LES VIGNES DE SANS ROMOM sont situées à Traslasierra, où la viticulture a longtemps. La famille Amorelli produit 40 hl de vin artisanal depuis 2007. Ici, la grêle est fléau. © BODEGA SAN RAMOM.
RAFAEL BRICO (en haut) est l'œnologue qui produit 2 500 hl de vin par an, dont la moitié en dames-jeannes de 5 litres.
BENITO PAPALIN (à gauche) a lancé sa petite exploitation en 2005. Il ne produit que 40 hl par an, mais son chai fait tout de même partie de la Route du vin de Córdoba, comme six autres producteurs artisanaux de la région. PHOTOS A. MONTOYA
BODEGA NANINI (en haut) utilise surtout des cuves en ciment (en haut) est recouvert d'époxy. La capacité de La Caroyense (en bas) est de 160 000 hl, mais l'entreprise n'en utilise que 20 000.
L'histoire de la viticulture à Córdoba est la plus ancienne du pays : elle remonte à l'installation des Jésuites au XVIIe siècle. En 1618, ils ont planté 20 000 pieds de vignes autour de l'« estancia » (la propriété) Jesús María. Aujourd'hui, on peut apprécier les pressoirs de l'ancien chai dans ce qui est devenu un musée.
L'expulsion des Jésuites vers la moitié du XVIIIe siècle a signé le déclin de l'industrie viticole. Plus d'un siècle a dû s'écouler avant qu'un fort courant migratoire venu du Frioul, terre rurale et pauvre du nord de l'Italie, ne fasse renaître les vignes. À 40 km au nord de Córdoba, la capitale provinciale, ces immigrants ont fondé Colonia Caroya, petite ville de 20 000 habitants où se concentre encore 62 % de la viticulture de la province.
Malgré la priorité donnée à la viticulture de la région du Cuyo (Mendoza et San Juan) au détriment des autres dans les années trente, l'activité a perduré dans les exploitations familiales. « Pendant les vendanges, on voit des personnes de 80 ans sur les tracteurs. Elles ont maintenu la tradition et ont des pieds de vigne de cent ans », raconte Rafael Brico, l'œnologue de Bodega Nanini, un domaine fondé en 1929 qui produit du vin de messe, de la grappa, de la mistelle (mélange de moût et d'eau-de-vie de vin) et du vin qu'il vend en dames-jeannes.
139 exploitations et 269 ha
L'institut national de vitiviniculture (INV) recense 139 exploitations ou propriétés ayant des vignes et 269 ha plantés dans toute la province de Córdoba. Cela représente à peine 0,1 % de la superficie des vignes du pays. Les exploitants de Colonia Caroya ont commencé à se moderniser dans le milieu des années quatre-vingt-dix, avec l'importation de nouvelles variétés comme le merlot, le cabernet sauvignon, le pinot noir (la plus cultivée, surtout pour les effervescents), le malbec, l'ancellotta et, plus récemment, le tannat.
« La moyenne des exploitations est de 1,4 ha », assure Santiago Lauret, œnologue à La Caroyense, une ancienne coopérative créée en 1930 et reprise comme société anonyme en novembre 2000. Il s'agit de la plus grosse entreprise de la région. Une des variétés caractéristiques est l'isabella, appelée aussi frambua, importée d'Italie par les immigrants. Interdite dans le reste de l'Argentine parce qu'hybride, elle est autorisée à Córdoba par dérogation, au nom de la tradition. « La frambua, c'est notre malbec. Elle donne un vin sauvage, dur, acide, de belle couleur, mais qui retombe en deux jours. Très difficile à travailler », soutient Rafael Brico. Ce dernier voudrait développer ce cépage si particulier et le faire connaître dans d'autres provinces, car « faire des vins premiums ne correspond pas forcément à la réalité de la région ». Mais son projet est impossible : il est interdit d'en planter de nouveaux pieds pour autre chose que l'élaboration de jus de raisin. Un jus qui fait la réputation de Colonia Caroya, les exportations de La Caroyense allant jusqu'à Taïwan. Il existe deux autres zones de viticulture dans la province : Traslasierra et la vallée de Calamuchita. Dans les années soixante-dix, Traslasierra rivalisait avec Colonia Caroya grâce à l'existence d'une grosse coopérative. « Mais après sa faillite, la plupart des vignobles ont été arrachés », précise Jorge Donati, responsable local de l'INV. L'activité s'est remise en marche au début des années 2000 avec la bodega Noble de San Javier et des domaines plus modestes, comme San Ramom, qui produit des vins artisanaux depuis 2007. L'autre région en plein essor est celle de Calamuchita, au sud de Córdoba. Il s'agit d'une des zones les plus touristiques du pays. Là, deux bodegas sont en production à plus de 1 200_mètres d'altitude. 30 ha de vignes y sont plantés, dont 12 en production.
Le vin au pays de la bière
« Nous savions que nous ne pouvions pas dépendre uniquement du tourisme », explique Sergio Favot, ancien maire de Villa General Belgrano – bourgade connue pour sa fête de la bière – et président de l'association Foro de los ríos, qui a pour but le développement durable de la région. « Nous avons donc décidé d'encourager l'agriculture, et en particulier la vigne. »
S'installer dans la région est coûteux : il faut planter les vignes, acheter les filets antigrêle – un fléau – et s'appuyer sur l'industrie du tourisme pour réussir. Las Cañitas ne s'y est pas trompé : à l'origine, il s'agit d'un lieu de villégiature avec des chalets au milieu des pins. Pour étoffer son offre, le propriétaire a ouvert un chai en 2007. L'année suivante, un de ses vins récoltait une médaille internationale. À Finca Atos également, la famille Astesano a voulu démontrer que la zone était propice à la production de vin, avec un ensoleillement moindre, une amplitude thermique de 25 degrés et un sol rocailleux.
Ces deux projets, qui parient sur des vins de qualité, ont reçu quelques critiques à leurs débuts. « Ils ont importé des critères d'autres régions, souligne Santiago Lauret. Ils auraient dû réaliser une étude du sol et du climat pour déterminer les meilleures variétés, au lieu de tout miser sur le malbec. »
Gabriel Campana, ancien œnologue de La Caroyense et actuellement à Las Cañitas, acquiesce : « Calamuchita est une région où le pin et la mûre abondent, ce qui donne aux vins des caractéristiques uniques. Mais des erreurs ont été commises. Nous essayons de les corriger. »
La recherche d'une identité
Trouver un cépage emblématique, c'est le but du Foro de los ríos : « Nous avons signé un accord avec l'université nationale de Chilecito, à La Rioja, afin d'étudier les facteurs agroclimatiques spécifiques de Calamuchita et de rechercher les cépages qui pourraient lui donner son identité, indique Sergio Favot. Notre atout est que nous n'avons pas besoin d'attirer les clients : avec l'afflux touristique, ce sont eux qui viennent à nous. »