Quel itinéraire a le moins d'impact sur l'environnement ? Jusqu'où peut-on réduire les intrants tout en préservant la qualité des raisins et les rendements ? Pour le savoir, le Vinipôle Sud Bourgogne (1) compare depuis 2007 les viticultures raisonnée, bio et Écophyto 2018. La première s'appuie sur les préconisations régionales actuelles. La deuxième respecte le cahier des charges de la viticulture biologique. Enfin, dans la troisième, les expérimentateurs ont réduit les intrants de 30 % et poursuivent l'objectif d'arriver à 50 %.
Cette comparaison est conduite dans une parcelle de chardonnay sur un sol argilo-calcaire classée en AOC Saint-Véran à une dizaine de kilomètres au sud de Mâcon (Saône-et-Loire). Plantée en 1986 à 8 700 pieds/ha, cette parcelle est très représentative du vignoble local.
TRAITEMENTS FONGICIDES : Des économies avec Écophyto...
Premier indicateur étudié : le nombre de traitements contre le mildiou et l'oïdium. Sur ce point, l'effet millésime est important. Excepté en 2011, une année très atypique avec une pression parasitaire très faible, il a fallu six à neuf traitements pour contrôler le mildiou en viticulture raisonnée. En bio, il en a fallu huit à dix à cause de la faible rémanence des produits. Dans la modalité Écophyto, seuls six à sept traitements ont été indispensables. En moyenne, Écophyto fait gagner 1,4 traitement, tandis que la viticulture biologique en exige 1,6 de plus.
Contre l'oïdium, les variations sont encore plus fortes. Entre cinq et huit traitements ont été nécessaires en conduite raisonnée, contre six et neuf en bio et seulement quatre à sept en Écophyto. Dans cette dernière modalité, la mise en place du modèle d'aide à la décision Pod Mildium en 2012 se solde par « un net gain, avec seulement cinq traitements durant cette campagne particulièrement difficile », indique Florent Bidaut, de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire, le coordinateur de l'étude. Bilan des courses pour l'oïdium : Écophyto fait gagner presque un traitement par campagne, au contraire de la modalité biologique qui en rajoute 1,2.
... mais quelques décrochages en terme d'efficacité
Réduire les traitements est une bonne chose. Encore faut-il s'assurer de l'efficacité des programmes. Les protections antimildiou sont jugées « honorables » par Florent Bidaut, avec près de 90 % d'efficacité en moyenne, tous programmes confondus sur les six ans de suivi. Seul bémol, souligne le technicien, l'efficacité sur grappes des programmes de protection bio et Écophyto chute les années de forte pression (2008 et 2012). Ainsi, en 2008, cette efficacité tombe sous la barre des 70 % en bio. Elle plafonne à 75 % dans la modalité Écophyto, contre plus de 90 % en raisonnée. « Mais cela reste largement acceptable, puisque le rendement pouvait être atteint dans toutes les situations », considère Florent Bidaut.
Contre l'oïdium, l'efficacité moyenne sur grappe des trois programmes est satisfaisante (97 % sur les six ans). Mais en 2012, le programme Écophyto a décroché, affichant seulement 85 % d'efficacité. Là encore, Florent Bidaut juge le résultat « acceptable » compte tenu de la pression (80 % de perte de récolte dans le témoin) et des cinq traitements effectués seulement.
æRENDEMENTSConformes à ceux de l'AOC dans les trois itinéraires
Les trois itinéraires permettent d'atteindre le rendement de l'appellation. Cependant, le poids de récolte est toujours supérieur en viticulture raisonnée. « Mais les différences ne sont pas significatives », insiste Florent Bidaut. Plus que la protection, c'est l'introduction du travail du sol intégral en 2011 dans les deux modalités bio et Écophyto qui a eu le plus d'impact sur le poids de récolte. « Nous avions déjà fait ce constat dans d'autres essais, mais les rendements se régulent au bout de six à sept ans après l'introduction du travail du sol », commente Florent Bidaut, qui n'observe « pas de différence en terme de vigueur (poids des bois de taille) ».
NOMBRE DE PASSAGES : Le bio pénalisé par la faible rémanence des produits
En culture raisonnée, les expérimentateurs ont réalisé 11,7 passages par an en moyenne pour la protection phytosanitaire et l'entretien des sols. Ils en ont effectué 13,3 en bio et 10,2 en Écophyto. Par rapport à la conduite raisonnée, la modalité Écophyto permet ainsi de gagner 1,5 passage, alors que l'itinéraire bio nécessite 1,6 passage supplémentaire en raison de la faible rémanence du cuivre et du soufre, les seuls fongicides employés.
Pour l'entretien des sols (voir encadré), le nombre de passage est quasi-identique dans les trois modalités : quatre par an en raisonnée et 3,7 par an en bio et en Écophyto en moyenne sur la période étudiée. En 2011, l'introduction du travail intégral des sols dans les modalités bio et Écophyto a permis d'économiser un passage. Le nombre d'interventions dépend avant tout des conditions climatiques de l'année.
