Fin octobre, à Mâcon (Saône-et-Loire), 400 à 600 vignerons de Bourgogne et du Beaujolais ont manifesté contre « l'escatombe ». Ils venaient de vivre une saison éprouvante durant laquelle leurs vignes ont subi de très fortes attaques d'esca et, qui plus est, de flavescence dorée. Ils voulaient exprimer leur inquiétude quant à l'avenir de leurs vignes et au coût des maladies du bois. Ils ne sont pas les seuls à se faire du souci. Et pour cause.
Selon l'Observatoire des maladies du bois, le pourcentage moyen de ceps montrant des symptômes foliaires d'esca-BDA n'a cessé de croître depuis 2001, année où l'arsénite de soude a été interdit. L'IFV (Institut français de la vigne et du vin) note qu'en 2012, « les symptômes, notamment d'apoplexie (mort brutale du cep), sont souvent apparus assez tôt en saison. Puis leur nombre n'a cessé d'augmenter jusqu'à fin août, en particulier dans les vignobles de la façade atlantique, du Sud-Ouest et septentrionaux ».
Au total, l'an dernier, sur les cépages les plus sensibles, 10 à 20 % des pieds ont été atteints, voire 50 % sur certaines parcelles. « Les chiffres disponibles révèlent jusqu'au doublement des taux de symptômes sur les parcelles contrôlées par rapport à 2011, qui n'était pas une année de très forte expression », précise l'IFV.
Autre fait marquant : certains cépages qui exprimaient peu les symptômes jusque-là, tels le merlot dans le Bordelais ou le pinot noir et le chardonnay en Bourgogne, ont été touchés.
Dans ce contexte, l'absence de méthode de lutte à l'efficacité prouvée devient de plus en plus pesante.
Un sentiment d'accablement
« En Indre-et-Loire, les vignerons ont un terrible sentiment d'accablement, confirme Guillaume Lapaque, directeur de la Fédération des associations viticoles du département (FAV 37). Nos principaux cépages – cabernet franc, chenin et sauvignon – sont classés parmi les plus sensibles à l'esca-BDA. En 2012, nous avons constaté une mortalité moyenne de 3,5 %. Cet été, les vignerons sont passés dans leurs vignes pour arracher tous les pieds morts. Quinze jours après, ils en avaient de nouveau autant à arracher. Au-delà de l'impasse technique et des problèmes économiques que l'on connaît, c'est leur moral qui est fortement atteint. »
En Indre-et-Loire, les maladies du bois provoquent chaque année entre 12 et 14 millions d'euros de dégâts, soit plus de 10 % de la valeur de la production viticole, évaluée à 108 millions d'euros (Agreste). « Si la mortalité atteint 5 % en moyenne pour les trois cépages les plus concernés, les dégâts représenteront plus de 20 millions d'euros par an », déplore Guillaume Lapaque.
L'eutypiose en plus
Le vignoble de Cognac, planté majoritairement en ugni blanc, est aussi l'un des plus touchés par l'esca. « Le taux de ceps exprimant des symptômes foliaires était de 6 % dans les années 2000 et de 5 % en 2011. Il est monté à 11,5 % en 2012 », indique Vincent Dumot, responsable des études viticoles au BNIC (Bureau national interprofessionnel du cognac). Et à l'esca, s'ajoute l'eutypiose, qui semble revenir. « Après une baisse à 5 % en 2011, les symptômes foliaires d'eutypiose ont été observés sur 10 % des ceps en 2012, ajoute-t-il. C'est moins que dans les années quatre vingt-dix, où l'on atteignait des taux de 30 %, mais cette maladie est tout de même responsable de la mort de 1 % des pieds dans le vignoble. »
Selon le BNIC, 12 % des ceps sont improductifs (morts, absents, recépés ou entreplantés et pas encore productifs) à Cognac. Si l'on ajoute 6 % de perte de raisin sur les pieds malades, la déperdition de récolte atteint au total 18 % par an. « Si les symptômes d'esca continuent à progresser au même rythme, l'espérance de vie d'une parcelle devrait être réduite du tiers en dix ans », s'inquiète Vincent Dumot.
