« L'oïdium est un problème majeur. D'après une enquête que nous avons réalisée en 2012, c'est la deuxième préoccupation des viticulteurs après l'esca. Et le nombre d'applications antioïdium est en hausse », a rappelé Frédéric Dérolez en introduction à la réunion consacrée à cette maladie que Bayer, dont il est chef du marché vigne, a organisée le 6 février à Montpellier (Hérault).
Pour faire la lumière sur le parasite, la firme avait convié Agnès Calonnec, de l'Inra de Bordeaux (Gironde), qui a rappelé comment sont initiées les épidémies. Celles à drapeaux démarrent à partir du mycélium contenu dans les bourgeons, lequel provoque un rabougrissement des pousses. Les feuilles se crispent et se couvrent d'un feutrage blanc. Ces symptômes précoces sont simples à reconnaître. Ils concernent principalement le Sud-Est et des cépages comme le carignan.
Des contaminations précoces
Les épidémies à cléistothèces sont une autre histoire. Pour qu'il y ait contamination, les cléistothèces doivent être matures et viables. Puis, au printemps, il faut de la pluie et une température supérieure à 10°C pour qu'ils libèrent les ascospores. Celles-ci doivent ensuite être projetées sur de jeunes feuilles. Ces conditions sont susceptibles d'être réunies dès le stade deux à trois feuilles étalées. Les premières contaminations peuvent donc survenir très tôt. Les premiers symptômes apparaissent douze à treize jours après, voire dès sept à huit jours si les températures sont optimales, c'est-à-dire autour de 20 à 25°C. Ils affectent la face inférieure des feuilles de rang 1, 2 et 3, les plus proches de l'écorce. Mais ces manifestations sont extrêmement discrètes et leur recherche est très fastidieuse. Si on ne les détecte pas, la maladie peut passer inaperçue pendant trente à quarante jours à l'échelle d'une parcelle.
Or, « la précocité des attaques sur feuilles conditionne la gravité des attaques sur grappes », a insisté Agnès Calonnec. En effet, l'oïdium s'en prend d'abord aux jeunes feuilles puis aux grappes. La date des premières contaminations est donc primordiale dans le déroulement de l'épidémie. « Faut-il démarrer les traitements dès le stade trois feuilles étalées ? » a alors demandé Laurent Panigai, du CIVC, l'interprofession champenoise. Réponse d'Agnès Calonnec : « En théorie, plus on casse tôt le cycle de l'oïdium, plus on est efficace. » Et Frédéric Dérolez de confirmer : « Dès lors que des contaminations peuvent survenir dès le stade deux à trois feuilles étalées, il faut protéger la vigne tôt avec un produit curatif. Aujourd'hui, nous n'avons pas les moyens de savoir si l'oïdium est là ou pas en tout début de campagne. Protéger la vigne tôt semble indispensable pour ne pas multiplier les applications en fin de saison en cas de forte pression. »
« Ne pas traiter tôt pour rien non plus »
À l'appui de ce raisonnement, Patrice Dubournet, responsable technique vigne de Bayer, a présenté un essai réalisé en 2012, dans les Pyrénées-Orientales, en petites parcelles avec le matériel du viticulteur. La pression de la maladie était forte puisqu'à la récolte, l'intensité d'attaque atteignait 69 % sur le témoin non traité.
Sur cet essai, la firme a comparé deux stratégies. Dans un cas, elle a débuté les traitements au stade sept à huit feuilles étalées et les a poursuivis jusqu'à la fermeture de la grappe. Elle a réalisé au total cinq traitements avec des produits haut de gamme de différentes familles chimiques. Au final, l'intensité de la maladie sur grappes atteint 18 %. Dans l'autre cas, Bayer a démarré à trois feuilles étalées, ajoutant deux traitements au programme et faisant chuter l'intensité des attaques sur grappes à 7 %. « Attention toutefois de ne pas traiter tôt pour rien », est intervenu Philippe Cartolaro, de l'Inra de Bordeaux. Et le débat était lancé. Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or, a rappelé que, dans sa région, les préconisations sont de démarrer la protection au stade sept à huit feuilles étalées. Selon lui, commencer plus tôt est un combat d'arrière-garde, car l'enjeu est de réduire les intrants.
« Tous les essais réalisés depuis les années 1990 montrent qu'il n'y a pas de différence d'efficacité selon que l'on démarre à trois à quatre ou à sept à huit feuilles étalées. Même si la dynamique épidémique de l'oïdium a évolué, cette stratégie reste valide. Il y aurait peut-être un intérêt à traiter plus tôt lors de contaminations très précoces, mais nous ne l'avons pas démontré. C'est à l'encadrement de la fleur qu'il faut prêter attention et assurer une protection sans faille. »
En 2012, la plupart des vignerons bourguignons ont démarré les traitements oïdium en même temps que les antimildious, soit au stade trois à cinq feuilles étalées. Malgré cela, il y a eu des échecs. Pour Pierre Petitot, c'est la preuve qu'attaquer tôt ne résout pas les problèmes.
