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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

L'État doit réparer les mauvais effets de ses bonnes décisions

Jacques Lachaud - La vigne - n°252 - avril 2013 - page 76

Le Conseil d'État a jugé que la fermeture des chais de stockage du cognac ordonnée par l'État pour des raisons de sécurité nécessitait le dédommagement de l'entreprise obligée de se réinstaller.

L'histoire du cognac est fort ancienne : au XVIIIe siècle, dans les environs de La Rochelle (Charente-Maritime), des chais sont construits pour fabriquer la fameuse eau-de-vie. À l'époque, les bâtiments sont situés à l'écart de la ville, au milieu des vignes. Au fil du temps, l'urbanisation avance : les constructions se multiplient, si bien que les chais se retrouvent cernés par des habitations. Au XXIe siècle, ils sont même coincés en plein centre de la ville…

On s'en doute, cette intégration fait le bonheur des touristes en visite dans la cité, qui peuvent admirer des constructions deux fois centenaires ! Pour autant, les chais sont toujours en activité et constituent un pôle de distillation et de vieillissement des eaux-de-vie. L'ensemble immobilier est la propriété d'une société qui les a donnés en location à une entreprise d'exploitation.

Principe de l'antériorité

Les activités de cette dernière causent-elles du tort aux habitants ? En tout cas, personne ne se plaint. Mais en 1999, la réglementation sur les installations classées évolue. Du fait du principe de l'antériorité, les chais bicentenaires ne sont pas concernés dans un premier temps. En effet, l'article L 513-1 du code de l'environnement précise que « les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, sont soumises, en vertu d'un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation, à enregistrement ou à déclaration, peuvent continuer à fonctionner sans cette autorisation, cet enregistrement ou cette déclaration, à la seule condition que l'exploitant se soit déjà fait connaître du préfet […] ». Mais quelques années plus tard, un décret du 21 octobre 2004 est pris en application de l'article 514-7 du code de l'environnement. Ce texte prévoit que « s'il apparaît qu'une installation classée présente […] des dangers [...] qui n'étaient pas connus lors de son autorisation [...], le ministre chargé des installations classées peut ordonner la suspension de son exploitation ». Il précise aussi : « Un décret en Conseil d'État, pris après avis du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, peut ordonner la fermeture ou la suppression de toute installation [...] qui présente […] des dangers ».

Le décret de 2004 ordonne la fermeture des chais exploitée par l'entreprise locataire. Celle-ci demande à l'État réparation. Le tribunal administratif admet la responsabilité sans faute de l'État et le condamne à payer 676 748 euros en dédommagement. Comme il se doit, l'État, représenté par le ministère de l'Écologie, fait appel. La cour administrative lui donne raison et annule le jugement. L'affaire est au final portée devant le Conseil d'État. Celui-ci va relever que l'emplacement de l'entreprise en milieu urbain, malgré les travaux de sécurité accomplis par la société exploitante, représentait des risques certains, notamment en cas d'incendie. En quelque sorte, il fait le constat de « risques créés mais non condamnables ».

Le Conseil d'État va juger que la responsabilité de l'État peut être engagée même si aucune faute n'est invoquée. Dans cette affaire, l'institution administrative va reconnaître les divers chefs de préjudice causés à la société du fait de la fermeture et de l'obligation de se réinstaller. Le tout est évalué à 673 705 euros.

Dans la conception classique du droit, une personne est tenue de réparer le dommage causé par son comportement. On parle de responsabilité pour faute… Là, le Conseil d'État va plus loin : l'État doit réparer les conséquences préjudiciables d'un acte accompli dans un but d'intérêt général.

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RÉFÉRENCE :

Conseil d'État du 9 mai 2012, n° 335613.

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