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VIN

Geneviève Teil, chercheuse sur le goût et la qualité à l'Institut national de la recherche agronomique de Paris « Deux dégustations pour contrôler les AOC »

Propos recueillis par Marine Balue - La vigne - n°250 - février 2013 - page 38

Cette chercheuse propose de soumettre les AOC à deux dégustations : l'une classique, à l'aveugle, et l'autre critique, réalisée par un jury dont les membres échangeraient leurs impressions. Dans les deux cas, il s'agirait de dire si les vins sont représentatifs de leur appellation. La première dégustation conviendrait mieux aux vins calibrés et la seconde aux vins dits de terroir.
 © M. BALUE

© M. BALUE

LA VIGNE : Pourquoi pensez-vous que la dégustation de contrôle des AOC ne fonctionne pas bien ?

Geneviève Teil : Le principal problème de cette dégustation est qu'elle impose de définir assez précisément le goût d'un terroir et la typicité d'un vin. En effet, l'Union européenne souhaite rendre objectives ces notions lors du contrôle organoleptique des AOC. Or, cela me paraît difficile, voire impossible. D'ailleurs, très peu d'appellations ont aujourd'hui réussi à définir un lien gustatif précis entre leur terroir et leurs vins dans leur cahier des charges.

Une des raisons de cette incapacité est que les producteurs ont des visions trop différentes du terroir, de la typicité et de l'AOC. Pour certains, il faut respecter les règles d'un cahier des charges pour obtenir l'AOC et la qualité du terroir doit être associée à un goût particulier. Ils estiment, par exemple, que le beaujolais est fruité et gouleyant et que tous les beaujolais doivent être ainsi pour que le consommateur s'y retrouve.

Pour d'autres, certes l'AOC est le résultat de l'application d'un cahier des charges, mais le résultat gustatif est variable : la typicité varie d'un vin à l'autre, d'un producteur à l'autre… Cette notion est donc a priori indéfinissable par des critères.

Ces deux façons de voir s'opposent…

G. T. : Oui, à l'heure actuelle, ces visions extrêmes s'opposent vivement. J'ai même l'impression qu'elles aspirent à un schisme au sein des appellations.

Je l'ai notamment constaté lors d'un programme d'étude sur la qualité environnementale du vin auquel j'ai participé. Nous avons observé des interprétations très diverses du respect de l'environnement, mais aussi du terroir, par les viticultures conventionnelle, raisonnée, biologique et biodynamique. Des interprétations qui ont du mal à cohabiter dans les appellations. J'ai le sentiment que ce divorce s'est accentué avec la dernière réforme des AOC/AOP et la volonté de l'Europe de renforcer la garantie de qualité des AOC, en particulier avec la définition d'un lien au terroir. Aussi, je ne suis pas sûre que ce confit s'apaise si la configuration actuelle du contrôle des AOC est conservée.

Ces deux visions sont-elles irréductibles ?

G. T. : Il me semble que oui. Il y aura toujours des vignerons pour lesquels la qualité de l'AOC doit être le résultat d'un engagement et d'une mise en valeur du terroir. Pour eux, la qualité ne peut pas faire l'objet d'une définition trop forte. Au contraire, d'autres producteurs demandent à ce que la qualité de l'AOC soit cadrée par des normes prédéfinies et susceptibles d'être testées.

Peut-on faire en sorte que ces vignerons cohabitent au sein d'une appellation ?

G. T. : Oui, bien sûr, car chacun joue un rôle crucial dans l'AOC. Ils apportent tous autant à la filière. Les uns proposent des vins avec un bon rapport qualité prix et calibrés, très importants pour ouvrir des marchés. Les autres contribuent surtout à la culture et à la personnalité du vin français.

S'il n'y avait que des vins dits de terroir, il n'y aurait pas assez de volumes pour contenter la demande. Et s'il n'y avait que des vins calibrés, nous perdrions de la diversité, caractéristique du vin français. En outre, les deux styles de vins cohabitent parfois chez un même producteur.

