SUR UNE VIEILLE PARCELLE de merlot plantée à 2 500 pieds/ha et taillée à huit yeux et deux pour le courson, les deux frères terminent l'attachage. L'organisation est bien définie : Jean-Marc (à l'avant-plan) est responsable de la production et Thierry du commerce. Ils se donnent des coups de main réciproques. PHOTOS F. BAL
«Nos efforts ne sont pas récompensés et nos vins ne sont pas valorisés à leur juste valeur. » Jean-Marc et Thierry Piazzetta dressent un constat en demi-teinte de leur parcours. Les deux frères dirigent le château Les Brandeaux, à Puyguilhem, en Dordogne. Ils cultivent 28 ha en AOC Bergerac et Côtes de Duras. Sur les 1 500 hl qu'ils produisent, ils en écoulent le tiers en direct, soit 50 000 bouteilles et 200 hl en bibs. Ils vendent le deuxième tiers en vrac et le reste en vrac avec mise à la propriété par le négoce.
Pourtant, lorsqu'il rejoint son père en 1994, la priorité de Jean-Marc Piazzetta est « la qualité avant tout ». Il entend « bien travailler dans les vignes et au chai pour élaborer de bons vins ». Le domaine compte alors 12 ha de vigne. Il vend 40 000 bouteilles de quatre vins, des cubis et le solde en vrac au négoce. Jean-Marc y plante 6 ha en Côtes de Duras et 2 ha en Bergerac. En 2003, son frère Thierry remplace leur père qui part à la retraite. Il s'occupe principalement de l'aspect commercial.
Au fil des ans, Jean-Marc, qui est responsable de la production, étoffe son offre. En 1995, il crée un bergerac rosé et une cuvée excellence, un bergerac élevé douze mois en barriques. En 1998, il complète la gamme avec deux effervescents en méthode traditionnelle, un blanc et un rosé. En 2003, l'année est propice à l'élaboration d'un délicieux liquoreux, Nectar, produit ensuite seulement certaines années. Ce nom de Nectar désigne aussi son rouge haut de gamme, une sélection parcellaire de bergerac avec un rendement de 40 hl/ha au lieu de 60 hl/ha.
Des rouges vendangés de nuit
À la vigne, dès son arrivée, Jean-Marc attache les baguettes à plat et non plus en arcure. Il effeuille toutes les parcelles face au soleil levant et en profite pour supprimer les antibotrytis, sans conséquence sanitaire.
En 1999, il change d'oenologue. Le Périgourdin cherche à élaborer des vins plus fruités et plus faciles à boire. « Les clients apprécient le côté fruité », commente-t-il. Il se met à vendanger la nuit, surtout les rouges, pour pouvoir se lancer dans les macérations préfermentaires à froid. En 2000, il installe la thermorégulation des cuves. En 2004, il investit dans un équipement de micro-oxygénation des vins. Depuis, il micro-oxygène ses rouges en fin de fermentation alcoolique sous marc. « Cela gomme les caractères végétaux, donne du gras et de la souplesse », poursuit le viticulteur. En 2005, les deux frères achètent un pressoir pneumatique Bucher 30 hl, en remplacement d'un Vaslin horizontal. « De petits plus en petits plus, la qualité s'améliore. »
Les vins correspondent à la demande du marché, mais du côté commercial, les choses ne sont pas si simples. « Avec le négoce, il n'y a jamais rien de sûr. Nous aimerions avoir un partenariat contractualisé sur plusieurs années avec une assurance d'enlèvement. Ce n'est pas le cas », regrettent-ils.
Les mises à la propriété sont valorisées environ 10 % de mieux que le vrac générique. La prime grimpe de 25 % si le vin obtient une médaille. Depuis 2000, ils présentent donc systématiquement quatre ou cinq vins à plusieurs concours pour décrocher le précieux sésame. Le concours général agricole, le premier de l'année, conditionne les premières commandes du négoce avec des mises à la propriété. « Sans médailles, c'est difficile », expliquent-ils.
La solution ? Ils la connaissent. Il s'agit de « trouver de nouveaux clients en vente directe ». En pratique, c'est une autre paire de manches. Depuis son arrivée, Thierry a réussi à compenser la chute de leurs ventes en Bretagne, un marché important pour eux. Tous les deux mois, il y livre des commandes « pour conserver le contact, affirme-t-il. Mais nous avons perdu énormément de clientèle. Elle est vieillissante et les jeunes achètent plus volontiers en grande surface ». Aussi, depuis 2003, il a développé le chiffre d'affaires avec la grande distribution locale, passant de 10 000 à 80 000 euros.
« Bergerac n'est pas une appellation facile à vendre... et ne parlons pas des Côtes de Duras, ajoute le commercial. Pour cette dernière, les cours du vrac sont très bas. Alors, pour réaliser notre marge, nous essayons d'en vendre un maximum en bibs (110 hl). »
Ils ont choisi de ne pas faire de salons car « ils ne sont pas assez rentables ». Ils ont tenté une journée de portes ouvertes pour booster les ventes au caveau mais, après un essai, ils ont renoncé. « Nous ne sommes pas bien situés, soulignent-ils. Nous sommes aux extrémités des deux appellations, à la frontière avec le Bordelais. Les clients ne viennent pas facilement. » Et de conclure : « Nous avons investi beaucoup d'énergie avec des résultats mitigés. »
Et si c'était à refaire ? « Nous déposerions un second nom de château »
«Nous avons deux marques pour tous nos marchés : Château Les Brandeaux et Domaine Les Brandeaux, explique Jean-Marc Piazzetta. La première est positionnée haut de gamme, la seconde est générique. Nous vendons aussi nos vins avec mise en bouteille à la propriété par le négoce sous la marque Châteaux Les Brandeaux. Dans ce cas, seule l'étiquette est différente de la nôtre. Ainsi, il arrive que ces vins se retrouvent en concurrence frontale sur les linéaires de la grande distribution locale avec ceux que nous embouteillons et vendons en direct. C'est une erreur, car avec ce système, nous ne pouvons pas jouer sur des marchés différents. Pour y remédier, depuis 2009, nous avons arrêté la marque Domaine Les Brandeaux. Dès que les stocks seront écoulés, nous lui substituerons un nom de château différent, réservé au négoce. Mais je n'aurais pas dû attendre autant. J'aurais dû déposer un autre nom dès mon arrivée en 1994. »