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VIN

La thermovinification corrige les blancs altérés

Marine Balue - La vigne - n°251 - mars 2013 - page 50

L'IFV a testé la thermovinification sur des moûts blancs. Cette technique présente un intérêt certain sur les moûts atteints de pourriture grise ou marqués par la géosmine.
COMMUNE SUR LES ROUGES, la thermovinification est à l'essai sur les blancs. Ici, l'équipement d'un prestataire de service. © C. WATIER

COMMUNE SUR LES ROUGES, la thermovinification est à l'essai sur les blancs. Ici, l'équipement d'un prestataire de service. © C. WATIER

« Quel intérêt peut avoir la thermovinification sur des blancs ? s'est interrogée Laurence Guérin, ingénieure à l'IFV de Tours (Indre-et-Loire), lors du dernier colloque Euroviti à Angers (Maine-et-Loire), en janvier. À ce jour, presque aucune référence écrite n'est disponible sur la technique appliquée aux blancs, alors qu'elle se pratique de plus en plus dans le vignoble. » Lancée dans les années soixante-dix, la thermovinification s'est longtemps cantonnée aux vendanges rouges, pour lesquelles ses effets sont désormais bien connus. Cette technique augmente l'extraction de polyphénols, provoque l'évaporation des arômes végétaux de type poivron vert – des molécules de la famille des pyrazines – et dénature les enzymes d'altération produites par le botrytis, dont la principale est la laccase. Cette enzyme est en effet inactivée à 50 °C, selon le « Traité d'œnologie » (Éditions Dunod/ La Vigne).

L'IFV Sud-Ouest a apporté les premières références concernant les blancs grâce à des essais réalisés entre 2006 et 2008 sur des moûts de colombard et de loin de l'œil. Les chercheurs ont chauffé ces moûts à 70°C pendant une à cinq heures, avant ou après un débourbage plus ou moins poussé.

Ils ont d'abord démontré que le chauffage des moûts blancs issus de vendanges atteintes par de la pourriture grise (50 % de taux de botrytis) améliore leur qualité aromatique et gustative. Cela à condition que la température s'élève rapidement pour dégrader le plus vite possible l'activité de la laccase. « Si l'on met trop de temps à chauffer le moût, c'est un véritable bouillon de culture pour la laccase, a remarqué Rémi Guérin-Schneider, ingénieur de recherche à l'IFV, qui animait les conférences. De plus, on favorise l'oxydation du moût. »

Lors de ces essais, la thermovinification n'a pas modifié les propriétés physico-chimiques des moûts.

« Le gain qualitatif est indéniable »

Le point négatif de l'essai est qu'à la dégustation, les vins obtenus à partir de moûts thermovinifiés sont ressortis plus amers que les témoins. Ce défaut est apparu d'autant plus marqué que la turbidité du moût était élevée. « Cette amertume est sûrement due à l'extraction accrue de polyphénols », a expliqué Laurence Guérin. Seule une clarification très poussée des moûts, après le chauffage, a permis de gommer cette amertume dans les vins. Une clarification que l'IFV a obtenue par l'ajout de bento-caséine ou de PVPP au moment du débourbage. Comme sur les rouges, la thermovinification en blanc montre donc un intérêt sur les vendanges botrytisées.

« Vu le coût de la technique, autour de 6 à 9 €/hl, et les difficultés de sa mise en pratique, est-il intéressant de thermovinifier des moûts de raisins sains ? Obtienton des vins plus aromatiques ou plus originaux ? » a poursuivi Laurence Guérin.

Dans le cas des raisins exempts de pourriture, les résultats d'essais de l'IFV sont assez variables. Le loin de l'œil, qui n'a pas un fort potentiel aromatique, a plutôt bien réagi à la thermovinification. Celle-ci a entraîné une production plus importante d'acides et de composés aromatiques – esters et alcools supérieurs – que dans les témoins non chauffés lors de la fermentation alcoolique. Le débourbage des moûts une fois chauffés a même accentué l'extraction de ces arômes en fermentation alcoolique. « Le gain qualitatif est indéniable », indique Laurence Guérin.

