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Franck Celhay, enseignant chercheur à Sup de co Montpellier (Hérault), auteur d'une thèse sur la perception du packaging « Les consommateurs choisissent les étiquettes rassurantes »

Propos recueillis par Chantal Sarrazin - La vigne - n°251 - mars 2013 - page 66

LA VIGNE : D'après vos recherches, les étiquettes de vin peuvent difficilement rompre avec les codes visuels existants. Pour quelles raisons ?

Franck Celhay : Le consommateur préfère les étiquettes conformes à sa perception d'une appellation ou d'une région de production donnée. Mais le vin n'est pas le seul produit dans ce cas de figure. Prenez les paquets de céréales pour enfants : ils utilisent tous les mêmes couleurs, thèmes et styles d'illustration. Ces codes sont cohérents avec la catégorie de produit pour le consommateur. Dans le cas du vin, la difficulté s'accentue. Car le consommateur le considère comme un achat risqué. Cela est lié au foisonnement de l'offre, entre 500 et 700 références dans un rayon d'hypermarché. Le choix est difficile ! De plus, l'achat de vin est socialement impliquant, car une bouteille se partage. S'il est convié à un repas formel, le consommateur privilégiera une étiquette ultra-classique. Il se sentira plus libre de choisir une étiquette atypique pour une occasion de consommation plus décontractée.

Vous avez étudié les étiquettes d'une centaine de grands crus de Bordeaux. Quels codes utilisent-ils ?

F. C. : Les coloris sont souvent les mêmes : un fond blanc immaculé ou blanc jauni, puis du noir, du gris et de l'or pour les textes. Les lettres majuscules avec empattements, sur le modèle de la police Times, l'emportent. On trouve aussi quelques lettres de type script anglais semblables à une écriture manuelle. Les visuels montrent un château ou une bâtisse sous forme de gravure en taille-douce. Les étiquettes sont le plus souvent rectangulaires. Ces présentations n'ont rien d'anodin. Elles véhiculent des messages aux consommateurs.

Que suggèrent-elles ?

F. C. : D'abord, la couleur : plus un papier est blanc, plus il est réputé de qualité. Par extension, le blanc immaculé donne l'idée d'un produit haut de gamme. Quant au blanc jauni, qui fonce avec le temps, il évoque l'ancien, la tradition. L'or à chaud symbolise le luxe et la distinction sociale. Le noir allié au blanc produit des effets de classicisme et d'élégance. L'usage des majuscules renvoie à la grandeur et le choix des lettres avec empattements à la tradition. De même que les gravures. Les polices qui font références à l'écriture manuelle, comme celle utilisée par la marque Bonne maman, véhiculent le fait main. De fait, ces codes visuels évoquent classicisme, tradition, prestige, notoriété, savoir-faire et sérieux.

Certaines marques osent pourtant la rupture…

F. C. : C'est exact. Mais la plupart d'entre elles disparaissent peu de temps après leur lancement. Deux exemples : Soif de cœur, une étiquette rose et bleue en forme de cœur, et Rock & Rhône, une étiquette rouge pétaradante et décalée pour un côtes-du-rhône. Elles génèrent de nombreuses retombées presse. Cela crée une illusion. Mais ce sont des marques ultratraditionnelles comme Malesan ou Baron de Lestac qui s'inscrivent dans la durée.

Comment peut-on innover ou se différencier tout en respectant les codes en vigueur ?

F. C. : C'est possible, tout en restant classique, c'est-à-dire acceptable aux yeux des consommateurs. Certaines polices d'écriture le permettent. Elles existent, mais ne sont pas exploitées. Comme la typographie Byron, reproduction d'une écriture manuscrite ancienne. Il y en a beaucoup d'autres ! Dans le domaine des couleurs, le blanc immaculé perd de sa pertinence avec l'essor du développement durable. Les ocres et les beiges, moins employés, me paraissent intéressants. Ils renvoient à la terre, au terroir… Dans tous les cas, l'étiquette doit faire sens. Elle est le prolongement de l'identité du vigneron et de ce qu'il souhaite exprimer.

Aboutiriez-vous aux mêmes résultats ailleurs qu'à Bordeaux ?

F. C. : Nous n'avons pas étudié d'autres régions. Cela étant, je pense que les résultats seraient identiques. Le consommateur accepte difficilement ce qui est atypique. Sauf lorsque la marque a les moyens de communiquer pour rendre son produit familier. C'est le cas de Badoit avec la Badoit rouge. Elle est en rupture avec les codes des eaux minérales gazeuses où la couleur verte est la règle. Elle a été lancée à grands renforts de communication expliquant qu'il s'agit d'une eau beaucoup plus pétillante que les autres. Le choix du rouge est cohérent avec ce positionnement.

Quels conseils donnezvous aux vignerons en matière de packaging ?

F. C. : Je leur recommande de faire appel à une agence de design ou à un graphiste pour concevoir leurs étiquettes. Ils ont les compétences pour traduire le sens que le vigneron souhaite donner à sa présentation. Ils connaissent les différentes polices d'écriture et peuvent ainsi proposer des solutions de différenciation tout en restant dans les codes. C'est un coût, mais il faut l'envisager sur le long terme.

Sortir des sentiers battus pour certaines occasions

166 consommateurs ont dû noter ces quatre étiquettes selon qu'ils les ont trouvées typiques ou non de Bordeaux. Sans surprise, ils ont jugé l'étiquette numéro 1 comme la plus emblématique. La toute dernière (numéro 4) ayant été considérée comme la moins représentative du Bordelais.

De plus, 70 % d'entre eux ont préféré l'ultraclassique. Ensuite, Franck Celhay et Juliette Passebois, maître de conférences à l'IAE (Institut d'administration des entreprises) de Bordeaux, ont démandé aux consommateurs interrogés s'ils étaient prêts à acheter le vin correspondant pour chacune des cinq occasions suivantes : un repas normal à la maison, un repas avec des amis novices, un pique-nique, un repas amélioré et un repas avec des amis experts. Plus l'occasion semble risquée, moins les consommateurs sortent des sentiers battus. Ainsi, l'étiquette ultraclassique (1) remporte 64 % de leurs suffrages pour un repas amélioré et 71 % pour un repas avec des experts. En revanche, pour un repas normal à la maison, la deuxième étiquette arrive en tête des intentions d'achat. Et elle fait jeu égal avec la première et la dernière pour un vin à amener à un pique-nique. Un viticulteur peut donc sortir des codes courants pour ses cuvées à boire en toute simplicité.

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PARCOURS

 © G. LEGRANCQ

© G. LEGRANCQ

31 ans

Depuis septembre

2011 : enseignant chercheur à Sup deco Montpellier

2008 : publication de l'étude « Design de l'étiquette de vin : faut-il oser la rupture ? », coécrite avec Juliette Passebois, maître de conférence à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de Bordeaux.

2006 à 2010 : réalisation d'une thèse en sciences de gestion intitulée « Design du packaging (...) : l'impact du jugement d'atypicalité. Une application au cas des vins de Bordeaux ».

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