Autre département sévèrement atteint par les maladies du bois : le Gers. En 2011, la chambre d'agriculture a évalué qu'elles avaient coûté 12,48 millions d'euros en 2010, soit 675 €/ha. Face à cette situation, certains voudraient le retour de l'arsénite de soude. Mais pour les responsables professionnels, les scientifiques et les pouvoirs publics, il est exclu d'autoriser à nouveau un produit aussi dangereux (voir encadré ci-dessus).
Bien d'autres solutions sont à l'essai : des techniques de taille peu mutilantes, d'anciens modes de greffage et de nouveaux produits ou procédés de production des plants. Même la musique est mise à contribution, aussi improbable que soit son efficacité ! Il est vrai qu'il est difficile pour les vignerons de rester les bras croisés alors qu'un fléau menace leurs vignes. Beaucoup veulent agir et tester des solutions. Qu'importe le risque de se tromper !
Certaines pistes sont prometteuses
Nous avons recueilli les témoignages de viticulteurs qui ont changé leurs pratiques pour préserver leur vignoble. Chacun de nos témoins a opté pour une solution. Dans ces pages, ils expliquent l'intérêt, les difficultés et le coût de la technique qu'ils mettent en oeuvre. Ce faisant, ils nous indiquent des pistes qui paraissent plus prometteuses que d'autres. Ainsi, la taille guyot poussard semble limiter l'expression de l'esca. Et le regreffage des souches malades sous le point de greffe leur offre un nouveau départ.
À l'inverse, le traitement des plants à l'eau chaude paraît sans grand effet vis-à-vis des maladies du bois. La greffe anglaise aussi. De même, on peut avoir des doutes sur la méthode de protéodies, qui a ses adeptes. L'avenir dira lesquelles de ces méthodes sont vraiment efficaces. En attendant, découvrez-les dans ce dossier.
L'Indre-et-Loire veut un fonds d'indemnisation
La FAV 37 (Fédération des associations viticoles d'Indre-et-Loire) demande que l'esca soit inscrite dans la liste des « dangers sanitaires de première catégorie ». Cette inscription permettrait de prendre des mesures obligatoires de prévention, de surveillance et de lutte. Surtout, elle ouvrirait la porte au versement d'aides aux viticulteurs pour l'arrachage, la destruction et le remplacement des plants malades ou morts. En effet, un décret de décembre 2011 prévoit la création d'un fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux (FMSE) dont l'objet est d'indemniser les victimes d'un danger sanitaire. Ce fonds est susceptible d'obtenir jusqu'à 65 % de crédits européens et nationaux, le reste étant apporté par des cotisations professionnelles qui seraient rendues obligatoires. Encore faut-il que les professionnels aient la volonté de le constituer. Ce sujet est inscrit à l'ordre du jour du prochain conseil de bassin viticole Centre-Val de Loire.
L'arsénite de soude, interdit à jamais
L'arsénite de soude était un « produit miracle » pour lutter contre l'esca et le BDA. « Son application sur les pieds malades les faisait ressusciter », se souvient Philippe Larignon, expert à l'IFV. Mais ce produit était cancérigène. Même protégés, les viticulteurs n'évitaient pas les contaminations. Il a donc été interdit en 2001. Mais face à l'explosion de l'esca, les viticulteurs sont aujourd'hui nombreux à demander son retour. « C'est totalement impossible, précise le chercheur. Le produit est interdit dans le monde entier. Les traitements ne se faisaient que lorsque des symptômes de la maladie apparaissaient sur la partie herbacée. L'arsénite réduisait leur sévérité en détruisant les sources d'inoculum, en diminuant la quantité des champignons présents dans les ceps et en empêchant l'infection des plaies de taille. Bien sûr, si on arrêtait de traiter, les symptômes réapparaissaient. » « Aujourd'hui, 99 % des viticulteurs que nous rencontrons demandent le retour de l'arsénite, précise Vincent Dumot, au BNIC. Les interprofessions ne font aucune demande en ce sens, ce serait très mauvais pour l'image de la filière, mais on ne sait pas si un produit équivalent sera un jour trouvé. »