Les viticulteurs anticipent
Les Bourguignons cherchent même à retarder davantage le début de la protection. Dans le cadre de la validation du modèle SOV, un modèle de prévision du risque oïdium en début de campagne, les techniciens comparent des programmes démarrant à sept à huit et à dix feuilles étalées, soit un traitement plus tard. Ils ont mené des essais sur soixante sites entre 2006 et 2012. « Dans 88 % des cas, il n'y a pas de différence sur la protection oïdium, même les années où le modèle indique un risque global très élevé », a résumé Pierre Petitot.
En Champagne, les préconisations sont les mêmes qu'en Bourgogne. Mais, en pratique, beaucoup de viticulteurs anticipent les interventions. « Dans le réseau Magister, nous n'avons pas constaté de différence d'attaque sur les grappes selon que la protection débute entre les stades 5 et 12 (de pointe verte à grappes visibles) ou après le stade 15 (sept à huit feuilles étalées, boutons floraux agglomérés) », a révélé Laurent Panigai. Il n'empêche que le CIVC a mis en place un plan d'action oïdium dont un des volets comparera différents stades de début de protection. Affaire à suivre.
CE QU'IL FAUT RETENIR DE L'ÉPIDÉMIOLOGIE
La température est le facteur majeur du développement de la maladie, l'optimum étant situé entre 20 et 25°C. L'oïdium n'aime pas l'eau libre, mais la pluie est nécessaire à la germination des ascospores et à la dispersion des spores. Il réclame une humidité supérieure à 75 % pour croître et sporuler. Quant au vent, s'il disperse les spores, il a aussi un effet asséchant.
Seules les très jeunes feuilles sont sensibles. Lorsqu'elles vieillissent, elles acquièrent une résistance naturelle liée à l'augmentation du taux de sucre dans la feuille et à la baisse de la teneur en eau. Or, le glucose a un effet direct ou indirect sur l'activation des défenses naturelles de la plante. De même, lorsque les feuilles vieillissent, leurs cellules épidermiques se modifient.
Au même âge, la sensibilité des feuilles est la même, quel que soit le cépage. La grande sensibilité de certains cépages à l'oïdium s'expliquerait donc par une bonne synchronisation entre leur développement et celui du parasite au moment des premières contaminations.
La réceptivité des grappes est nulle à leur fermeture. Les inflorescences peuvent être attaquées dès la chute des capuchons floraux. Leur sensibilité est maximale entre la floraison et la nouaison. Quinze jours après la floraison, elle diminue pour devenir nulle à la fermeture de la grappe. À ce stade, la grappe n'est plus réceptive à de nouvelles contaminations, mais les infections antérieures peuvent encore progresser.
Il existe deux types d'oïdiums génétiquement distincts : A et B. Le type A se retrouve uniquement dans les vignobles méridionaux où il ne provoque que des drapeaux. Le type B sévit partout en France et davantage en fin de saison. Plus agressif et moins sensible aux fongicides que le A, il cause des drapeaux et des attaques classiques. Dans les parcelles où il est plus présent que le type A, les dégâts sont généralement plus importants. L'oïdium se contrôle donc plus facilement dans les parcelles où le biotype A est majoritaire en début de saison.
Le Point de vue de
« Les conditions météo en 2012 ont été très favorables à l'oïdium. La forte pluviométrie en début de saison a été propice à la germination des cléistothèces. Les températures, le déficit d'ensoleillement et l'humidité élevée ont favorisé la croissance mycélienne. En même temps, ces conditions étaient défavorables à la sporulation. Le parasite était donc difficile à détecter. L'hétérogénéité du débourrement due au gel d'hiver a aussi joué en sa faveur. Les viticulteurs ont eu du mal à positionner les traitements. Beaucoup ont eu tendance à attendre, alors que les vignes ont porté des pousses à des stades sensibles à la maladie pendant une plus longue période. À cela se sont ajoutés des problèmes de pulvérisation et de renouvellement des cadences. Dans de rares cas, on suspecte un problème de résistance aux QoI. Mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres. »
Le Point de vue de
Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or
« Aussi redouté, sinon plus, que le mildiou »
« Les viticulteurs craignent l'oïdium autant, voire plus, que le mildiou à cause de son caractère insidieux. Habituellement, le chardonnay est le plus touché. Mais en 2012, nous avons vu des pinots noirs tout aussi attaqués. Il y a bien sûr le développement classique de la maladie qui démarre sur feuilles, puis sur grappes. Mais nous avons également des parcelles où quasiment rien n'apparaît sur les feuilles, puis l'explosion sur grappes intervient en juin-juillet. Ce type d'épidémie devient prépondérant. »
Le Point de vue de
« En Champagne, l'oïdium est installé depuis 2003. Il fait peur aux vignerons car il peut déprécier la qualité des vins. Le chardonnay est le cépage le plus touché. En 2012, la maladie s'est exprimée très tôt, avec une virulence exceptionnelle. Début véraison, 1 à 2 % du volume de récolte était touché. En cause : un climat qui a engendré un important inoculum primaire. Et la grande difficulté à détecter visuellement les symptômes précoces de la maladie. »