Au contraire, la thermovinification a provoqué sur colombard une forte baisse des notes thiolées, pourtant caractéristiques de ce cépage. Et les dégustateurs n'ont pas perçu d'influence du traitement sur les notes terpéniques. Conclusion, sur des moûts sains, l'impact de la thermovinification dépend du cépage.

Poursuite de l'expérimentation

Une dernière expérience, menée en 2008 en Val de Loire, a mis en avant un autre intérêt de la thermo : se débarrasser de la géosmine, cette molécule à l'origine de goûts moisi-terreux. Les chercheurs ont travaillé sur des moûts débourbés de folle-blanche, dont les raisins étaient pourris et fortement contaminés par la géosmine. Ils les ont chauffés à 80°C, puis les ont maintenus à cette température pendant huit heures, avant de les refroidir à 5°C dans un échangeur ou à 17°C par évaporation. La seule élévation de température à 80°C a permis de dégrader jusqu'à 75 % la concentration initiale en géosmine. Et après le maintien à haute température, environ 90 % de la molécule avait disparu par évaporation !

Étonnamment, le refroidissement du moût a entraîné une légère remontée des teneurs en géosmine, plus importante avec l'échangeur qu'avec l'évaporation. Peut-être qu'une part de cette substance contenue dans les bourbes a été relarguée.

L'IFV a décidé de poursuivre son évaluation de l'intérêt de la thermovinification des blancs, car cette technique est de plus en plus pratiquée dans le Val de Loire. L'IFV de Tours a réalisé de nouvelles expérimentations en 2012 sur le cépage sauvignon. Il s'est attaché à trouver les meilleures conditions de clarification et les couples temps/ température de chauffage optimaux. En 2013, l'IFV de Nantes (Loire-Atlantique) travaillera aussi sur la thermovinification de moût de sauvignon et de melon.

Le Point de vue de

Pascal Gibault, viticulteur sur 32 ha en AOC Touraine, à Noyers-sur-Cher (Loir-et-Cher)

« Un outil supplémentaire de vinification en blanc »

Pascal Gibault, viticulteur sur 32 ha en AOC Touraine, à Noyers-sur-Cher (Loir-et-Cher)

Pascal Gibault, viticulteur sur 32 ha en AOC Touraine, à Noyers-sur-Cher (Loir-et-Cher)

« Nous utilisons la thermovinification sur blanc depuis quatre ans. À l'origine, un prestataire venait faire de la thermovinification sur nos rouges et rosés. Nous avons décidé de réaliser des essais sur blanc qui se sont avérés très concluants. Depuis, nous vinifions la majorité de nos sauvignons blancs ainsi. En 2012, nous avons thermovinifié entre 1 200 et 1 300 hl de blanc. Nous avons même acheté du matériel afin de réaliser de la prestation de service. Les années de maturation hétérogène, cette technique permet d'éliminer le caractère végétal des vins.

Avant de chauffer les moûts, nous les débourbons intensément pour qu'ils soient très clairs et pour éviter l'apparition de mauvais goûts. Nous avons effectué plusieurs essais afin de déterminer le bon couple temps/température. Pour le moment, nous chauffons les moûts autour de 65°C pendant une durée variable en fonction du type de vin souhaité. Pour obtenir des vins gras, nous pouvons maintenir la température pendant 15 à 20 heures.

Après ce délai, nous refroidissons les moûts par évaporation autour de 18°C. L'opération doit être rapide. Nous avons observé des diminutions d'acidité totale après traitement et de légères augmentations d'azote assimilable. Ce dernier point pourrait expliquer la virulence de la fermentation alcoolique après chauffage. Nous n'avons pas noté de modifications de couleurs par oxydation ni d'augmentation de l'amertume après le traitement. En revanche, les vins sont plus puissants, plus fins, plus nets. Ils gardent leur caractère thiolé. Nous nous sommes aperçus que les arômes étaient plus stables dans le temps. Nous vendons actuellement des vins de 2010 qui restent très frais au niveau aromatique. La thermovinification en blanc est un outil supplémentaire qui nous permet de garder un style constant. »

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