QUANTITÉ DE PRODUITS : Des écarts énormes en défaveur du bio
Autre paramètre défavorable au bio : la quantité de produits phytosanitaires appliqués. En six ans, la référence raisonnée totalise 25 kg/ha et par an, contre 88 kg/ha et par an en bio, soit plus du triple. La viticulture bio est pénalisée par le cuivre et le soufre qui s'emploient à dose élevée. De son côté, avec 12 kg/ha, la modalité, Écophyto atteint l'objectif de réduction de 50 % de la consommation de produits phytosanitaires.
Les expérimentateurs ont également calculé l'IFT selon les modalités de l'essai. En viticulture raisonnée, cet indicateur est conforme à celui des viticulteurs locaux. En Écophyto, il est inférieur de 45 % à la norme régionale et de 36 % en bio . Dans ce dernier cas, la différence vient principalement au fait que les expérimentateurs ont utilisé le cuivre à des doses inférieures aux doses homologuées conformément aux pratiques de terrain.
ÉNERGIE ET ENVIRONNEMENT : Écophyto au-dessus du lot
Florent Bidaut a utilisé deux indicateurs de la méthode Indigo de l'Inra pour évaluer la consommation énergétique et pour apprécier l'impact sur les eaux, l'air et le sol des trois pratiques. Sur le plan de la consommation énergétique, seul Écophyto atteint un niveau excellent. Les viticultures raisonnée et bio n'ont pas de bons résultats. En bio, c'est en raison de l'emploi de soufre, dont la fabrication est énergivore, et du nombre de passages plus importants.
Mesuré par l'indicateur I-Phy, l'impact sur l'environnement de la viticulture raisonnée est moyen, celui de la viticulture biologique est acceptable, comme celui d'Écophyto, du fait de la réduction des doses et de la suppression des herbicides.
VIE DES SOLS : Plus de vers de terre en viticulture raisonnée
La conduite raisonnée semble la plus appréciée des vers de terre, sans doute en raison de l'enherbement. Depuis 2009, dans cette modalité, le nombre de vers de terre anéciques augmente. Or, ces vers plongent en profondeur dans le sol. Leur présence est donc favorable au bon fonctionnement hydrique des sols.
Quant aux populations de micro-organismes, leur abondance dépend plus des différentes zones au sein de la parcelle - plus ou moins compactes - que du mode de culture. Toutefois, en raisonnée, la minéralisation du carbone et de l'azote semble moins active et la nitrification plus rapide qu'ailleurs. Partout, la population fongique est élevée avec, là encore, une diversité spatiale selon la compaction du sol et non selon les traitements appliqués.
COÛTS DE PRODUCTION : + 8 % en moyenne en bio
Côté portefeuille, les coûts mesurés ont seulement concerné la protection phytosanitaire et l'entretien du sol, les autres dépenses étant identiques. Ramené à l'hectare, le coût des intrants est réduit de 45 % en bio et de 40 % en Écophyto. En revanche, les coûts de mécanisation sont augmentés de 37 % en moyenne sur les six ans pour la viticulture bio et de 9 % pour Écophyto. Au final, le coût de production augmente d'environ 8 % en bio - avec une variabilité de + 23 % à -15 % selon les années - alors qu'il baisse de 10 % en viticulture Écophyto.
(1) La chambre d'agriculture de Saône-et-Loire, le lycée viticole de Davayé, l'Inra de Dijon, AgroSup Dijon, l'université de Rennes (sols), l'IFV (levures) et le BIVB (vinifications).
L'entretien des sols a évolué au cours de l'essai
- En viticulture raisonnée, les expérimentateurs ont réalisé le même itinéraire tout au long de l'expérimentation (2007 à 2012). Ils ont laissé l'herbe se développer naturellement entre les rangs et l'ont contenue par des tontes. Ils ont désherbé chimiquement la ligne des souches.
- En bio, en 2007, ils ont réalisé un travail du sol intégral. De 2008 à 2010, ils ont laissé un enherbement naturel spontané se développer dans les interrangs qu'ils ont tondus régulièrement. Ils ont désherbé mécaniquement sous les rangs. En 2011 et 2012, ils sont revenus au travail du sol intégral.
- Dans la modalité Écophyto, ils ont d'abord désherbé chimiquement sous le rang et tondu l'enherbement spontané des interrangs. De 2008 à 2010, ils ont ainsi laissé un enherbement spontané, tondu dans les interrangs, puis désherbé mécaniquement sous les rangs. En 2011 et 2012, ils sont passés au travail du sol intégral.
La protection phyto en détail
- En viticulture raisonnée, les expérimentateurs ont opté pour les produits conventionnels les moins néfastes à l'égard de l'environnement et des auxiliaires de la vigne. Ils les ont appliqués à leur dose homologuée.
- En Écophyto, ils ont utilisé les mêmes produits qu'en raisonnée mais en réduisant systématiquement les doses de 30 %. Ils ont décalé le début de la protection lorsque la pression parasitaire était faible. En 2012, les expérimentateurs ont appliqué le protocole Pod Mildium, une règle de décision basée sur l'observation et la modélisation, pour raisonner la lutte contre le mildiou et l'oïdium.
- En bio, ils n'ont utilisé que du soufre et du cuivre pour lutter contre les maladies.