Les levures du genre Brettanomyces Bruxellensis pourraient-elles avoir un rôle positif pour le vin ? La question a déjà provoqué bien des polémiques. Elle se pose sous un jour nouveau depuis que Linda Bisson et Lucy Joseph ont publié un article sur le sujet. Ces deux chercheuses de l'université californienne de Davis, aux États-Unis, ont étudié la production de composés aromatiques par cinq souches de Brettanomyces dans différentes conditions. « Ces souches ont été isolées de vins français, californien et chilien. Elles sont très différentes les unes des autres au niveau génétique », observe Lucy Joseph.
Les chercheuses ont cultivé ces levures en conditions artificielles, dans un milieu à 10 % d'éthanol et en présence d'un acide aminé aromatique (tyrosine, tryptophane ou phénylalanine), d'acide coumarique ou d'acide férulique. Ces deux dernières substances sont les précurseurs des molécules responsables des odeurs phénolées typiques des Brett : le 4-éthylphénol et le 4-éthylgaïacol.
« Nous avons mis en culture, dans ce milieu synthétique, chacune des souches de Brettanomyces avec une molécule et nous avons déterminé les arômes produits par des analyses chimiques, expose Lucy Joseph. La prochaine étape consistera, grâce à l'analyse sensorielle, à déterminer l'impact que peuvent avoir les arômes produits par les Brettanomyces sur le profil des vins. »
Des arômes fruités et floraux
Comme attendu, toutes les souches ont produit des quantités plus ou moins importantes de phénols volatils en présence de leurs précurseurs, les acides coumarique et férulique. En revanche, « en présence des acides aminés aromatiques, elles ont produit des arômes différents », remarque Lucy Joseph. Les chercheuses ont détecté des acides gras, associés à des odeurs « rance » ou « pourri », et surtout leurs esters correspondants, qui ont des notes fruitées ou florales. Toutes les souches de Brettanomyces ont également produit plusieurs alcools supérieurs tels que le phényléthanol associé à l'odeur de rose. Enfin, une souche a libéré des composés terpéniques, généralement associés à des arômes floraux ou fruités.
Ces souches pourraient donc avoir un intérêt lors des vinifications. « Néanmoins, il est difficile de prédire quels arômes elles produiront en conditions oenologiques », indique Lucy Joseph qui reste très prudente vis-à-vis de résultats obtenus en laboratoire.
Ensemencer le vin avec des Brettanomyces ?
À l'heure où le marché des levures non-Saccharomyces s'ouvre, sera-t-il possible d'avoir un jour des Brettanomyces inoculables au moût ou au vin ? « Certaines bières du type Lambic sont fabriquées avec des levures du genre Brettanomyces Bruxellensis », explique Vincent Renouf, directeur technique chez Laffort. Il poursuit en indiquant que « les conditions de production de la bière sont cependant très différentes de celles que l'on rencontre en oenologie ».
De plus, la levure Brettanomyces est très difficile à contrôler. D'un vin à un autre, elle n'a pas le même comportement. Pour Lucy Joseph, elle est trop imprévisible pour être utilisée un jour en routine mais « à l'avenir, nous serons capables d'identifier des souches susceptibles d'améliorer la complexité des vins et de produire des caractères qualitatifs ».
« Si on trouve des Brettanomyces qui ne produisent pas ou peu de phénols volatils (50 à 100 μg/l) quelles que soient les conditions alors qu'elles synthétisent des arômes qualitatifs, pourquoi ne pas les inoculer au vin ? » s'interroge Hervé Alexandre, professeur à l'institut Jules Guyot de Dijon (Côte-d'Or). Les viticulteurs l'accepteront-ils ? Le débat est tout autre et est loin d'être d'actualité.
Des experts français très prudents
Pour Vincent Renouf, directeur technique chez Laffort, les résultats obtenus par les deux chercheuses américaines ne sont pas surprenants.
« Tous les micro-organismes sont capables de produire des choses positives et négatives », rappelle-t-il.
Hervé Alexandre, professeur à l'institut Jules Guyot de Dijon, souligne que la production d'alcool supérieur par Brettanomyces est « normale ». « En présence d'acides aminés aromatiques, toutes les levures produisent des alcools supérieurs. C'est bien connu chez ces microorganismes », insiste-t-il.
Cependant, les deux chercheurs rappellent que la prolifération des Brett est un fléau qui a un effet négatif sur les vins. Pour l'instant, leur participation positive aux arômes n'est pas prouvée. Mais ces levures pourraient apporter de la complexité. « À faible dose, je suis persuadé que les molécules synthétisées par Brettanomyces, notamment le 4-éthylcatechol et le 4-éthylgaïacol, peuvent avoir un impact positif sur le vin », assure ainsi Hervé Alexandre. Sur ce sujet, Vincent Renouf est plus mesuré. Il confirme l'idée que les arômes produits par Brettanomyces pourraient participer à une certaine « typicité », mais il affirme aussi que les consommateurs recherchent avant tout des vins fruités et ronds.
« Malheureusement, les phénols volatils créent un masque olfactif et le développement de Brett est souvent associé à une sensation asséchante en fin de bouche », constate-t-il.
Le Point de vue de
Élodie Besseas, responsable de l'observatoire qualité d'InterLoire
« Les dégustateurs confondent les caractères phénolé et réduit »
«Nous avons mené une étude pour savoir comment les dégustateurs perçoivent les phénols volatils (ou éthylphénols) dans les vins de Loire. Au-dessus de 600 μg/l, le seuil de perception de l'éthyl-4-phénol, un tiers des vins analysés est noté par les dégustateurs comme ayant un défaut.
Mais le vocabulaire employé pour le décrire est associé aux défauts de réduction comme "œuf pourri", "ail", "oignon". En dessous de 600 μg/l, certains vins ont été notés avec le caractère Brett mais les descripteurs étaient également associés à la réduction. Nous avons aussi eu des vins décrits Brett alors qu'aucun phénol volatil n'avait été détecté à l'analyse. L'effet matrice semble important pour l'identification du caractère phénolé. Les dégustateurs vont trouver un défaut bien marqué dans un vin léger, alors qu'à la même concentration d'éthylphénols, ils ne considèrent pas qu'un vin plus structuré a un défaut.
Cela rend compte de la difficulté associée à la détection du caractère phénolé dans les vins et à l'importance de l'entraînement des dégustateurs. Ils ont du mal à identifier le caractère phénolé. En plus, ils peinent à le décrire et le prennent pour un autre défaut. Les ODG de l'Anjou et du Saumurois ont donc décidé de proposer à des techniciens des entraînements sur ce caractère phénolé afin d'améliorer leurs compétences. Quant à la contribution des éthylphénols à la complexité des vins, elle me paraît probable. Cependant, il ne faut pas que les notes phénolées prennent le dessus sur le caractère fruité, sous peine d'uniformiser les vins. »