis il serait descendu du monastère jusque dans les terres volcaniques de la plaine, où il a eu un certain succès. Pendant longtemps, il a produit des vins puissants, effervescents et sucrés. Il est vinifié en sec aujourd'hui, mais garde les traces évidentes de l'ancien style.

En avril dernier, les producteurs ont organisé une dégustation pour les journalistes étrangers. Ils avaient réuni 35 échantillons, tirés des fûts ou déjà en bouteilles. Une bonne occasion de se faire une idée sur ce cépage caractériel. Nombre de ces vins, en particulier les superiore, présentent des sucres résiduels et une acidité volatile élevée après des fermentations inachevées. Ils produisent aussi des larmes puissantes sur le bord des verres. « L'alcool, c'est notre marque de fabrique », lance un producteur. En effet, ces vins, à la robe rouge foncée et aux tannins costauds, dépassent facilement 15°.

« C'est un cépage compliqué à cultiver, sa maturité phénolique est très difficile à atteindre et il monte en sucre à toute vitesse. Ses tannins sont durs, rien à voir avec le merlot ! » sourit Antonello Coletti Conti, qui va en planter 4 ha de plus sur son domaine qui en compte déjà 20.

À surveiller de très près durant la maturation

Paolo Perinelli, un autre vigneron dont les vignes sont magnifiquement tenues, entretient une relation forte avec le cépage. « Je ne le lâche pas d'une semelle. À l'approche de la récolte, il faut le surveiller tout le temps car il prend deux degrés en une journée. » Sans doute exagère-t-il un peu. Mais le fait est là : il faut être très attentif à la maturation.

Grâce à son réfractomètre, à la dégustation des grains et à des analyses physico-chimiques, il met toutes les chances de son côté pour ramasser, en cagette, ses raisins à bonne maturité.

En cave, la partie n'est pas simple non plus. Cet ex-ingénieur civil, qui possède 38 ha de vignes (à 80 % du cesanese), a fait fabriquer une cuve sur mesure avec un pigeur pour extraire les polyphénols sans triturer les raisins, horriblement fragiles. « La couleur tombe au contact de l'air, il faut être vigilant », indique-t-il.

Il travaille avec un laboratoire français pour sélectionner des levures autochtones. Le premier essai, mené en 2011, a abouti à une fermentation « complète et stable ». Pour lui, le cesanese « doit être un vin fruité, frais, à la structure importante et pas trop alcoolique ». Vu l'échantillon présenté aux journalistes, on se dit qu'il y a encore du travail pour y arriver.

Mais l'objectif est à portée de vue. Alors qu'ils ne coûtent pas plus de 15 euros TTC au caveau, les vins sont d'une rare élégance quand ils sont bien vinifiés, surtout quand les raisins sont cultivés à 600 m d'altitude.

Une renaissance due à un Toscan

« Longtemps, le cesanese a été un réservoir de vins rouges consommés dans l'année », raconte un sommelier. En 1960, les viticulteurs se sont rassemblés en coopérative. En 1973, suffisamment nombreux et convaincants, ils obtiennent la DOC et s'appuient sur un plan national favorisant la plantation de vignes pour s'agrandir.

En 1985, ils produisent jusqu'à 36 000 hl de vin. « Puis l'intérêt pour leurs vins a chuté. La Cantina soziale (la coopérative) a de moins en moins bien payé les raisins. Les cultivateurs ou leurs enfants sont allés travailler dans l'industrie. »

Jusqu'au jour où un certain Andrea Franchetti, célèbre patron du domaine Tenuta di Trinoro, en Toscane, se met à planter du cesanese. C'était en 1999. En s'intéressant à ce cépage, ignoré du monde, et en le faisant connaître aux côtés de ses propres vins toscans chers et prisés, Andrea Franchetti a tout simplement motivé les producteurs locaux. Ils sont toujours plus nombreux à s'adonner avec courage à la production de ce vin qui se plaît bien aux portes de Rome. Entre le tourisme local qui se développe grâce à la Strada del Vino et les Romains qui réclament de plus en plus de produits locaux, le Cesanese del Piglio a une belle vie devant lui.

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