Pour réunir ces points de vue, vous proposez un contrôle de l'AOC avec deux dégustations. Pouvez-vous nous en dire plus ?

G. T. : Le défi consiste à trouver un système qui fasse coexister ces deux façons de contribuer à la vie d'une AOC. Une dégustation comprenant deux épreuves adaptées à chacune de ces visions pourrait aider la filière à relever ce défi.

Imaginons ce dispositif : d'abord, un test de conformité suivant le modèle de la dégustation actuelle des AOC, avec des normes organoleptiques bien dénies. Puis, une évaluation critique de la qualité du vin, plus souple.

Chaque vin devrait être soumis obligatoirement aux deux dégustations, mais le producteur ou le négociant qui présenterait le vin choisirait de donner plus de poids au test de conformité ou à l'examen critique, selon le style de son vin. Il pourrait décider que ce dernier est jugé à hauteur de 3/10 pour le test de conformité et à hauteur de 7/10 pour l'examen critique, par exemple.

Comment la dégustation critique pourrait-elle se dérouler ?

G. T. : Cela pourrait ressembler aux critiques de vin qu'on trouve dans la presse spécialisée ou même à une critique littéraire. Ce genre d'exercice doit suivre un protocole collectif. C'est-à-dire que plusieurs jurés doivent s'exprimer et échanger entre eux au sujet des caractéristiques du vin. À la fin de la dégustation, ces jurés rédigent impérativement un commentaire commun et bien argumenté.

Si l'on entrait dans ce protocole mixte, il faudrait être très exigeant sur la qualité des dégustateurs. Ceux-ci devraient être très compétents : des œnologues, des sommeliers, des journalistes… tous reconnus pour leur très bon niveau d'expertise du vin.

Cela exigerait aussi de laisser tomber la dégustation à l'aveugle. Car il est impossible de discuter d'un vin si l'on n'en connaît pas l'origine et l'histoire. Avec une dégustation du type critique de vin, je pense qu'on se rapprocherait davantage de ce que souhaite la réforme européenne, à savoir des vins représentatifs de leur appellation.

L'idée d'une double dégustation ne doit pas plaire à tout le monde…

G. T. : Non, pas vraiment. Je l'ai évoquée lors de conférences et les réactions n'ont pas toujours été bonnes.

Mais ma démarche est celle de la défense des AOC. Ce type de dégustation permettrait d'intégrer tous les metteurs en marché, de l'artisan vigneron au grand négociant. Ce qui est indispensable à la survie des AOC. De plus, si l'Europe impose d'objectiver les notions de terroir et de typicité de chaque appellation, mais que la dégustation de contrôle actuelle est conservée, nos AOC pourraient perdre leur intérêt. Et ce serait dramatique, car l'AOC est une invention fabuleuse !

Un lien avec le changement climatique

Il y a quelques mois, Geneviève Teil a démarré un nouveau programme de recherche sur le vin et le changement climatique. Le problème de la dégustation de contrôle des AOC lui est alors apparu d'autant plus évident. « Avec le réchauffement, le style des vins risque de changer. Or, si pour être en AOC, un vin doit répondre à une typicité définie aujourd'hui, dans quelques années, il n'y répondra peut-être plus. Il ne pourra donc plus prétendre à l'AOC. Le système n'aurait plus de sens ! Il faut donc que la dégustation de contrôle intègre mieux des vins dits de terroir, car ceux-ci s'adaptent au changement climatique tous les ans. »

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PARCOURS

1991 : thèse de doctorat.

Travaux sur la qualité des fromages puis des vins en Espagne.

Diplôme d'œnologue.

2004 : « De la coupe aux lèvres. Pratiques de la perception et mise en marché des vins de qualité », aux éditions Octarès.

Travaux sur le vin et la musique.

2010 : Programme sur la qualité environnementale du vin.

L'essentiel de l'offre

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