La liste des inventions de Jules Salleron est longue. Avant de se spécialiser dans l'oenologie, il avait déjà inventé de nombreux instruments touchant différents domaines scientifiques. Rien que pour l'observatoire de Paris, il avait construit un pyromètre (pour mesurer les températures élevées) ainsi que des baromètres, thermographes, pluviomètres, thermomètres et aéroscopes et anémographes, lesquels mesurent respectivement la direction et la vitesse du vent.
Très tôt, ce fils de commis négociant montre un goût prononcé pour la mécanique et les sciences d'observation. Il naît le 18 mai 1829 à Troyes (Aube), mais sa famille déménage rapidement à Melun (Seine-et-Marne), où il termine ses études. Puis « il entre chez le célèbre opticien de l'Empereur (Napoléon Ier, NDLR) et de la marine, Lerebours et Secretan, où il acquiert une habilité manuelle consommée », relate Henri de La Perrière dans son livre sur le savant.
Parallèlement, il suit des cours de chimie et de physique au Collège de France pour compléter ses connaissances scientifiques. En 1855, à l'âge de 26 ans, il fonde « la maison de construction d'instruments de précision qui devait faire connaître son nom dans le monde entier », poursuit Henri de La Perrière.
En 1881, il décide de se consacrer entièrement à son secteur de prédilection : les instruments de mesure appliqués à l'oenologie, cette nouvelle science qui émerge. Il cède le reste de ses affaires à l'un de ses employés et développe son entreprise sur la base de ses premières inventions en la matière : un alambic pour mesurer le degré d'alcool dans les vins – qui eut un succès considérable et lui valut une médaille de bronze à l'Exposition universelle de 1855 –, un acétimètre pour mesurer la teneur en acide acétique des vinaigres et son fameux ébulliomètre (dosage rapide de l'alcool dans les vins), encore en service de nos jours.
« Salleron était un praticien et ne l'oublia pas »
« Le pesage de l'alcool est devenu l'opération capitale du commerce des spiritueux : les droits exorbitants qui frappent ce liquide (…) donnent aux instruments de pesage et de mesurage des esprits une importance capitale », justifiait l'inventeur.
Suivront un vinocolorimètre pour la mesure de la couleur des vins, un gypsomètre portatif pour le dosage des plâtres et sulfates dans les vins, une pipette-filtre pour le dosage du sucre, un aphromètre pour la mesure de la pression dans les bouteilles, une machine à essayer les bouchons, un élasticimètre pour le test des bouteilles, etc.
« Ceux qui l'ont connu parlent du charme de son abord, de la sûreté de son commerce et de la générosité avec laquelle il savait rendre service à ceux qui l'approchaient et les aider de ses conseils », relève Henri de La Perrière. Sa précieuse « Notice sur les instruments de précision appliqués à l'oenologie », « un véritable arsenal oenologique » selon ses propres termes, est publiée en 1887. Elle renferme la plupart de ses recherches sur l'analyse des vins et la description de ses appareils les plus utiles qui, « par la simplicité de leur manipulation, sont à la portée des viticulteurs et des négociants ». Elle sera rééditée à plusieurs reprises. À la même époque, paraît également « Étude sur le vin mousseux ». Malade, il n'a pu achever lui-même ses expérimentations, mais il livrera tout de même une version définitive de cet ouvrage en 1895.
Tout au long de sa carrière, il a soigné ses notices d'utilisation. Recherchées par les utilisateurs parce que précises et complètes, elles constituaient la seconde force de sa maison
« Physiciens, chimistes, mécaniciens, presque tous les savants de son époque devinrent ses clients et trouvèrent chez lui, outre les appareils eux-mêmes, de précieux conseils pratiques, ajoute Henri de La Perrière. Salleron était un praticien et ne l'oublia pas. »
Toujours une référence
Jules Salleron meurt dans sa propriété de Melun le 28 juillet 1897. Son fils n'ayant pas souhaité reprendre l'entreprise, il l'avait cédée dès 1889 à Jules Dujardin, son collaborateur depuis 1878. Ce dernier marchera sur les traces de son mentor en développant la société sous le nom de Dujardin-Salleron, qu'il léguera à ses fils en 1920.
Aujourd'hui, Dujardin-Salleron est toujours une référence mondiale dans son domaine. L'entreprise a développé l'héritage de ses fondateurs en adaptant les produits à leur époque. À titre d'exemple, elle propose un ébulliomètre électrique depuis 1990. « Ces précurseurs de l'oenologie étaient des visionnaires, commente Laurent Dubreuil, propriétaire des laboratoires depuis 2003.
La société a gardé son esprit initial en proposant des appareils simples et faciles à utiliser, ne nécessitant pas de connaissances scientifiques spécifiques. »